Les Israélites algériens, quoique devenus sujets français, ont toujours le droit d'opter pour les lois qui, avant la conquête de l'Algérie par la France, régissaient le statut personnel de leurs coreligionnaires. En conséquence, lorsqu'il est déclaré, en fait, qu'un testateur israélite a voulu tester d'après la loi de Moïse, c'est cette loi que les tribunaux français doivent appliquer. Les Israélites algériens peuvent toujours tester dans la forme rabbinique, nonobstant la suppression des tribunaux, aux pouvoirs desquels ont succédé les tribunaux français. Les Israélites algériens sont encore soumis, en ce qui touche leur statut personnel, aux conditions de la législation de Moïse (1).
Spécialement, le mariage entre Israélites algériens est régi par le droit mosaïque (2).
D'après le droit mosaïque, l'homme a le droit de prendre plusieurs femmes légitimes, et le mariage est un contrat essentiellement consensuel. Sa preuve peut résulter soit d'un acte dressé par les rabbins, soit d'un écrit sous seing- privé, soit de déclarations de témoins, soit même de la remise et de l'acceptation d'un symbole d'alliance. AUDIENCE SOLENNELLE (22 mai 1865) M. Judas de Ruben Zermati, appartenant a l'une des familles israélites d'Alger, épousa, le 30 août 1832, la demoiselle Ricca bent Zermati, sa nièce germaine. Ce mariage fut contracté sous l'empire de la loi de Moïse. De cette union naquirent plusieurs enfants. Sa première femme vivait encore, lorsque le 24 janvier 1847, M. Judas de Ruben Zermati s'unit par un second mariage a la demoiselle Ricca Tabet. Le second mariage fut vu d'un très mauvais œil et par la première femme et par la famille de celle-ci, qui mirent tout en œuvre pour détourner M. Judas de Ruben Zermati de contracter cette nouvelle union.
Les enfants du premier lit avaient été, à leur naissance, déclarés à l'état-civil d'Alger, comme nés de la dame Ricca bent Zermati et du sieur Judas de Ruben Zermati, unis en légitime mariage. Il n'en fut pas de même pour les enfants du second lit. Le premier né, Isaac Zermati qui vint au monde en février 1848 ne fut point présenté à l'état civil Mouni Zerman, née le 18 janvier 1852, y fut inscrite comme fille de la demoiselle
Ricca Tabet et d'un père inconnu. Trois autres enfants : Ibrahim Raphaël, né le 10 novembre 1835, Messaouda, née le 14 mars 1858, Jacob, né le 13 février 1861, furent aussi inscrits à l'état civil d'Alger, comme enfants de la demoiselle Ricca Tabet et d'un père inconnu. De tous ces enfants issus de l'union de la dame Ricca Tabet et du sieur Zermati, la demoiselle Kamir venue au monde le 15 novembre 1862, est la seule dont l'acte de naissance fasse foi de sa légitimité.
Dans le but de restituer à ses enfants l'état civil qui leur appartenait et se trompant sur la nature de l'acte qu'il allait accomplir, le sieur Judas Zermati se présentait, le 28 janvier 1862 à l'état-civil d'Alger, et déclarait reconnaître pour ses enfants naturels Mouni, Ibrahim-Raphaël, Messaouda et Jacob. Quatre actes distincts de reconnaissance étaient dressés et inscrits en marge des actes de naissance des enfants précités. Mais M. Zermati n'eut pas plutôt fait ces déclarations, qu'il comprit que son but n'était pas rempli.
Le 22 juin 1862, il adressa une requête au tribunal Civil d'Alger, par laquelle il demandait que les actes de naissance de Mouni, Ibrahim-Raphaël, Messaouda et Jacob, fussent rectifiés dans le sens de la légitimité des enfants auxquels ils se rapportaient. Il demandait, en outre, l'annulation des actes de reconnaissance de paternité naturelle qu'il avait fait dresser lui- même le 28 janvier précédent. Comme Isaac, le premier-né de son second mariage n'avait été inscrit d'aucune manière sur les registres de l'état-civil, il concluait à ce que cette omission fût réparée.
