NOUS vous faisons savoir qu'étant venu dernièrement de votre Pays en cette Ville d'Alger, & vous étant trouvé en notre présence, après avoir fait assembler le Divan & toute la Milice, ou était aussi le Seigneur Dey & Baba Hassan, vous fûtes par délibération du Conseil établi Gouverneur du Bastion, après avoir ouï vos raisons & vos propositions sur ce que vous nous promîtes, conformément à l'accord que vous avez fait en France, de payer aux enfants d'Arnaud les douze mille piastres que vous leur devez. Vous nous avez témoigné que vous étiez, dans cette résolution, comme votre propre Consul le fait bien, & vous nous avez réitéré les mêmes assurances dans le temps de votre départ pour aller au Bastion. Après tour cela nous voyons que vous avez oublié ce que vous nous avez promis, & tout ce dont nous étions convenus avec vous.
Vous avez non seulement abandonné les enfants d'Arnaud ; mais vous leur avez fait ressentir les effets de votre indignation & de votre inimitié.
Au lieu de les caresser & de leur donner de l'emploi, vous les avez mis en arrêt & envoyé en France de votre chef, sans nous avertir & sans nous consulter. C'est de quoi nous sommes fâchés & mécontents au dernier point, vous déclarant que nous ne pouvons consentir à ce que vous avez fait, Donc, ayant reçu cette lettre, il faut que sans y contrevenir en aucune façon, vous payiez entièrement aux enfants d'Arnaud douze mille piastres que vous leur devez, selon votre accord & la parole que vous nous avez donnée, sans leur retenir un sol de cette somme. Si par votre réponse nous voyons que vous exécutiez votre promesse selon nos intentions, nous vous considérerons comme le Consul du Bastion, conformément à nos accords & à nos délibérations, nous vous tiendrons la parole que nous vous avons donnée, & vous serez le Gouverneur du Bastion. Que si au contraire vous n'exécutez pas ce que nous vous demandons, qui est de payer aux enfants d'Arnaud la somme de douze mille piastres, vous savez nos affaires ; nous vous expulserons du Bastion, & n'en donnerons jamais le Gouvernement, ni à vous, ni à aucun de votre Nation, & nous le donnerons aux Génois ou autres, & il sera trop tard de vous en repentir dans la suite. Si par ce que vous avez écrit ou écrirez en France, il arrive quelque mal aux enfants d'Arnaud, soyez assuré que nous le ferons tomber sur vous-même, dès que nous en aurons reçu la nouvelle, car ce sont des gens qui ont servi cette République avec beaucoup de fidélité : nous les aimons, & nous ne voulons pas qu'il leur arrive aucun mal. Enfin écrivez en France, & bien diligemment, qu'on n'inquiète en aucune façon les enfants d'Arnaud, & recommandez-le bien fortement, de peur que vous ne ressentiez vous-même tout le mal qu'on leur fera. Si vous ne faites ce que nous vous ordonnons, nous écrirons en France pour avertir Sa Majesté de toutes nos raisons & de vos actions, d'une manière que vous aurez sujet de vous en repentir.
Et au dessous est écrit :
De la part du Divan & de la Milice d'Alger.

Il faut à présent revenir à nos vingt-cinq Passagers qui étaient en dépôt. Après les prises que j'avais eues avec le Dey à leur sujet, je ne crus pas qu'il fût à propos de lui en parler sitôt, & je cessai de me trouver à l'audience.
Ces Passagers s'ennuyaient très fort de leur détention. Ils me présentèrent une requête pour m'engager à faire des offres au Dey pour obtenir leur liberté. Comme cela était contraire à nos Traités, & que je prétendais les avoir sans rien débourser, je répondis simplement que cela ne se pouvait pas.

Ils m'en présentèrent une seconde, & me représentèrent qu'ils étaient dans un Pays où rien ne se fait que par argent, & qu'ils étaient résolus d'en donner pour se tirer de cette mauvaise affaire. Sur cela j'indiquai une assemblée de toute la Nation, où le trouveraient quatre Passagers au nom de tous les autres. Après d'assez longues discussions je fus prié d'un commun accord d'accommoder cette affaire comme je le jugerais à propos, & on m'en donna tous les pouvoirs nécessaires.

