Retour d'Hassan-Pacha
Le Grand-Divan n'en était pas encore arrivé à ce degré d'abaissement qui lui fit plus tard supporter et laisser impunies les révoltes des janissaires ; le meurtre de Tekelerli excita donc à Constantinople une indignation générale et le Sultan donna l'ordre de châtier les rebelles. Nul ne convenait mieux pour cette mission qu'Hassan-ben-Kheir-ed-Din, héritier des traditions paternelles, aimé de la population d'Alger, et chéri des vieux reïs, avec lesquels il avait fait ses premières armes.

Le Grand-Yizir Rostan (1) leva le seul obstacle qui s'opposait à ce choix en réconciliant son protégé avec l'ambassadeur français, auquel le nouvel élu promit ses bons offices. Hassan, nommé pour la deuxième fois Beglierbey d'Afrique, arriva à Alger au mois de juin 1557, avec vingt galères, dont les équipages, unis aux marins d'Alger, constituaient une force suffisante pour contenir la Milice, qui se soumit sans résistance.

Guerre du Maroc
Profitant du désordre qui venait de régner pendant plus d'un an, le Chérif Muley-Mohammed avait envahi la province de Tlemcen ; le Caïd Mansour-ben-Bogani s'était installé dans la ville elle-même et y avait fait reconnaître son petit-fils comme roi ; toutefois, le Caïd Saffa s'était réfugié dans le Mechouar avec cinq cents Turcs, et y résistait à tous les efforts des assaillants. Aussitôt installé, le Beglierbey marcha à son secours avec six mille mousquetaires turcs ou renégats et seize, mille indigènes ; à la nouvelle de sa venue, les Marocains effrayés repassèrent la frontière, vivement poursuivis par l'armée algérienne, qui les atteignit sous les murs de Fez.

Bataille de Fez
Les troupes du Chérif se composaient de quatre mille mousquetaires Elches, morisques d'Espagne, très exercés et très braves, de trente mille cavaliers, et de dix mille fantassins. Le combat fut fort opiniâtre, elles pertes cruelles, aussi bien d'un côté que de l'autre ; le soir venu, les Turcs campèrent sur un mamelon voisin du champ de bataille, et commençaient à s'y retrancher, lorsqu'Hassan apprit que les Espagnols d'Oran se disposaient à lui couper la retraite, en cas de revers, où à tomber sur ses derrières, si la lutte se prolongeait. Son armée ayant été très éprouvée, il ne jugea pas à propos de courir de semblables risques, et ordonna immédiatement la retraite, laissant allumés les feux du bivouac, pour tromper son ennemi, auquel la bataille avait coûté fort cher, et qui ne chercha pas à le poursuivre. Les goums se retirèrent par la route de Tlemcen, pendant que les Ioldachs et l'artillerie prirent le chemin de K'saça, où les galères les attendaient pour les ramener à Alger. Cette campagne apprit au Beglierbey qu'il était impossible de s'engager à fond contre le Maroc, tant que les chrétiens d'Oran seraient assez forts pour tenir la campagne, et il résolut dès lors de les expulser, avant de rien entreprendre au delà de la Moulouïa.

Cependant, le comte d'Alcaudete, désolé d'avoir été forcé, par l'insuffisance de ses forces, de laisser échapper une si belle occasion, était parvenu, à force d'instances, à arracher quelques régiments à la parcimonie du Conseil Royal. Sentant que, par suite de la reprise de Tlemcen, toute la province allait lui échapper, il se décida à marcher sur Mostaganem, qu'il voulait occuper fortement, pour en faire une tête d'attaque contre Alger. Ben-Bogani l'avait rejoint à la tête d'un goum très nombreux, et il était convenu avec le Chérif que celui-ci envahirait le pays au signal donné, et marcherait sur Milianah, prenant ainsi les Turcs à revers, s'ils osaient sortir de leur capitale, et dépasser le Chélif ; c'était un projet bien conçu ; mais les Marocains ne furent pas prêts en temps utile, et leur abstention devint funeste à l'énergique Capitaine qui se hasardait sur une route où il avait couru, douze ans auparavant, de si terribles risques. Il se mit en chemin le 22 août 1538, avec dix ou douze mille Espagnols, un nombreux contingent arabe, et une bonne artillerie ; quatre grosses galiotes longeaient la côte, portant les vivres et les munitions nécessaires. Mais Hassan veillait, et, à la hauteur d'Arzew, le convoi fut capturé, sous les yeux du général, parles galères des reïs, commandées par Cochupari. Ce premier échec jeta un commencement de démoralisation dans l'armée, qui ne tarda pas à souffrir de la faim ; car Euldj-Ali était sorti de Tlemcen avec les janissaires de la garnison de cette ville, et se tenait sur le flanc droit de l'ennemi, l'empêchant de se ravitailler. Le quatrième jour, les Espagnols arrivaient devant Mazagran, dont ils s'emparèrent facilement, et dont on détruisit le portail pour fabriquer des boulets de pierre, en remplacement des projectiles qui étaient tombés aux mains des Algériens.