Par jugement du 24 juillet 1862, et sur les conclusions de M. Zermati lui-même, le tribunal ordonna la mise en cause des enfants du premier lit.
Ces enfants, appelés dans l'instance, déclarèrent s'opposer à l'admission de la demande de leur père ; ils contestèrent la validité de son second mariage. L'un des enfants déclara s'en rapporter à justice.
La dame Ricca Tabet intervint dans l'instance pour appuyer la demande de son mari. |
juillet 1864, jugement ainsi conçu :
- Attendu en fait, qu'aux dires du sieur Zermali, il serait né dans le courant de février 1848, un enfant du sexe masculin, issu de lui et de la dame Rica Tabet, son épouse, qui n'aurait pas été inscrit sur les registres de l'état-civil ; qu'il demande en conséquence que cet enfant auquel il a donné le prénom, d'Isaac, soit inscrit sur lesdits registres comme enfant légitime ; qu'il conclut également à ce que les actes de naissance de Mouni Zermati du 20 janvier 1852, d'Ibrahim Raphaël Zermati du 12 novembre1855, de Messaouda Zermati du 15 mars 1858, et de Jacob Zermati du 13 février 1861, inscrits aux dites dates soient rectifiés en ce sens, qu'au lieu d'y être dit que lesdits enfants sont issus dé père et mère inconnus, il soit énoncé qu'ils sont nés de la dite demoiselle Rica Tabét et de lui Judas Zermati, mariés ; Que ce dernier demande enfin que les quatre actes de reconnaissance faits par lui le 28 janvier 1862, et par lequel il a reconnu pour ses enfants naturels les dits Mouni, Messaouda, Ibrahim-Raphaël et Zermati Jacob, soient déclarés nuls, comme étant le résultat de l'erreur et de l'ignorance du
droit français ; |
APPEL
Devant la Cour, les enfants du second lit qui s'étaient tenus éloignés du débat en première instance, signifièrent une intervention. Comme ils sont tous mineurs, un tuteur ad hoc leur avait été donné dans ce but. Voici le résumé des remarquables conclusions que M. le Premier Avocat général Mazel donna dans cette affaire :
Cette affaire, a dit ce magistrat, doit être successivement étudiée au point de vue du droit pur, et au point de vue du fait. En droit, il faut d'abord se demander si, en principe la bigamie est permise aux Israélites algériens, ou si, comme on l'a soutenu pour les intimés contre leur père, les Juifs d'Alger seraient, a cet égard, sous le niveau du droit commun qui régit la métropole sans distinction de cultes. Mais je dois le confesser aussi, un examen impartial de la question m'a convaincu qu'au point de vue purement doctrinal, la difficulté n'était qu'apparente, et que la bigamie n'avait rien d'illicite parmi les Juifs d'Algérie. Quels que soient donc mes regrets de voir consacrer un anachronisme moral, tenant ce grand principe que, le premier honneur du juge est dans le respect de la loi, je viens vous proposer de proclamer aujourd'hui, par votre décision, cette nécessité juridique,..
La réponse à cette question est à l'abri de toute controverse et toutes les autorités que l'on a mises sous les yeux de la Cour, dans l'intérêt même du système contraire, le repoussent absolument. Munck qui, dans ses savantes recherches sur l'histoire de la Palestine, s'attache si volontiers a faire remarquer l'indépendance et la dignité que les traditions patriarcales ont données, de tous temps, a la femme hébraïque, est forcé de reconnaître que cependant la polygamie était autorisée par les lois de Moïse. Non pas que la monogamie ne fut chez le peuple hébreu la règle générale et surtout la règle honorable ; mais devant, tous les monuments de l'histoire, il faut bien reconnaître, qu'au moins, à titre d'exception, la pluralité des épouses était légitime.
