Kheïr-ed-Din succéda à son frère du consentement unanime de ses anciens compagnons. Jamais homme ne se trouva dans une position plus difficile que celle dans laquelle venait de le mettre la défaite et la mort d'Aroudj. Celui-ci avait, en effet, emmené avec lui la plus grande partie des meilleurs combattants, et son insuccès avait détourné de sa cause les alliés douteux, qui ne respectaient en lui qu'un vainqueur. Son frère avait donc à craindre à la fois la révolte de ses voisins, l'insoumission des populations conquises et les efforts de l'Espagne, qui eut du profiter de la victoire pour chasser immédiatement d'Alger les quelques Turcs qui s'y trouvaient encore. Malheureusement pour elle, les troupes qui venaient de faire le siège de Tlemcen furent rapatriées, et Barberousse(1), qui avait été un instant assez découragé pour songer à s'embarquer pour Constantinople, reprit rapidement son sang-froid habituel.

Les petites villes de Cherchel et Tenès s'étaient révoltées, sous le commandement de leurs anciens cheiks ; il y envoya tout de suite quelques détachements, qui rétablirent l'ordre avec la dureté familière aux Turcs. Il ne pouvait pas songer en ce moment à apaiser l'insurrection kabyle, dirigée par Ahmed-ben-el-Kadi, qui craignait de se voir châtié de sa récente défection ; car il n'avait pas assez de forces pour entreprendre cette campagne ; il dut donc remettre à plus tard le soin de sa vengeance, et chercher à se procurer les hommes et les munitions qui lui manquaient, et qui lui étaient d'autant plus indispensables que Bou-Hammou marchait sur Alger, et avait déjà soumis tout l'Ouest jusqu'à Miliana.

Aussitôt après avoir reçu la nouvelle de la mort de son frère, Kheïr-ed-Din avait fait partir pour Constantinople des envoyés, chargés d'offrir au sultan Sélim la souveraineté du royaume d'Alger. Dans la lettre qu'il lui faisait parvenir, il se déclarait son vassal et lui demandait de le couvrir de sa protection, lui assurant en échange son obéissance, et lui jurant fidélité.
Le Sultan accepta cet hommage, lui envoya de l'artillerie, deux mille soldats armés de mousquets, et autorisa l'embarquement de volontaires, auxquels il assura les droits et privilèges dont jouissaient les janissaires de la Porte. Cette faveur, jointe à la renommée guerrière des Barberousses, et à l'espoir du butin qu'on pouvait faire sous leurs ordres, attira dans la Régence quatre mille Turcs armés de mousquets, force plus que suffisante pour parer aux premières éventualités. Il était temps pour Kheïr-ed-Din que ces auxiliaires lui arrivassent ; car les Algériens semblaient vouloir profiter de l'occasion pour reconquérir leur indépendance(2), A cette époque, le petit port d'Alger, étant très peu sûr, et se trouvant d'ailleurs commandé par le canon du Peñon, les Reïs avaient pris l'habitude de tirer leurs galères sur le sable de la plage, entre la porte Bab-el-Oued et l'embouchure de l'Oued-M'racel. Les Algériens s'entendirent avec les tribus voisines, et convinrent avec elles de profiter d'un jour de marché pour incendier la flotte et exterminer leurs nouveaux maîtres. Les Arabes de la plaine devaient entrer dans la ville avec des armes cachées, et, au moment où les Turcs seraient sortis pour éteindre le feu mis à leurs navires, fermer les portes du rempart, et se précipiter sur les Reïs désarmés.
Le complot, sans doute éventé par quelques espions, vint à la connaissance de Kheïr-ed-Din, qui fit saisir les principaux meneurs, dont les têtes, exposées aux portes de son palais, calmèrent l'effervescence de la population, qui, depuis ce temps, n'essaya plus de se soustraire à la domination du vainqueur.

