La colonisation maritime française en Algérie

L'Algérie conquise et son littoral de près de 13000 kilomètres, pouvait paraître offrir un nouveau champ d'activité aux pêcheurs français et, de fait, les tentatives ne manquèrent pas de doubler la colonisation agricole d'une colonisation maritime. Dès 1843, le maréchal Soult, ministre de la Guerre et responsable de l'Algérie, envisagea d'y installer des colons maritimes.

Il évoquait bien une motivation économique mais en fait son principal mobile était d'ordre stratégique : fortifier la côte pendant que la colonisation progressait vers l'intérieur, afin qu'elle s'appuie sur un littoral bien peuplé. Un autre enjeu se situait à plus long terme : créer une " pépinière " de marins pour le recrutement des équipages de commerce et surtout de la flotte de guerre, ce qui impliquait l'obligation d'installer des Français.
Or les côtes n'étaient alors ni désertes, ni inexploitées. Certes les Musulmans ne pratiquaient guère la pêche, mais les Italiens y effectuaient depuis longtemps des campagnes régulières, et depuis l'établissement de la domination française, ils s'installaient à terre et leur nombre était en pleine progression.

Les autorités, au début, ne leur étaient pas défavorables, mais pour leurs grands projets elles tournèrent plutôt leurs regards vers les populations du nord, en faveur desquelles existait un authentique préjugé favorable : il fut question d'Irlandais, Bugeaud s'enflamma même pour les Suédois ; finalement on fit venir des Bretons, peuple " voué à la mer depuis des siècles ", considérés comme les meilleurs pêcheurs de France.
Trois tentatives furent réalisées de 1845 à 1848, à Kin Benian (futur Guyotville), Fouka et Sidi Ferruch. La concession de Sidi Ferruch fut accordée à un industriel nantais, qui s'était même fait fort de pratiquer la grande pêche aux Canaries ! Il fit bien venir hommes et bateaux de Bretagne, mais s'il empocha l'intégralité des subventions, il n'effectua que le minimum des travaux requis et ne créa pas un village, tout au plus un sommaire lieu de pêche, mal équipé, voué à péricliter rapidement. L'échec fut aussi cuisant dans les deux autres cas, mais sans donner lieu à un examen sérieux des causes des difficultés rencontrées.

La complexité de la colonisation maritime ne fut pas comprise, avec ses impératifs techniques et commerciaux, et sa dépendance à l'égard des voies de communication et de la proximité des grands centres de consommation, surtout à la saison chaude !

Pendant plusieurs années il ne fut plus question d'installer des pêcheurs de la métropole, seul l'amiral Gueydon fit deux tentatives, infructueuses, en 1871 à Sidi Ferruch et à Herbillon, perdu au bout de sa presqu'île, à une époque où il fallait par exemple plus de onze heures pour relier la Calle à Bône. Cependant le flux des pêcheurs italiens et espagnols se renforçait sans cesse, et en ce dernier quart du XIXe siècle, période d'orgueil national exacerbé, cette sur-représentation étrangère dans le domaine de la pêche, apparut comme insupportable.

Aussi l'administration applaudit-elle à l'initiative d'un commissaire à l'inscription maritime de Philippeville, qui entreprit de lui-même d'installer des bretons dans son syndicat.
Cette entreprise était plus commerciale dans sa conception, puisque le commissaire obtint l'appui de propriétaires de conserveries de Stora et Collo.
Malheureusement, dès le mois de mai 1892, sardines et anchois disparurent du golfe de Philippeville, et, fait rarissime, cette situation se prolongea. Les difficultés ne manquaient déjà pas : méconnaissance des fonds, des rochers ; des vents et courants, bateaux et matériel bretons inadaptés, hostilité des pêcheurs locaux, cherté des loyers ; l'absence de prises annihilait désormais tout espoir et acculait ces nouveaux venus, dont les plus chanceux purent se réfugier dans le pilotage, les Ponts et chaussées ou la conserverie, au chômage et à la misère.

Le rapatriement fut le lot de la plupart. Une autre tentative faite également à Philippeville avec des pêcheurs catalans connut la même défaveur. Sans se laisser décourager, le gouverneur Cambon, en invoquant les mêmes arguments que Soult cinquante ans auparavant, fit procéder de 1892 à 1896, à de nouveaux essais de colonisation maritime en fondant trois nouveaux centres non loin d'Alger, dans la région du cap Matifou : Jean Bart, Surcouf et Lapérouse.
L'administration fit procéder à de gros travaux d'adduction d'eau et consentit des avantages financiers importants aux nouveaux colons que l'on avait fait venir cette fois-ci, dans un souci de proximité géographique, des ports du Roussillon, de Provence et de Corse.

En vain, malgré aides et secours, certains prétendirent même à cause d'eux, les inévitables déceptions et difficultés provoquèrent le repli sur la métropole de la plupart des pêcheurs.
Cet échec fut plus cruellement ressenti que celui de Philippeville, car les espoirs avaient été exagérés et les dépenses inconsidérées.

On reparla encore de la venue de Bretons au début du siècle, alors que l'Algérie connaissait une vive agitation politique à laquelle participaient activement les émigrés " latins " ; le ministre de la Marine exprima même sa méfiance, en cas de conflit, à l'égard des marins naturalisés.
Des études furent menées, des délégations de pêcheurs parcourent les côtes, des contacts furent établis avec des industriels de la conserve. En fait les pêcheurs bretons ne cachèrent pas leurs réticences à s'aventurer sur ces rivages où leurs devanciers n'avaient pu réussir.
Surtout le gouvernement général exigea la participation financière des départements bretons qui refusèrent, mettant fin à l'entreprise. Daniel HICK,Conservateur du patrimoine au Centre des archives d'outre-mer (désormais A.N.O.M.).
Article extrait du Mémoire Vive n°2 - Janvier 1996

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Mis en ligne le 21 juin 2011
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