Déroute de Mostaganem et mort du Comte d'Alcaudete
Malgré les conditions défavorables dans lesquelles on se trouvait par suite de la perte des transports, l'attaque immédiate de Mostaganem fut résolue ; c'était, du reste, la seule mesure à prendre ; car on espérait trouver dans la ville une partie de ce dont on manquait, et devancer l'arrivée des Turcs d'Alger. Le Comte se mit donc en devoir de briser les portes à coups de canon ; dans les escarmouches qui eurent lieu à ce moment en dehors de la place, une compagnie du régiment de Malaga poursuivit si vivement les fuyards, qu'elle pénétra à leur suite dans l'enceinte, et planta son drapeau sur le rempart. Tout aurait peut-être été sauvé, si l'on eut appuyé ce mouvement ; le Général n'en jugea pas ainsi, fit sonner la retraite, et châtia sévèrement l'alferez qui avait agi sans ordres. Pendant la nuit, les assiégeants se logèrent contre la muraille elle-même, donnèrent l'assaut au petit jour, et forcèrent très bravement l'entrée ; mais les habitants avaient barricadé les rues, et les disputèrent maison à maison, soutenus dans leur résistance par la certitude de la prochaine arrivée des Algériens. En effet, aux premières nouvelles, Hassan avait rassemblé à la hâte cinq mille mousquetaires, mille spahis, et s'avançait à marches forcées ; les contingents indigènes s'étaient réunis à lui sur son passage, au nombre de plus de seize mille hommes. Il arriva à midi, chargea impétueusement l'ennemi, et le rejeta dans la campagne, après une lutte acharnée qui dura jusqu'au soir. La nuit, qui vint interrompre le combat, acheva de plonger les troupes chrétiennes dans la consternation ; elles se composaient pour la plus grande partie de recrues ; éprouvées par la mer, par huit jours de marches et de combats, par le manque de sommeil et de vivres, elles entendaient les cris des malades et des blessés, qu'on avait été forcé d'abandonner, et que l'ennemi égorgeait sans pitié. Lorsque le jour se leva et éclaira ce triste spectacle, les Espagnols se virent entourés de toutes parts ; devant eux se trouvaient les janissaires ; sur leur droite, Euldj-Ali et les Tlemcéniens : enfin, les Turcs des galères venaient de débarquer, et assaillaient l'aile gauche, que les navires mitraillaient en même temps ; il ne restait donc qu'à battre en retraite, et le plus vite possible ; car les goums du Beglierbey se jetaient déjà sur la route de Mazagran, pendant que ceux de Ben-Bogani faisaient défection, se tournant contre leurs anciens alliés, ou reprenant au galop le chemin de leurs douars. Le combat s'engagea de tous les côtés à la fois, et, malgré les efforts héroïques du Général et de ses officiers, se transforma rapidement en une complète déroute. Le comte d'Alcaudete et son fils Don Martin parvinrent cependant à maintenir quelques bataillons dans le devoir jusqu'aux glacis de Mazagran ; mais, à la vue des murs, derrière lesquels ils crurent trouver un abri assuré, les fuyards, affolés de peur, se débandèrent complètement, et passèrent sur le corps de leur vieux chef qui périt, foulé aux pieds et étouffé par ses propres soldats ; Don Martin, grièvement blessé, fut fait prisonnier, et ne recouvra sa liberté qu'au bout de deux ans, moyennant une forte rançon ; toute l'armée fut tuée ou prise. La nouvelle du désastre arriva à Saint-Just le 9 septembre, et on la cacha soigneusement à Charles-Quint, alors à son lit de mort. Cette néfaste journée coûtait à l'Espagne les meilleurs officiers de ses troupes d'Afrique, et un général que ses brillantes qualités avaient fait aimer et respecter des indigènes ; aucun de ses successeurs ne retrouva l'influence qu'il avait su prendre sur eux ; il fallut renoncer dès ce moment à exercer une action prépondérante sur le reste de la province d'Oran, et se contenter de la garde de cette ville, contre laquelle les attaques se multiplièrent, et dont le blocus se resserra de jour en jour, malgré les efforts de ses gouverneurs.