Cependant Charles-Quint, cédant aux sollicitations du gouverneur d'Oran, venait de donner l'ordre à don Hugo de Moncade, vice-roi de Sicile, d'assembler une armada de quarante navires montés par environ cinq mille hommes de vieilles troupes. Ces forces étaient destinées à s'emparer d'Alger, que le roi de Tlemcen avait promis d'attaquer par terre, à la tête de ses sujets. Moncade était un capitaine résolu et expérimenté, qui avait rendu les plus grands services en Italie sous les ordres de Gonzalve de Cordoue ; il réunit rapidement ses troupes, et partit de Sicile en juillet 1519 ; on lui avait malheureusement adjoint Gonzalvo Marino de Ribera, avec lequel il eut de fréquents désaccords, qui entraînèrent la ruine de l'expédition. Il débarqua vers le milieu d'août sur la rive gauche de l'Harrach ; en même temps, il envoyait un petit corps prendre position à l'ouest de la ville. Cinq ou six jours se passèrent en escarmouches ; le 18, l'armée espagnole avait gravi le Koudiat-es-Sahoun (fort l'Empereur), sur la crête duquel elle s'était retranchée, avait construit des batteries, et commençait à canonner les remparts, en attendant le roi de Tlemcen, qui parait avoir manqué à la parole donnée, ou, tout au moins, n'être pas arrivé à temps. Moncade voulait attaquer sans plus tarder ; Gonzalvo Marino s'y opposa. Sur ces entrefaites, Barberousse envoya un petit corps de cinq cents hommes faire la démonstration d'incendier les barques et les approvisionnements qui avaient été halés sur la plage ; lorsqu'il vit le corps principal sorti de ses retranchements, il fondit impétueusement sur lui, le mit en déroute, l'accula au rivage, lui tua un très grand nombre d'hommes, et força les autres à s'embarquer. Cette dernière opération s'exécuta le 23 ; mais, contrariée par le mauvais état de la mer, elle devint longue et difficile ; le désordre fut à son comble, et quelques bataillons de vieilles troupes furent tellement démoralisés, qu'ils se rendirent sans combattre ; les Turcs les massacrèrent impitoyablement, par représailles, dirent-ils, de la trahison qui avait coûté la vie à Isaac.

Vingt-six des plus beaux vaisseaux furent jetés à la côte, et les Turcs s'emparèrent des marins et des soldats qu'ils contenaient. Cette victoire sauva de la perte la plus complète le nouveau souverain, contre lequel toute l'Afrique se soulevait en ce moment. Le sultan de Tunis, auquel Alger appartenait de droit, sinon de fait, avait toujours considéré les Barberousse comme des vassaux révoltés, et voulait profiter de la mort d'Aroudj pour reconquérir ses États. En conséquence, il avait invité Ahmed-ben-el-Kadi à rassembler ses contingents, et celui-ci, qui se méfiait de la clémence de Kheïr-ed-Din, et qui désirait d'ailleurs augmenter sa puissance, s'était empressé d'obéir. En même temps, l'armée tunisienne marchait sur Alger, en traversant la Kabylie.

Barberousse se porta à la rencontre de l'ennemi, qu'il atteignit sur le territoire des Flissas-Oum-el-Lil. Son armée se composait de ses Turcs et des Kabyles d'Ahmed, qui attendait le moment de l'action pour se démasquer. En effet, le combat était à peine engagé contre les Tunisiens, que le chef de Kouko se précipita sur les Turcs. Ceux-ci se trouvèrent ainsi pris entre deux feux, et furent mis en complète déroute ; très peu d'entre eux échappèrent au massacre ; Barberousse lui-même se vit couper la route d'Alger, et fut forcé de se réfugier à Djigelli. Quand il y fut arrivé, il envoya précipitamment l'ordre à ses vaisseaux de l'y rejoindre, avec ses trésors, et les quelques janissaires qu'il avait laissés à Alger, où il n'osait plus rentrer, n'ayant plus d'armée, et connaissant les mauvaises dispositions des citadins et des populations voisines. Ahmed-ben-el-Kadi poursuivit sa marche victorieuse à travers la Mitidja, qu'il dévasta, et entra dans Alger, où il ne tarda pas à se rendre aussi insupportable aux habitants que les Turcs eux-mêmes. En même temps, Cherchel et Ténès se révoltaient de nouveau.