Il faut alors se demander si, par l'effet de la conquête ou des lois spéciales qui sont venues successivement réglementer la position juridique des Israélites algériens, il a pu se faire, comme le proclame le jugement dont est appel, que la bigamie ait été interdite aux Juifs d'Afrique. Mais soit que l'on se reporte aux termes des capitulations d'Alger et de Constantine, soit qu'on consulte les diverses ordonnances qui se sont succédées jusqu'en 1845, il ne me semble pas possible de conserver sur ce point des doutes sérieux.
L'arrêté du 16 août 1832 portant institution de la Cour criminelle, maintient cet état de choses avec cette seule modification que " le jugement du tribunal rabbinique sera susceptible " d'appel devant la juridiction française. " Enfin les ordonnances du 10 août 1834, du 28 février 1841, du 26 septembre 1842 décident encore que les conventions entre indigènes et les contestations relatives a leur état civil, aux mariages et aux répudiations seront jugées d'après leur loi religieuse. L'ordonnance du 26 septembre 1842 confirmative dans son art. 37, de l'art. 31 de celle du 10 août 1834, répète formellement que " les indigènes israélites et musulmans sont présumés avoir contracté selon leurs lois, a moins de conventions contraires. " N'est-ce pas dire assez clairement qu'ils ont tous conservé, en principe, leur statut personnel ! ..,.. Maintenant serait-il vrai de dire avec les intimés que l'art. 10 de l'ordonnance du 31 décembre 1845, faisant passer dans la législation algérienne le principe que l'art. 55 de l'ordonnance de 1844 avait édicté pour la métropole, a voulu obliger, à l'avenir, les Israélites algériens à se marier devant l'officier de l'état-civil, avant de se présenter devant le rabbin, auquel n'est réservé que la célébration purement religieuse... II semble qu'on a dit ici, avec toute raison, dans l'intérêt des appelants, que l'art. 10 de l'ordonnance de 1845, n'a pas cette portée, que cette ordonnance ne faisait qu'organiser le culte, et que l'art. 10, purement énonciatif, quand il énumère les fonctions ecclésiastiques des rabbins, n'a entendu parler que de la bénédiction religieuse à donner aux mariages civils quelconques entre Israélites. Mais le législateur de 1845 a évidemment laissé intacts, les lois et l'état civil antérieurs des indigènes dont il s'occupait, et comme l'observe judicieusement dans son Traité de législation algérienne, M. de Ménerville, avec qui je suis heureux de me trouver en communauté de vues. Pour que la situation antérieure eut été modifiée, il faudrait trouver dans les actes législatifs, une abrogation formelle des ordonnances antérieures ou tout au moins une disposition inconciliable avec leurs prescriptions ; et il n'en est aucune d'où l'on puisse tirer une pareille conséquence. L'Etat gouvernant, l'Etat régnant en Algérie, c'est la France, Eh bien, sera-t-on tenté de dire, puisqu'il est interdit a tous les Israélites de tous les Etats où la polygamie est prohibée par la loi civile, d'épouser simultanément deux femmes, pourquoi n'appliquerait-on pas cette prohibition à l'Afrique française, a laquelle bien évidemment, se fussent étendues les déclarations de 1807, si, dès alors la conquête eut été faite ? Mais cet argument n'a de valeur qu'au point de vue philosophique ou législatif. Oui, il y a toute raison, ce me semble, pour que le législateur ne tarde pas à combler cette lacune. Il réalisera, vous a t-on dit, ainsi, les vœux de l'universalité des juifs indigènes. Mais aussi longtemps que le gouvernement de l'Empereur, sur la sollicitude duquel on peut se reposer et qui sait faire toute chose utile à son heure, ne se sera pas prononcé par la voix du législateur, on ne peut dire que les juifs d'Alger, que nous ne connaissions pas en 