Révolte des Beni-Abbes
A peine de retour à Alger, Hassan, toujours préoccupé de créer une force capable de tenir la Milice en bride, et de la remplacer au besoin, enrégimenta les renégats espagnols, qui se trouvaient en grand nombre à Alger depuis la déroute de Mostaganem ; il les arma de mousquets, et leur donna pour chefs d'anciens compagnons de son père, sur le dévouement absolu desquels il pouvait compter. En même temps, il se ménageait un appui dans l'intérieur, en épousant la fille du Sultan de Kouko, Ahmed-ben-el-Kadi ; cette alliance lui était encore imposée par d'autres raisons ; car le Sultan de Labez Abd-el-Aziz venait de se déclarer indépendant, et songeait à se constituer dans l'État une souveraineté, qui eut eu Bougie pour capitale. Il avait depuis longtemps fait ses préparatifs, en se procurant de l'artillerie, avec une grande quantité de munitions, et en prenant à sa solde un corps d'un millier de chrétiens échappés de captivité(2).
Avant le départ d'Hassan pour le Maroc, il avait recherché l'amitié des Turcs, espérant obtenir de bon gré ce qu'il souhaitait ; un instant, il avait cru arriver à ses fins, et s'était fait donner la ville de M'sila ; mais, quand il apprit l'alliance de son rival avec le Beglierbey, il ouvrit brusquement les hostilités, et s'empara des bordjs de Medjana et de Zamora, dont il passa les garnisons au fil de l'épée. Toute la Kabylie fut en feu pendant près de deux ans, et le début de la campagne fut cruel pour les janissaires, qui furent battus deux fois de suite, et impitoyablement massacrés. Au mois de septembre 1559, Hassan sortit d'Alger à la tête de six mille mousquetaires et six cents spahis, auxquels vinrent se joindre quatre mille Kabyles de Kouko ; Ahmed-ben-el-Kadi, avec le reste de ses contingents, devait, au moment de l'action, envahir le territoire des Beni-Abbès.

Mort d'Abd-el-Aziz
Le chef de ces derniers avait réuni au-dessous de Kalaaune armée de seize à dix-huit mille hommes, et prit l'initiative de l'attaque, qui fut menée assez vigoureusement pour jeter un instant le désordre parmi les Turcs ; enfin, après quelques heures d'un combat incertain, Abd-el-Aziz ayant été tué d'un coup de feu, ses troupes se débandèrent. Le lendemain, elles s'étaient ralliées à peu de distance sous le commandement de Mokrani, frère du défunt, que la confédération venait de reconnaître comme souverain. La lutte recommença, et le nouveau chef se mit à faire aux Algériens la guerre de chicane, à laquelle se prête si bien la configuration du pays. Les envahisseurs perdirent beaucoup des leurs dans une série de petits engagements quotidiens, qui les lassèrent et les épuisèrent d'autant plus, qu'on entrait dans la mauvaise saison, si dure dans ces montagnes. Sur ces entrefaites, Hassan apprit que le Chérif se disposait à envahir la province de l'Ouest, et que le roi d'Espagne assemblait une puissante armada ; ces nouvelles l'engagèrent à offrir à Mokrani des conditions de paix fort acceptables, et le chef kabyle s'engagea à recevoir l'investiture du Beglierbey, et à lui payer un faible tribut annuel, sous forme de présents.