Kheïr-ed-Din, réfugié à Djigelli, s'y occupa à reconstituer ses forces ; il reprit son ancienne position des îles Gelves, où ses galères trouvaient un refuge plus vaste et plus sûr que celui que leur offrait le petit port kabyle, et, afin d'attirer à lui assez de volontaires pour remplacer ceux qu'il venait de perdre ; il reprit la Course, à laquelle il donna la plus grande impulsion. De 1520 à 1525, il ravagea la Méditerranée, y fit un énorme butin, grâce à l'attrait duquel de nouveaux aventuriers ne tardèrent pas à venir se ranger en foule sous ses drapeaux.
Pendant ce temps, il s'était emparé de Collo, de Bône, qu'il avait fortifiées, et où il avait mis garnison ; il se vit bientôt assez fort pour marcher sur Constantine, dont il s'empara aisément. De là, réunissant à Djigelli toutes les forces dont il pouvait disposer, après avoir reçu la nouvelle que les Algériens, exaspérés par les exactions des Kabyles, le regrettaient, il marcha sur Ahmed-ben-el-Kadi, qui sortit à sa rencontre, et vint lui disputer le passage de l'Oued-Bougdoura. Le sultan de Kouko fut complètement battu ; il essaya de rallier son armée au col des Beni-Aïcha ; le combat recommença le lendemain, et, après quelques alternatives de revers et de succès, Ahmed fut massacré par ses propres troupes, qui apportèrent sa tête au vainqueur en signe de soumission. Son frère Hussein lui succéda, et continua la lutte pendant deux ans, mais sans succès.

Constantine s'était révoltée en 1527 contre la garnison turque, dont le caïd avait été assassiné ; les survivants se défendaient avec peine contre les citadins insurgés, alliés aux Kabyles et aux tribus du Hodna. Cependant Barberousse, qui était entré sans opposition à Alger à la suite de sa victoire, s'occupait à réprimer les rébellions. Il fît empaler les deux chefs de Ténès et de Cherchel, châtia vigoureusement la Kabylie et le Hodna, et punit la révolte de Constantine avec une telle rigueur, qu'en 1528, les jardins avoisinant cette ville étaient devenus une forêt peuplée de bandits et de bêtes fauves. L'année suivante, le nouveau sultan de Kouko, Hussein, qui se trouvait à bout de forces, et qui venait de perdre sa famille et ses trésors, ravis par un heureux coup de main, fit sa soumission et obtint son pardon moyennant un tribut annuel de trente charges d'argent. Les Beni-Abbès demandèrent de même l'aman, qui leur fut accordé.

Kheïr-ed-Din, redevenu le maître incontesté de la province, délivré des craintes que pouvaient lui inspirer ses voisins, songea à se débarrasser de la garnison espagnole du Peñon, dont l'existence était pour lui tout à la fois une humiliation et une gêne cruelle. Depuis qu'il avait fait de la Course un de ses principaux moyens d'action, et qu'il entretenait en mer une vingtaine de galères de guerre, il avait compris qu'il lui fallait un port où elles eussent la facilité de s'abriter et se ravitailler, et dans lequel on pût déposer sûrement le butin conquis. C'était ce qu'il avait jadis cherché aux Gelves et à Djigelli, et ce qu'il voulait fonder à Alger, maintenant qu'il y voyait son pouvoir assuré. Le commandant du Peñon était alors un vieux capitaine, nommé Don Martin de Vargas ; le fort se trouvait assez mal armé et très pauvrement approvisionné ; l'incurie de l'administration espagnole n'avait pas épargné ce poste important ; on manquait de tout, même d'eau, qu'il fallait faire venir de Mayorque, et qui n'arrivait pas toujours. Le gouverneur, averti de l'orage qui allait fondre sur lui, avait depuis longtemps réclamé des secours et des munitions, qui ne lui parvinrent pas à temps. Au commencement de mai 1529, Kheir-ed-Din commença l'attaque, en installant deux batteries en face de l'îlot, qu'il canonna vigoureusement pendant vingt jours consécutifs.

