Le Conseil économique et social
LES ASPECTS MATÉRIELS (II)

II - LE PROBLÈME DE L'ENDETTEMENT (PRÊTS DE RÉINSTALLATION ET DE CONSOLIDATION)

Dès 1962 ont été distribués des prêts dits de réinstallation aux rapatriés agriculteurs, commerçants, professions libérales ou artisans. Beaucoup d'entre eux ne disposaient pas de fonds propres à leur retour. Des terres en France métropolitaine ont été allouées aux rapatriés (soit des friches, soit dans des régions que quittaient les agriculteurs français et d'ailleurs dénommées " zones de départ "). D'autres ont racheté des exploitations agricoles. Dans une période de forte restructuration de l'agriculture et de chute du revenu agricole (de 1972 à 1987, le pouvoir d'achat du revenu net d'entreprise agricole a diminué de 1,8 % par an), il a toutefois été très difficile de mettre ces terres en valeur, de moderniser les exploitations et d'en tirer un profit suffisant pour rembourser les prêts de réinstallation (prêts de l'État ou prêts complémentaires à taux de marché) d'autant que les prix de vente à l'hectare étaient parfois excessifs en raison de la spéculation induite par le retour des rapatriés.

Les commerçants, artisans et professions libérales ont généralement mieux réussi leur réinstallation, l'inflation allégeant leur dette à taux fixe, même si certains ont échoué, comme d'autres entreprises métropolitaines ont fait faillite. Les prêts bonifiés avec différés d'amortissement accordés par l'État atteignaient au maximum 200 000 francs ; ils devaient donc souvent être assortis de prêts complémentaires bancaires, au taux du marché.

Ainsi, en 1969, à l'échéance du différé d'amortissement, il a été décidé d'accorder un moratoire avec suspension des poursuites pour non-paiement dans l'attente des indemnisations (censées permettre le remboursement des prêts). Cette mesure a été couplée avec la loi d'indemnisation de 1970, indemnisation sur laquelle l'État a imputé les arriérés de remboursement impayés (article 46 de la loi du 15 juillet 1970, loi n° 70-632).
Ce moratoire a depuis été plusieurs fois prorogé et demeure aujourd'hui. En 1977, face au maintien des impayés, une autre logique s'est substituée à celle-ci : il a été décidé de procéder à des remises de dettes. La commission instituée à cet effet Commission de remise et d'aménagement des prêts (CRAP) a examiné environ 4 000 dossiers.

Un aménagement a encore été apporté à la procédure en 1986. Il est alors stipulé dans la loi de finances rectificative que le solde restant dû sur les prêts de réinstallation et complémentaires serait effacé et les autres dettes seraient consolidées (hors dettes fiscales).
L'action entreprise à partir de 1987 a été décisive car elle a permis des effacements de dettes et des consolidations. Elle a consisté à regrouper dans une commission tous les acteurs, créanciers compris, afin de trouver des solutions adaptées. Au total, 10 000 dossiers ont été traités pour l'équivalent d'environ un milliard d'euros et 800 dossiers ont été orientés vers les Commissions départementales du passif des rapatriés (CODEPRA).
Toutefois, le fonctionnement de la commission n'a pas permis de venir à bout du problème.

En 1994, cette commission a été transformée en Commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés (CODAIR) afin de gagner en proximité ; 500 dossiers ont pu être réglés pour 162 millions de francs de l'époque par une procédure de répartition de l'effort entre les parties et une aide (plafonnée) de l'État. Toutefois, cette décentralisation a induit des traitements inégalitaires dénoncés par certaines associations.

En 1999, il a en conséquence été décidé de recréer une commission nationale : la Commission nationale d'aide au désendettement des rapatriés réinstallés dans des professions non salariées (CNAIR) présidée par un magistrat de la Cour des comptes. Les préfets instruisent les dossiers et constatent l'accord ou le non-accord entre le débiteur et les créanciers sur le plan d'apurement et transmettent ensuite le dossier à la CNAIR. Celle-ci propose au ministre en charge des rapatriés d'accorder une aide de l'État pour permettre un désendettement global et définitif.
Les critères de recevabilité sont les suivants :

- être rapatrié réinstallé ou mineur repreneur de l'activité de réinstallation ; - être propriétaire d'une entreprise rencontrant de graves difficultés financières ou économiques ; - être débiteur de prêts liés à l'exploitation antérieurs à 1999. Initialement fixée au 1er août 1999, la date limite de dépôt des dossiers a été repoussée au 28 février 2002. Ainsi, 3 145 nouveaux dossiers ont été déposés et 718 ont été agrées (23 % des demandes). Dans l'attente d'une décision définitive, les poursuites étaient suspendues. Cette procédure a coûté l'équivalent de 26 millions d'euros.

En 2006 cependant, la Cour de cassation a atténué le principe de suspension provisoire des poursuites en estimant qu'il était contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme stipulant que chaque partie (et donc les créanciers également) a droit à un jugement " rapide ".
En novembre 2006, un décret a instauré la suspension des poursuites au bénéfice des seuls dossiers éligibles, avec une limitation dans le temps (six mois après la saisie de la commission par le créancier). Aujourd'hui, il ne reste que quelques dossiers concentrés dans quelques régions, avec le cas particulier de la Corse (qui dispose par ailleurs d'une procédure spécifique de désendettement de l'agriculture).
Ces dossiers sont peu nombreux. Il en resterait 719 dont 365 ont fait l'objet d'un rejet. Si on leur applique le montant moyen d'indemnisation (64 000 euros), cela reviendrait à un coût global de 46 millions d'euros.

Le 23 mars 2007, une mesure a permis aux préfets d'éviter la vente de la résidence principale d'un réinstallé ou son expulsion. Toutefois, pour en bénéficier, le rapatrié ne doit pas avoir eu une aide au désendettement sauf les remises de dettes prévues par l'article 44 de la loi de 1986. Cette mesure n'a guère trouvé d'application pratique, beaucoup ayant bénéficié d'une telle aide.

Enfin, des rapatriés ne sont actuellement plus saisis, en raison de leur âge (supérieur à 80 ans) ou de leur état de santé.
Il convient donc désormais de mettre un terme à ces trop longs atermoiements qui témoignent d'un échec de ces procédures. Il existe enfin le cas particulier des prêts de consolidation regroupés désormais à la trésorerie de Châtellerault. Ces prêts correspondent à des créances du Trésor public qui les a enregistrées après s'être substitué aux banques créditrices, les rapatriés ayant été incapables de régler ces dettes. Le plus souvent, il s'agissait à l'origine de prêts destinés à financer l'achat d'une exploitation agricole, d'outillage, d'une boutique, ainsi que de financer le fonds de roulement de l'entreprise. Il reste 27 dossiers de ce type représentant au total 7,88 millions d'euros dont 3,56 millions d'euros de principal.

Solution proposée

Les banques créancières ont très certainement provisionné les risques de cette nature. Dans un souci d'apaisement des débiteurs mais aussi de simplification administrative pour l'État et les créanciers, il est proposé d'achever de traiter rapidement les 354 dossiers classés " éligibles " en établissant des plans de refinancement avec l'accord des créanciers. Pour y parvenir, l'État devrait user de son influence. Il s'agit le plus souvent de cas atypiques de personnes qui se sont manifestées tardivement, notamment après 1999, et qui n'ont pas suivi les procédures habituelles (installation hors de " zones de départ ", dette d'origine restructurée, circuits financiers particuliers...).

Conseil Economique et Social"



Mis en ligne le 08 mai 2011
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