1807, auxquels n'a certainement pu songer le grand Sanhédrin et qu'exclut, au contraire, par son seul silence, la célèbre déclaration dont je m'occupe, aient été compris dans ses termes, qui n'ont trait qu'aux Israélites européens en général, à ceux de France, d'Italie et d'Espagne en particulier. Ce ne fut qu'à la suite de la déclaration de 1807 que les Israélites français virent leur situation réglée comme elle l'est aujourd'hui. Mais, comme le dit encore très bien M. de Menerville: " En Algérie où les Juifs se trouvent, sous tous les rapports, dans des conditions moins favorable, on n'a pas encore jugé opportun de décréter cette grande émancipation. " Nous sommes ainsi amenés à examiner le procès, non plus en droit, mais surtout en fait, et à nous demander si, à ce point de vue, le mariage dont excipent les appelants est ou non valable, étant étranger, non institué ni reconnu par la loi française, l'acte est par suite sans valeur. On répond victorieusement ici aux premiers juges, que l'objection n'aurait la portée qu'ils lui ont donnée, que si ce rabbin eut été choisi par les parties contractantes, en sa qualité de rabbin et pour procéder à ce titre à un mariage pour sa célébration duquel la loi reconnaîtrait la compétence ecclésiastique ; mais que dans l'espèce, il ne s'est pas agi d'un mariage rabbinique, mais uniquement d'un mariage par devant témoins comme les autorise d'ailleurs la loi de Moïse, et que le rabbin de Jérusalem que les parties ont plus volontiers choisi en considération de son caractère religieux, n'a toutefois figuré à l'acte que comme simple témoin. La réponse est péremptoire à la seule condition, que les mariages devant simples témoins soient autorisés par la loi mosaïque... Or, à cet égard, aucun doute possible. (Ici M. l'avocat général cite Salvador, p. 115 et suiv. L'Abrégé du Talmud de Maïmonides, Droit matrimonial, chap. 3, art. 5. Karo, corpus juris, 3me partie, art. 26 et 35 où l'on voit en substance, que le mode de mariage qui n'est pas revêtu de la cérémonie usuelle, quoique désapprouvé par la loi juive, peut néanmoins se passer de cette cérémonie, pourvu que l'union ait lieu devant deux témoins). Vous avez enfin, Messieurs, pour rassurer vos consciences sur ce premier point, l'avis écrit du grand rabbin d'Alger, qui porte que le contrat litigieux est conçu suivant les formes voulues, et a pu, par suite, conférer à la dame Rica Tabet le titre d'épouse légitime.
Mais cet acte est-il sincère, et les faits de la cause n'en commandent-ils pas le rejet ? C'est ici que se pressent les difficultés les plus sérieuses. Chose plus grave ! Comment admettre que Judas Zermati eut, à ses propres yeux, contracté de justes noces, quand on se souvient que tous les enfants nés de sa cohabitation avec Rica Tabet, ont été déclarés nés de père inconnu. Alors que, même après la mort de son épouse légitime, la dame Rica Zermati, il
continue à les laisser inscrire à la mairie sous le même titre ! Mais, pour démontrer que cet acte a bien été passé le 24 janvier 1847, au jour où le placent les parties, il existe une preuve qui domine tout, à nos yeux, et qui sans doute vous aura déjà frappés : c'est à savoir que cet acte est attesté, dès 1847, quelques jours après sa passation, non seulement par le grand rabbin, dans sa lettre à M. le procureur-général Dubodan, mais encore par la dame Zermati elle-même qui, si elle a pu se tromper de quelques jours sur sa date précise, n'en a pas moins indiqué au chef du parquet, la maison où la célébration avait eu lieu, les témoins qui y avaient assisté, et notamment ce rabbin mendiant de Jérusalem, dont elle ne pouvait inventer l'existence 15 ou 20 ans avant que son mari ne vint déposer chez le notaire Lebailly, le contrat dont l'appréciation nous est