Tout d'abord, il avait fait sommer Don Martin de se rendre, mais en vain ; la petite garnison fut très éprouvée par un feu violent, auquel elle ne put bientôt plus répondre, faute de poudre et de projectiles ; le jour de l'assaut, sur les cent cinquante hommes qui la composaient, il n'en restait pas un seul sans blessures. Le vendredi 27 mai(3), la brèche étant praticable, Kheïr-ed-Din attaqua le Peñon de tous les côtés à la fois avec quarante-cinq embarcations chargées de monde. La résistance fut héroïque ; le vieux Vargas, tout ensanglanté, l'épée à la main, se tint au premier rang sur la brèche jusqu'à la fin, et, lorsque l'ennemi parvint à forcer l'entrée après une journée de lutte désespérée ; il ne trouva dans l'enceinte que vingt-cinq hommes vivants, mais complètement hors de combat.

Barberousse abusa cruellement de sa victoire en faisant mourir sous le bâton le brave capitaine, qui avait survécu à la belle défense dans laquelle il s'était si peu épargné. Aussitôt qu'il se vit le maître du Penon, il fit raser la chemise crénelée qui entourait l'îlot, ne conservant que les tours rondes, sur lesquelles il plaça un fanal et une batterie ; il se servit des déblais pour relier entre eux les petits écueils qui formaient une ligne presque droite entre l'îlot du fort et la côte ; il construisit ainsi un môle qui porte encore aujourd'hui son nom, et cet ouvrage, complété par une petite jetée perpendiculaire, servit à garantir le port d'Alger des vents du nord et du nord-ouest, si terribles dans ces parages.
A partir de ce moment, les vaisseaux corsaires purent hiverner dans cet abri, sous le canon de la place, et y défier les tempêtes. Dès ce jour, Alger devenait ce qu'elle n'a pas cessé d'être jusqu'à 1830, la terreur de la Méditerranée, et le refuge préféré des corsaires barbaresques ; la Régence était définitivement fondée.

La prise du Peñon eut, dans toute l'Afrique du Nord, un immense retentissement ; les Kabyles marchèrent sur Bougie, qu'ils investirent ; mais ils furent repoussés par Ribera, qui commandait alors la place. A Tlemcen, cet échec des Espagnols produisit le même effet. Après la mort d'Aroudj, Bou Hammou avait été replacé sur le trône par le gouverneur d'Oran, et avait promis de payer tribut et d'approvisionner les garnisons chrétiennes.
Il tint à peu près sa parole pendant toute la durée de son règne ; lorsqu'il mourut, sept ou huit ans après avoir repris possession de son royaume, son frère Abd-Allah lui succéda, et ne songea, dès les premiers jours, qu'à se soustraire à ses engagements. Il est juste de dire qu'il se trouvait dans une position fort embarrassante, en proie aux exigences excessives des Espagnols, et à la mauvaise volonté de ses sujets, qui lui reprochaient de se faire le serviteur des chrétiens. Aussi, en apprenant les derniers succès de Barberousse, qui l'avait plusieurs fois menacé de le renverser, il s'insurgea ouvertement, et refusa le tribut et les vivres, prenant pour prétexte les exactions et les razzias dont ses sujets étaient victimes(4).

Son fils Mohammed se révolta alors contre lui, implora à la fois l'appui de l'Espagne et celui du sultan de Fez, et soutint la lutte contre son père pendant près de deux ans ; à l'aide de quelques tribus insurgées, il le bloqua même un instant dans Tlemcen. Le marquis Luis de Comarès avait excité contre lui, par sa mauvaise administration, des plaintes nombreuses parmi la population d'Oran, que ses gens maltraitaient et pillaient impunément. A la suite des rapports qui furent envoyés contre lui par les délégués royaux, il se rendit à Valladolid, au moment où sa présence eût été le plus nécessaire pour éteindre l'incendie qui commençait à s'allumer dans toute la province. En Espagne, l'émotion causée par les succès des Turcs avait été vive ; les populations des côtes adressèrent à la Cour suppliques sur suppliques pour obtenir d'être débarrassées d'un ennemi toujours prêt à fondre sur elles, et, dès 1530, l'expédition d'Alger fut résolue en principe. Il fallait d'abord s'assurer un point de débarquement, et l'amiral André Doria le choisit à Cherchel, dont le petit port avait été naguère fortifié par Aroudj. Il partit de Gênes en juillet 1531, avec vingt galères, débarqua quinze cents hommes sur le rivage voisin de la ville, qu'il envahit par surprise, brisant les fers de sept ou huit cents captifs, qui y étaient employés à la construction d'un môle, et qui se réunirent à leurs libérateurs ; les janissaires eurent à peine le temps de se jeter dans la citadelle. Le succès eût été complet, si les troupes ne se fussent pas débandées pour piller ; ce que voyant les Turcs, ils se précipitèrent sur les assaillants à la faveur du désordre, et firent un grand carnage des chrétiens ; en même temps, le fort ouvrit le feu sur les galères de Doria, qui, voyant la partie perdue, se rembarqua précipitamment, laissant six cents hommes aux mains de l'ennemi.