Le Dey voyant que je ne demandais plus d'audience, m'envoya un juif appelé Aaron Cohen son Ministre secret. J'eus une conférence secrète avec lui, qui dura plus de deux heures. Il me dit que le Dey serait ravi de bien vivre avec moi, qu'il ne trouvait pas mauvais que je lui fisse des instances, puisque le devoir de ma charge m'y obligeait ; mais que je devais considérer aussi que sa tête n'était guère en assurance dans le rang qu'il tenait parmi une Milice brutale & dangereuse, qui n'avait ni honneur ni religion. Que je devais savoir que toutes les affaires ne se terminaient à Alger qu'avec de l'argent, & que par conséquence je devais suivre cette route, & songer à terminer l'affaire des Passagers avant que la Milice se mît en tête de les exposer en vente.
Cette démarche m'obligea d'entrer en négociation avec le Juif. Après plusieurs allées & venues, il me vint dire à la fin que le Dey modérait sa demande de quinze mille piastres à onze mille à cause de moi. A la fin nous demeurâmes d'accord à mil cinq cents piastres, à condition que le Dey fasse rendre l'argent & les médailles qui étaient en dépôt au Batistan.

Le 14 Février Aaron Cohen vint me dire que le Dey ne voulait plus tenir le traité que nous avions fait le jour précédent ; & qu'outre les quinze cens piastres, il voulait qu'on fit venir tous les Turcs qui étaient aux Galères de France, si je voulais qu'il mît en liberté les passagers Français.
Je répondis que le Dey ne m'avait jamais demandé que ceux qui s'étaient sauvés d'Espagne & d'ailleurs, & qu'il avait offert de l'argent ou une échange pour les autres, & que je n'avais pu marquer ses nouvelles prétentions à la Cour.
Que j'étais garant de ce que Sa Majesté lui avait promis touchant les premiers ; mais elle je ne pouvais l'être des autres sans un ordre exprès du Roi, à moins qu'il ne voulût aussi me promettre de rendre généralement tous les Français qu'ils ont pris depuis, & au préjudice ce des Traités.
J'ajoutai qu'il paraissait que le Dey cherchait des impossibilités, afin d'avoir occasion de nous déclarer la guerre, & qu'en ce cas je n'avais qu'à lui demander l'exécution d'un seul article, puisque tous les autres devenaient inutiles, & cet article était de me donner le temps d'écrire en France, & d'avertir les Sujets de Sa Majesté, afin que chacun songeât à ses affaires.

Le 15 le Dey m'envoya chercher en particulier : il me dit qu'il n'était pas le maître des Soldats qui gouvernent la République comme il leur plaît : que la Milice lui avait signifié plusieurs fois qu'elle ne souffrirait jamais que ces Passagers s'embarquassent qu'après que tous les Algériens qu'on retenait en France seraient revenus à Alger ; que sans cela il me les aurait rendus pour les quinze cents piastres dont nous étions convenus, mais qu'il ne pouvait pas jouer sa tête, & qu'il en était au désespoir, Ce discours me fit faire des réflexions je vis sans peine que tous mes raisonnements étaient inutiles avec des gens qui ne cherchaient qu'à nous déclarer la, guerre ; qu'il fallait leur passer quelque chose, & gagner du temps, pour pouvoir avertir le Roi de l'état des affaires, afin que s'il jugeait à propos de déclarer la guerre à ces canailles, ils n'eussent pas la gloire de l'avoir prévenu. Je considérai encore le mal qui en arriverait au Commerce, s'ils prenaient ce parti les premiers, parce qu'ils saisiraient nos Bâtiments qui ne devant pas s'attendre à une rupture seraient pris au dépourvu.

cela m'obligea de parler doucement au Dey, & de lui représenter en termes polis que ces innovations ne pouvaient pas être du goût de Sa Majesté, & qu'il fallait attendre qu'elle s'expliquât là-dessus. Il en convint avec moi, & me dit qu'il allait en écrire au Roi, & que je devais écrire de mon côté, & faire préparer une Barque pour porter nos paquets dans huit jours.

Le 17 Février, le Dey me remit sa lettre pour le Roi ; mais malgré toutes mes instances il ne voulut point la mettre dans une bourse de satin, ni avec la suscription que le Grand Seigneur a coutume d'y mettre, me disant pour dernière excuse que ces sortes de cérémonies étaient inutiles, & qu'ils ne devaient pas changer leur ancien style. En voici la traduction.

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Mis en ligne le 11 janvier 2012

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