Désastre des Gelves
Les informations reçues étaient exactes, et la croisade contre les Barbaresques, ardemment prêchée depuis deux ans par le pape Pie IV, se préparait dans tous les ports de l'Espagne, de l'Italie et de la Sicile. Le plan auquel on s'était arrêté était le suivant : reprendre Tripoli et y laisser une flotte, qui, jointe à celles de Sicile et de Malte, eut empêché le Sultan d'envoyer ses galères dans le bassin occidental de la Méditerranée, en sorte qu'Alger n'aurait eu à compter que sur ses propres forces pour repousser l'attaque projetée. Le Duc de Medina-Celi fut placé à la tête de l'armada, qui mit à la voile au commencement de janvier 1560, avec plus de douze mille hommes, quarante-cinq galères, et trente-quatre vaisseaux ; huit autres galères de Florence, de Monaco, de Sicile et de Gênes, ne se trouvèrent pas prêtes en temps utile, et ne rejoignirent que plus tard, et à la débandade, si bien que plusieurs d'entre elles furent enlevées par Dragut. Un grand désordre semble avoir régné dans tous les préparatifs de l'expédition. On avait compté sur l'expérience d'André Doria ; mais le vieux capitaine était tellement malade qu'il ne put prendre le commandement, et son absence fit cruellement défaut. Le général espagnol perdit plus d'un mois à Malte, attendant vainement ses alliés et les six grosses galiotes qui portaient la réserve de vivres et de munitions ; le 10 février, il se décida à partir sans elles, et le 12, il débarquait aux îles Gelves, où Dragut venait de rassembler huit cents mousquetaires, deux cents spahis et dix mille Mores. Un mois se passa en escarmouches ; le roi de Kairouan, qui avait promis son concours, se gardait bien de se montrer, tant que l'issue de la lutte serait douteuse ; les troupes étaient fort éprouvées par les fièvres et la dysenterie. Le 8 mars, après une série de négociations inutiles, au courant desquelles le Caïd des Gelves ne cessa pas d'abuser de la crédulité de l'ennemi, le combat s'engagea le long du rivage, et dura quatre jours, au bout desquels le bordj fut pris ; on s'occupa aussitôt de le réparer, et d'y ajouter quatre bastions. Mais, pendant que l'armada gaspillait un temps précieux dans ces petites opérations, Dragut avait dépêché à Constantinople son khalifat Euldj-Ali, et, le 15 mars, l'amiral Piali-Pacha paraissait devant les îles avec soixante-quatorze grandes galères, montées par huit mille janissaires. A la vue de ces forces imposantes, le Duc de Medina-Celi craignit d'être acculé à la côte, et ordonna de prendre le large ; mais ce mouvement s'exécuta avec une grande confusion, que l'attaque impétueuse des Turcs transforma rapidement en déroute. Neuf galères furent abandonnées sous le bordj, où elles furent brûlées ; vingt et une autres, et dix-sept vaisseaux devinrent la proie de la flotte ottomane. Piali ouvrit aussitôt le feu contre le reste de l'armée chrétienne, qui, laissée sans vivres et sans munitions, supporta bravement un siège de trois mois. Lorsque son chef, Alvar de Sande, se vit réduit au dernier état d'épuisement, il résolut, ne voulant pas se rendre, de mourir les armes à la main, et fit une sortie générale ; mais ses hommes, à demi morts de faim et de soif, ne tinrent pas devant les janissaires, et il en fut fait un grand massacre. Telle fut la fin malheureuse de cette expédition, qui coûta aux croisés leurs meilleurs navires, près de dix mille hommes, tués ou pris, et une grande quantité d'officiers de distinction, dont la plupart ne put recouvrer sa liberté que grâce aux instances de l'ambassadeur français, M. de Pétremol, qui eut à vaincre une longue résistance. Car, pendant que l'Espagne accusait la France d'avoir fourni des munitions à la flotte ottomane, la Porte se plaignait très vivement de la présence des Chevaliers de Malte français dans les rangs ennemis(3). Hassan, délivré des préoccupations que lui avaient causés les armements de la croisade, se mit en devoir de châtier le Chérif, bien que celui-ci, à la nouvelle du désastre des Gelves, eût retiré ses troupes de la frontière de l'Ouest ; mais, avant d'entreprendre une campagne qui devait être longue et dont la réussite était incertaine, il voulut créer des régiments de Zouaoua, auxquels il comptait laisser pendant son absence la garde de la ville ; car il savait qu'aussitôt qu'il eût été parti avec sa garde de renégats espagnols, les janissaires se fussent mis en révolte.