Kheïr-ed-Din, désireux d'assurer la paix dans l'est, avait noué depuis longtemps des intelligences avec les principaux habitants de Tunis, très mécontents de leur roi Muley-Hassan, qui s'était fait détester et mépriser de tous par sa tyrannie et ses débauches. En août 1533, il laissa le gouvernement d'Alger à son Khalifat Hassan-Aga, auquel il adjoignit comme auxiliaires Hadj Becher et Ali-Sardo ; après s'être assuré du consentement de la Porte, qui lui envoya à Bône quarante galères, huit mille hommes, et une forte artillerie, il prit lui-même la route de terre avec dix-huit cents ioldachs, six mille cinq cents Grecs ou Albanais, et six cents renégats, pour la plupart Espagnols ; il en avait fait sa garde particulière. Il s'arrêta sur son passage pour calmer une nouvelle effervescence qui s'était déclarée dans la province de Constantine ; et, se rembarquant ensuite à Bône, il arriva le 16 août 1534 à la Goulette, qu'il attaqua immédiatement. Il n'avait rencontré de résistance qu'à Béja, où les Tunisiens lui avaient tué quelques hommes.

Le roi Muley-Hassan, qui s'était enfui à la nouvelle de l'arrivée de l'ennemi, revint le 18 août avec un millier de cavaliers ; le combat eut lieu devant Bab-ed-Djezira ; les Tunisiens restés fidèles au roi, tinrent bon pendant toute cette journée et la moitié delà suivante ; les Turcs, demeurés vainqueurs après cette sanglante affaire, entrèrent dans la ville de vive force, et la pillèrent à fond(5). Le royaume se soumit entièrement, presque sans coup férir. Kheïr-ed-Din s'occupa, aussitôt installé, de fortifier la ville et de récolter dans la province l'argent dont il avait besoin pour l'entretien de son armée ; il excita ainsi contre lui le mécontentement de la population. Il lui eût été cependant difficile d'agir autrement qu'il ne le fit ; car il venait de voir combien la milice indisciplinée qu'il commandait pouvait être dangereuse à certains moments ; le 23 octobre, les janissaires s'étaient révoltés contre lui à cause du retard de la solde ; il faillit perdre la vie dans cette émeute et fut forcé d'apaiser les rebelles à prix d'or ; ils recommencèrent le 28 novembre ; mais cette fois le général avait pris ses précautions ; il les fit charger par ses renégats, qui en tuèrent cent quatre-vingts, et pendirent les prisonniers aux créneaux de la place.

Charles-Quint se décida à agir, et il était grand temps qu'il le fit ; car de tous côtés, les Arabes s'insurgeaient contre l'Espagne. Muley-Mohammed, qui, en 1534, avait succédé à son père, et qui régnait à Tlemcen, s'était d'abord allié secrètement aux Turcs, refusant le tribut elles vivres ; puis, à la nouvelle de la prise de Tunis, il avait entièrement jeté le masque, et tentait le 25 mai d'enlever Mers-el-Kébir par surprise(6), Le marquis Luis de Comarès, qui sollicitait depuis longtemps son rappel, venait de l'obtenir, et avait été remplacé à Oran par le comte d'Alcaudete, excellent capitaine, qui s'opposait de tout son pouvoir aux progrès de l'insurrection, mais qui n'avait pas assez de monde pour occuper fortement la province ; en attendant que les forces nécessaires lui fussent envoyées, il favorisait la révolte d'Abd-Allah, frère de Mohammed, qu'il tenait ainsi momentanément en échec. La première campagne ne fut pas heureuse ; les partisans d'Abd-Allah furent battus deux fois de suite, à Tibda et au Chabet el-Lham ; dans ce dernier combat, un détachement de six cents Espagnols, placés sous les ordres de don Alonso Martinez, fut entièrement massacré(7).