soumise. Maintenant je vais plus loin et sans pouvoir sonder exactement ce qui s'est passé dans la conscience des deux contractants, et en supposant même qu'en 1847 Judas Zermati et Rica Tabet n'aient pas mesuré, si je puis ainsi dire, avec une suffisante confiance, la portée de leur contrat, que, devant les menaces du grand rabbin et du parquet, ils aient pu craindre que leur mariage qu'ils voulaient sérieux, n'eut que l'apparence des justes noces, je dirais même, dans ce cas, que leur consentement ayant été d'autant plus certain, qu'il était plus énergiquement manifesté, ils auraient, malgré leur crainte et presque, à leur insu, contracté valablement le lien qu'ils vous demandent aujourd'hui de sanctionner. Pour cela, il suffit que ce lien fut possible, et sur ce point je me réfère aux principes que j'avais l'honneur de vous rappeler il y a un moment. Il est un point que la Cour pourrait me reprocher d'avoir laissé dans l'ombre, c'est l'objection tirée de cette circonstance qu'avant d'épouser Rica Tabet, Judas Zermati aurait déjà reçu dans son lit la jeune sœur de Rica, Esther Tabet. Le jugement rabbinique de 1846 et la correspondance du rabbin Veil, tiennent que ce fait, qu'ils affirment avoir été de notoriété publique, vicierait le mariage et doit en déterminer la nullité. Je n'ai trouvé nulle part édictée cette peine, proclamé ce principe.
Mais une considération plus puissante et plus haute me fait repousser cette critique : c'est l'incertitude même du fait allégué. On reproche a Judas Zermati d'avoir vécu en concubinage avec Esther Tabet ; on affirme que la chose était de notoriété publique, c'est possible.... Mais ne l'oubliez pas, Messieurs,
Judas Zermati oppose à cette allégation un énergique démenti. Je propose à la Cour d'infirmer la décision des premiers juges.
ARRÉT :
Ouï les défenseurs des parties en leurs conclusions et plaidoiries;
Ouï M. le premier avocat général en ses conclusions conformes ; Après en avoir délibéré conformément à la loi, et consulté, suivant les prescriptions de l'article 49 de l'ordonnance royale du 26 septembre 1842, l'avis écrit des rabbins Compétents, lequel restera joint au présent arrêt : En ce qui touche l'intervention de Ricca Tabet, femme de Judas Zermati, et celle de Jacob Tabet, agissant en qualité de tuteur des mineurs Isaac, Mouni, Ibrahim-Raphaël, Messaouda et Kamir, nés du mariage contesté desdits Judas Zermati et Ricca Tabet ; 1e que les indigènes sont présumés avoir contracté entre eux, selon la loi du pays, à moins qu'il n'y ait convention contraire ; - Attendu qu'il ne peut s'élever de doute sur le point de savoir si les Israélites du pays ont été compris par ladite ordonnance dans la dénomination d'indigènes ; Qu'en effet, si on consulte sa teneur et son économie générales, on constate que lorsqu'elle veut disposer en vue des mahométans seuls et à l'exclusion des israélites, elle abandonne la qualification d'indigènes pour employer celle de musulmans (voir les articles 3J, 43 et 44) ; -Attendu que l'obligation pour les tribunaux français d'appliquer la loi mosaïque dans les litiges de la nature de celui qui est soumis à la Cour, apparaît d'une manière manifeste encore dans l'article 49 de la même ordonnance ; qu'aux termes de cette disposition, les rabbins officiellement institués doivent être appelés à donner leur avis par écrit sur les contestations relatives à l'état-civil, aux mariages et aux répudiations entre israélites; que celle exigence du législateur ne se comprendrait pas, si c'était la loi française qui dût ou pût être appliquée ; - Attendu que les dispositions rappelées ci-dessus ont conservé toute leur vitalité et leur autorité ; que vainement on chercherait dans les actes ultérieurs de la législation algérienne une règle nouvelle qui