Insurrection de la Milice
Ceux-ci, inquiets de voir le nombre des kabyles augmenter chaque jour, songeaient à enlever le Beglierbey par un coup de force ; en juin 1561, ayant appris que le Grand-Vizir Rostan, protecteur d'Hassan, était à son lit de mort, ils se décidèrent à agir, forcèrent pendant la nuit l'entrée du palais, se saisirent du souverain et de ses amis, les enchaînèrent et les jetèrent dans un vaisseau, qui fit immédiatement voile pour Constantinople, avec quelques boulouk-bachis. Ces délégués avaient pour mission d'éveiller les soupçons du Grand Divan, et de transformer l'attentat commis en un acte de fidélité envers le Sultan, en accusant Hassan d'avoir voulu se rendre indépendant, d'avoir cherché à supprimer la Milice et à la remplacer par une armée indigène, pour fonder à son profit l'empire de l'Afrique du Nord. La vérité est que le Beglierbey, héritier des traditions paternelles, prévoyait avec raison que l'institution de l'Odjeac amènerait fatalement la ruine de la Régence, en la contraignant à un état de guerre perpétuelle sur terre et sur mer, et en rendant l'exercice du pouvoir impossible par l'indiscipline des Ioldachs. Fils d'une algérienne, et appartenant par conséquent à la caste des Colourlis, il était, à ce titre, haï des Turcs, et chéri de la population ; il faut remarquer ici que son règne donne un éclatant démenti à la tradition d'après laquelle les Colourlis auraient été déclarés inhabiles aux grandes charges par Aroudj et Kheïr-ed-Din eux-mêmes(4).

Les chefs du complot, Hassan, agha des janissaires, et son lieutenant, Couça-Mohammed, s'emparèrent du pouvoir, et l'exercèrent pendant trois mois environ, au bout desquels les galères de Constantinople entrèrent dans le port d'Alger, conduisant le Capidji Ahmed Pacha que le Sultan avait chargé de rétablir l'ordre. Il fit embarquer les chefs de la révolte, et les envoya au Grand-Vizir, qui leur fit trancher la tête. Pendant tous ces événements, l'anarchie avait été très grande à l'intérieur ; quelques reïs avaient insulté les côtes de Provence et enlevé des barques françaises ; le nouveau Pacha avait été invité à faire justice de ces infractions, et s'y employait de son mieux, lorsqu'il mourut, peut-être empoisonné, au mois de mai 1562, laissant l'intérim au vieux caïd Yahia, qui l'avait déjà rempli deux fois.

Siège d'Oran et de Mers-el-Kebir
Trois mois après la mort d'Ahmed, Hassan arriva, escorté de dix galères à fanal, que Piali-Pacha avait mis sous ses ordres, en cas de résistance de la Milice ; mais le châtiment des rebelles avait porté ses fruits, et le Beglierbey occupa la Jenina sans opposition, à la grande joie des reïs et des Baldis, qui, opprimés par les janissaires, attendaient avec impatience un gouvernement énergique. Il s'occupa tout d'abord avec la plus grande activité de préparer l'entreprise depuis longtemps projetée contre Oran et Mers-el-Kebir ; il réunit à cet effet une armée composée de quinze mille mousquetaires. Turcs ou renégats espagnols, mille spahis et douze mille Kabyles des Zouaoua et des Beni-Abbès. Son artillerie, ses munitions et ses vivres furent chargés sur la flotte des reïs, et Cochupari, qui la commandait, reçut l'ordre d'aller mouiller, d'abord à Arzew, puis à Mostaganem. Enfin, le 5 février 1563, il se mit en route, laissant la garde d'Alger à son khalifat Ali Cheteli ; s'assurant sur son passage de la soumission des indigènes, il laissa sur la Makta quelques bataillons, commandés par le caïd de Tlemcen, Ali Scanderriza, pour assurer ses communications et couper les vivres aux Espagnols. Il arriva devant Oran le trois avril, campa son armée à Raz-el-Aïn, et, dès le premier jour, installa deux batteries devant la Tour des Saints. Le gouverneur d'Oran était alors Don Alonso de Cordova, comte d'Alcaudete ; son frère Don Martin, marquis de Cortes, avait la garde de Mers-el-Kebir. Les deux places étaient fort dépourvues de ressources ; car le secours qui leur avait été envoyé d'Espagne, à la nouvelle de l'orage qui allait fondre sur elles, avait été dispersé et presque anéanti par une terrible tempête, dans laquelle le vaisseau amiral lui-même, commandé par Don Juan de Mendoza, avait sombré corps et biens. Don Alonso ne put donc pas sortir en rase campagne pour s'opposer à l'établissement des lignes ennemies, et dut se contenter de défendre l'enceinte. La Tour des Saints fut bientôt emportée, et les efforts des Turcs se dirigèrent sur Mers-el-Kebir, dont l'armée assiégeante voulait faire son centre d'approvisionnements, et un abri assuré pour sa flotte. Le commandant du fort Saint-Michel fut d'abord sommé de se rendre et s'y refusa ; Hassan, sans attendre son canon, essaya d'emporter l'ouvrage d'emblée, et, dès le premier jour, lui donna trois assauts, qu'il commanda en personne ; il parvint deux fois à planter les échelles au mur ; mais la résistance fut aussi énergique que l'attaque, et le Beglierbey dut se retirer, laissant sur les glacis ses meilleurs officiers et cinq cents de ses plus braves loldachs.