http://www.lesmanantsduroi.com/articles2/article32328.php

Charles-Quint, après avoir assemblé une armada de quatre cents navires, vingt-six mille fantassins et deux mille chevaux, s'embarqua à Barcelone le 2 juin 1535, rallia sa flotte à Cagliari le 10 du même mois, en partit le 13, arriva le 14, et investit aussitôt la Goulette ; elle avait été solidement fortifiée ; mais Tunis même ne l'était pas. Après quelques escarmouches, Barberousse sortit en rase campagne avec ses Turcs ; en même temps, les goums attaquaient l'armée impériale par derrière et sur les flancs ; la Goulette fut prise d'assaut par les Espagnols, le 14 juillet ; le 20, au moment où le combat devant Tunis s'engageait, douze mille captifs chrétiens, qui étaient détenus dans la ville, brisèrent leurs fers, et, sous le commandement du capitaine Paul Siméon, se jetèrent sur les janissaires, déjà fatigués et très éprouvés par la lutte, et s'emparèrent d'une partie des remparts et d'un château fortifié ; cette attaque inopinée mit les Turcs en déroute.
Barberousse, craignant d'être enveloppé, ne chercha pas à rentrer dans la place ; il prit rapidement avec ses trésors le chemin de Bône, où il avait laissé ses galères, s'embarqua à la hâte, et, tandis qu'on le croyait en fuite vers Constantinople, il se dirigea sur Minorque, s'empara de Mahon, saccagea la ville et la côte, et y fit plus de six mille captifs, qu'il ramena triomphalement à Alger, où on le considérait déjà comme perdu. Pendant ce temps, Doria, arrivé trop tard à Bône, cherchait en vain où pouvait être son audacieux ennemi ; il s'emparait toutefois de la ville, et y laissait huit cents hommes de garnison sous les ordres d'Alvar Gomez (el Zagal).
Kheïr-ed-Din avait été bien inspiré dans la conduite de sa retraite ; car s'il eût pris la route de terre, il eût sans doute été arrêté aux Portes de Fer par le sultan de Kouko, qui s'était laissé gagner par le gouverneur de Bougie, et avait promis de couper la route d'Alger aux Turcs en fuite(8).

Le 15 octobre de la même année, obéissant aux ordres du sultan Soliman, il quitta Alger, et se dirigea vers Constantinople, où il fut nommé Grand Amiral. Le reste de sa vie n'appartient pas à l'histoire de l'Algérie et fut consacré au service du sultan, dont il commanda les flottes jusqu'à sa mort ; il conserva cependant le titre et les prérogatives des Beglierbeys d'Afrique.
En 1546, il était âgé d'environ soixante-seize ans, lorsqu'il fut brusquement enlevé le 4 juillet à la suite d'une courte maladie. Il possédait des trésors immenses. Sans parler des grands biens qu'il légua à son fils Hassan, et de ses riches palais du Bosphore, il laissa à Roustan Pacha 210,000 sequins et 10,000 autres à son neveu Mustapha, affranchit tous ses esclaves âgés de plus de quinze ans, offrit les huit cents autres au sultan, avec trente galères tout armées. Il consacra en outre 30,000 sequins à l'embellissement de sa mosquée, située à Buyukdéré, où il fut enterré.