abroge celles dont il s'agit, ou qui soit inconciliable avec elles ; - Attendu que cette abrogation ou cette inconciliabilité ne saurait s'apercevoir, comme l'ont pensé à tort les premiers juges, dans l'ordonnance du 9 novembre 1845 ; que cette ordonnance, en effet, a eu pour seul objet, ainsi que l'indiquent les rubriques de ses deux sections, d'organiser en Algérie le culte et les écoles israélites ; que rien n'autorise à y chercher des dispositions relatives à la constitution de là famille des juifs indigènes, des règles innovatrices touchant leur statut civil, et en particulier touchant leur statut matrimonial ; - Attendu que si l'article 10 de l'ordonnance de 1845 range parmi les attributions des rabbins celle de célébrer les mariages religieux, on ne saurait, sans aller trop loin dans la voie des inductions et des conséquences, conclure de ces expressions que, désormais, il y a pour les israélites algériens, obligation de faire précéder la célébration religieuse de leurs mariages d'une célébration civile, et que ces mariages ont été régis, quant à leur forme et à leurs effets par la loi française ; - Attendu que si telle eût été l'intention du législateur, s'il eût voulu, en défaire ce qu'avaient fait en termes si hauts et si précis, les ordonnances du 10 août 1834, du 28 février 1841, et du 26 septembre 1842, cette volonté, si gravé dans son but et ses effets, si largement innovatrice, si profondément dérogatoire à la règle existante, se serait manifestée par un acte exprès, par une formule compréhensible pour tous et non en termes ambigus et voilés, par une disposition glissée comme par surprise dans une ordonnance complètement étrangère à là matière, n'ayant trait ni de près, ni de loin, à l'institution judiciaire, préparée avec le concours du ministre des cultes, et en dehors de celui du ministre de la justice ; - Attendu que s'il est vrai, comme l'ont dit les premiers juges, qu'il est du devoir des tribunaux de proscrire tout ce qui, dans les mœurs et les usages, est contraire à la morale ou à l'ordre public, il est de leur devoir aussi et avant tout de respecter les lois existantes et d'y conformer leurs décisions, de ne point empiéter sur la tâche du législateur, et de lui laisser le soin, alors qu'il se trouve placé en présente de sociétés nouvellement réunies soumis une domination commune, mais séparées par de profondes différences religieuses, morales et traditionnelles, d'approprier les lois qui régissent chacune d'elles à son degré de civilisation, et de ne les modifier qu'en tenant compte à là fois des progrès accomplis, des perfectionnements opportuns et des exigences de la paix publique ; - Attendu que si l'heure où les israélites de l'Algérie pourront être soumis à la loi civile française semblé prochaine, que si la plupart et les plus éclairés d'entre eux réclament cette assimilation, c'est au législateur seul qu'il appartient de l'édicter ; que jusqu'alors les tribunaux resteront impérieusement soumis à l'obligation d'appliquer là loi mosaïque, de même que chaque jour, dans les instances entre musulmans, ils appliquent là loi mahométane, quelques tranchées que soient les différences entre ces lois et le droit civil français ; Sur la seconde question qui est celle de savoir si le mariage dont se prévalent Judas Zermati et Ricca Tabet est valable ? Par ces motifs : Journal de la jurisprudence de la Cour impériale d'Alger ["puis" de la Cour d'appel d'Alger et de législation algérienne] 1865 (VOL7).(extrait) (1&2) Cette solution est conforme à la jurisprudence constante de la Cour d'Alger. V. 19 janvier 1860 [Bec. 1860, p. 100 et la note.) Cette jurisprudence a été consacrée en principe par la Cour suprême. V. 15
avril 1862 (Rec. 1862, p. 188.) |
Mis en ligne le 08 sepiembre 2011