Les tempêtes qui avaient causé la perte des galères espagnoles retardaient l'arrivée de Cochupari, et de l'artillerie de siège, qu'Hassan attendait avec impatience pour frapper un grand coup. Il envoya un parlementaire à Don Martin ; celui-ci avait des obligations particulières au général ennemi, qui, après la déroute de Mostaganem, avait adouci le plus possible sa captivité à Alger, et avait pris soin de faire rendre les honneurs militaires au corps de son père ; aussi lui répondit-il courtoisement : " qu'il était à son service pour tout le reste ; mais qu'il lui était impossible de rendre la place dont son roi lui avait confié la garde. " Sur ces entrefaites, les reïs arrivèrent, mouillèrent aux Aiguades, débarquèrent le canon ; le feu commença par terre et par mer, et fut continué sans interruption à partir du 4 mai. Depuis ce jour jusqu'au 6, les Turcs donnèrent en vain cinq assauts ; pendant la dernière nuit, les Espagnols reçurent quelques secours d'Oran, Le 7, Hassan chargea furieusement, et parvint à planter deux fois son drapeau sur la brèche, si large, qu'on pouvait y monter à cheval ; il fut blessé à la tête, et repoussé avec de grosses pertes. Mais l'héroïque garnison du petit fort Saint-Michel était à bout de forces, et pendant la nuit, le commandant fit prévenir Don Martin qu'il se voyait forcé de rentrer à Mers-el-Kebir. La retraite donna lieu à un nouveau combat. Toute l'artillerie algérienne se mit alors à battre la face ouest de la place, dont elle écrasa les murailles en vingt-quatre heures ; le gouverneur faisait, avec ses quatre cent cinquante hommes, une défense désespérée, réparant pendant la nuit les ruines du jour. Le 9 mai, les remparts de l'ouest étant rasés, Hassan fit remontrer par un parlementaire que la résistance était devenue impossible et offrit des conditions honorables à l'assiégé ; celui-ci répondit en raillant : " Puisque ton chef trouve la brèche si belle, pourquoi n'y monte-t-il pas tout de suite ! ". Le Turc riposta en redoublant son feu et en ordonnant un assaut général ; douze mille Mores furent lancés en avant, puis le corps de bataille, composé des janissaires ; enfin la réserve des renégats et des gardes du beglierbey. Pendant quatre heures, un combat très dur ensanglanta le fossé et les glacis ; les Algériens plantèrent leur drapeau au rempart, et furent un instant maîtres du bastion des Génois ; mais ils finirent par être ramenés, laissant le théâtre de la lutte couvert de leurs morts. De son côté, la garnison espagnole avait été très éprouvée ; mais elle reçut cette nuit-là une dépêche qui lui rendit de nouvelles forces ; au moment même de l'assaut, une barque chrétienne, trompant à la faveur du brouillard la surveillance de Cochupari, avait pénétré dans le port d'Oran, et annoncé l'arrivée prochaine d'André Doria, et des cinquante-cinq galères chargées de troupes qu'il venait de réunir. Don Alonso envoya immédiatement le message de salut à son frère, par un nageur, qui eut l'adresse et le bonheur de passer inaperçu à travers le blocus. Cette lettre ranima les défenseurs du fort, et les aida à supporter la canonnade perpétuelle des batteries et les quatre autres assauts que les Algériens livrèrent du 11 mai au 5 juin, avec plus de monde encore que jusqu'alors ; car Hassan, informé par ses espions de l'approche de l'amiral génois, avait mis le feu à la tour des Saints, et rappelé les bataillons occupés devant Oran. Irrité parles pertes journalières qu'il subissait, frémissant de colère à la pensée que sa proie allait lui échapper, il n'épargnait pas sa personne, montant toujours le premier à la brèche, et donnant à tous l'exemple de l'intrépidité ; dans l'avant-dernière attaque, qui dura tout un jour, voyant que les janissaires pliaient : " Comment, chiens, leur cria-t-il, quatre hommes vous arrêtent devant une misérable bicoque !. " Et, jetant son turban dans le fossé, il se précipita au plus épais de la mêlée, d'où ses soldats l'arrachèrent de force.
Cependant Doria arriva le 7 juin en vue d'Oran, et eût peut-être pris la flotte des Reïs, sans une fausse manœuvre de son chef d'escadre, Francisco de Mendoza, qui, pour éviter d'être aperçu par les assiégeants, fit amener les voiles trop tôt, alors qu'il avait à peine connaissance de la côte ; sur ces entrefaites, le vent changea, et il fallut tirer des bordées pendant un jour tout entier ; Cochupari profita habilement de cette faute pour sauver ses galères, qu'il rallia à Mostaganem ; il fut toutefois forcé de laisser aux mains de l'ennemi cinq galiotes et quatre barques françaises, qui avaient fait office de bâtiments de transport. Hassan, voyant son armée épuisée et démoralisée, à bout de vivres et de munitions, craignant de voir couper sa ligne de retraite, se décida, la rage au cœur, à lever le siège, et prit la route d'Alger, sans que l'ennemi osât le poursuivre. A son arrivée, il trouva la ville ravagée par la peste ; les pertes subies par l'armée augmentèrent la tristesse générale ; la milice accusait le beglierbey de l'avoir fait décimer à dessein ; celui-ci, fort indifférent à ces rumeurs, ne s'occupait que de réorganiser ses forces, et demandait des secours au Sultan pour recommencer la lutte. Soliman, qui avait toujours eu confiance dans le génie des Barberousse, ordonna à Dragut de se porter avec soixante galères sur les côtes du Maroc ; mais, pendant que ce mouvement s'exécutait, Doria, gagnant l'ennemi de vitesse, avait attaqué et enlevé de vive force le Peñon de Vêlez, et le débarquement de l'armée ottomane devenait impossible.