Kheïr-ed-Din peut être considéré comme le véritable fondateur delà régence d'Alger ; son frère Aroudj avait compris le premier que le conquérant de la côte ne peut y régner effectivement qu'à la condition absolue d'être le maître incontesté de l'intérieur. Cette tradition resta celle du second Barberousse, qui consacra sa vie toute entière à assurer l'unité du pouvoir. Il y employa ses grandes facultés, son courage, sa finesse, et surtout l'indomptable fermeté qui lui permit de résister à tant d'ennemis, dans des circonstances si difficiles. Le rêve de toute sa vie fut la fondation d'un vaste empire, composé de toutes les provinces de l'Afrique du nord(9). Cet État fût devenu une puissance maritime de premier ordre, et eut assuré la suprématie de l'Islam sur la Méditerranée. Il était parvenu à convaincre le sultan Soliman, qui avait pour lui une affection toute particulière ; mais la méfiance jalouse du Divan et la diplomatie de nos ambassadeurs vinrent entraver à plusieurs reprises ses commencements d'exécution. Il légua ce grand projet à ses successeurs, qui furent, comme nous le verrons, arrêtés par les mêmes obstacles. Il leur légua également sa défiance des janissaires, dans l'orgueil et la turbulence desquels sa clairvoyance devinait l'abaissement et la ruine future de la Régence, et qu'il eut toujours soin de contenir, en les entourant de forces supérieures.
C'est de lui que datent les premières relations de la Régence avec la France, dont il fut longtemps l'ami ; il reçut en ambassade Jean de Monluc, Saint-Blancard, La Garde et La Forest, fut pendant près de dix ans le chef du parti français au Grand Divan, et ne cessa ses relations affectueuses avec nos ambassadeurs que le jour où il apprit que le roi leur avait donné l'ordre de s'opposer à ce qu'il fut investi du commandement suprême de l'Afrique septentrionale, objet de sa suprême ambition. Il ne laissait qu'un fils, Hassan, qu'il avait eu d'une Mauresque d'Alger.

1. Le surnom de Barberousse fut donné à Kheïr-ed-Din lui-même, et non à son frère Aroudj, ainsi que cela est démontré par les textes, et notamment par plusieurs passages du R'azaouat, ouvrage écrit par Sinan-Chaouch sous les yeux du Capitan-Pacha, et d'après ses indications. Cette remarque est devenue nécessaire, depuis que quelques abstracteurs de quintessence, trouvant trop simple d'attribuer le surnom donné au fils de Iakoub à la couleur de sa barbe, ont proposé et imposé à des gens trop crédules l'étymologie de Baba-Aroudj. Ils eussent évité cette erreur, en étudiant la correspondance diplomatique dans les Négociations de la France dans le Levant (Charrière, Documents inédits) car ils y eussent vu que Kheïr-ed-Din y est désigné par les vocables de Barberousse, Barbarossa, OEnobarbus, et que le Sultan lui-même le nomme : Notre amiral à la barbe rousse, ce qui ne laisse aucun doute sur l'origine du mot.
2. Haëdo parle de cette révolte des Algériens, et dit qu'elle a eu lieu du temps d'Aroudj ; mais l'auteur du Razaouat est plus croyable, ayant été plus à même de contrôler les renseignements recueillis sur des événements qui lui étaient contemporains.
3. Voir les Documents sur l'occupation espagnole, déjà cités (Revue africaine, an. 1875, p. 163) ; lettre de D. Pedro de Godoy à Alarcon, datée du 7 juin 1529. Elle rectifie la date du 21 mai, qu'on avait adoptée jusqu'ici comme celle de la prise du Peñon.
4. Loc. cit. Voir la lettre de Muley Abd-Allah au corrégidor d'Oran (an. 1875, p. 169).
5. Loc, cit. Voir la relation de Iribes (an. 1875, p. 344).
6. Loc. cit. Voir la lettre de Malgarejo à l'empereur (an. 1875, p. 280).
7. Loc. cit. Voir la lettre de Ben Redouan au comte d'Alcaudete (an. 1875, p. 358).
8. Loc. cit. Voir la lettre de l'empereur au commandant de Bougie (an. 1875, p. 495).
9. Voir les Négociations de la France dans le Levant, d. c. (T. I, p. 248-90.)

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Mis en ligne le 11 octobre 2011 - Modifié le 20 novembre 2011

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