1. Ici il importe de dire que, contrairement aux assertions d'Haëdo, le grand vizir Rostan fut toujours le protecteur d'Hassan ; il avait été un des plus grands amis de son père, qui lui avait légué une grande partie de ses Liens. Du reste, il est prudent de ne pas se fier à Haëdo, lorsqu'il cherche à expliquer les mutations des gouverneurs ; il ne fait le plus souvent que répéter des bavardages de janissaires ou de captifs, aussi peu capables les uns que les autres de savoir ce qui se passait au Grand-Divan. Comme enregistreur de faits, l'auteur de l'Epitome de los Reyes de Argel est un guide souvent utile ; mais on n'a pas besoin d'étudier de bien près ses appréciations personnelles pour voir combien le sens critique lui faisait défaut.
2. Il est à remarquer que, suivant les historiens espagnols eux-mêmes Abd-el-Aziz, imitant en cela l'exemple d'anciens princes ottomans, laissait, à ses auxiliaires chrétiens le libre exercice de leur religion.
3. La présence des Chevaliers de Malte français dans les rangs des ennemis de l'Islam, alors que la France elle-même était l'alliée de la Porte, ne cessa pas d'engendrer des complications diplomatiques, qui eurent quelquefois de très facheux résultats. Voir, entre autres, les Négociations, d. c, t. IV, p. 502, 520, 550.
4. Le décret qui interdisait aux Colouriis de devenir Kerassa, c'est-à-dire d'occuper les grandes charges, a été certainement élaboré au Divan des janissaires, à une date qu'il est difficile de déterminer exactement, mais qu'on peut fixer sans trop d'erreur à la fin du XVIe siècle ; les auteurs de cet édit voulurent le revêtir d'un caractère sacré, et en attribuèrent l'idée première au Glorieux Aroudj, sans même considérer que, du temps d'Aroudj, il n'y avait pas encore de Colourlis. Il aurait agi, dit (après d'autres) M. Walsin-Esterhazy, sous l'inspiration du Ouali Sidi Abd-er-Rahman-et-T'salbi ; cette opinion ne peut pas être prise au sérieux, car le célèbre marabout était mort plus de quarante ans avant l'arrivée des Turcs à Alger.

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Mis en ligne le 25 octobre 2011

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