Le Conseil économique et social
CHAPITRE II

LE TRAVAIL DE MÉMOIRE

Aucune société ne peut se dispenser de se forger une mémoire collective, sous peine de perdre son unité et de fragiliser son identité.
Au terme de ce travail, où la part d'écoute a pris une importance considérable, le Conseil économique et social fait le constat que trop de malentendus et de silences obscurcissent aujourd'hui la connaissance de l'histoire de l'Empire français et du processus d'indépendance. Il existe bien aujourd'hui différentes lectures de l'histoire de cette période.

La mémoire collective d'une Nation est entre autre représentée dans des mémoriaux, des commémorations, des archives, des musées, des films, des documentaires, etc. Peu de signes tangibles viennent aujourd'hui témoigner dans notre société de l'histoire de la présence française en Algérie. Cela est particulièrement dommageable en terme d'intégration et d'identité pour les plus jeunes qu'ils soient enfants ou petits-enfants de rapatriés et aussi pour les jeunes issus de l'immigration en provenance d'Afrique du Nord.
Pour le Conseil économique et social, il ne s'agit ni de s'engager dans la voie d'une commémoration nostalgique ni dans celle du dénigrement systématique et de la repentance. Il invite le gouvernement à engager un travail collectif sur cette période avec des historiens et les acteurs ou témoins de cette période. Un premier pas a été franchi avec la reconnaissance officielle le 10 juin 1999 par l'Assemblée Nationale de " la guerre d'Algérie ".

Dans cet esprit, notre assemblée propose également l'aménagement de lieux de mémoire qui répond à une nécessité : celle de se souvenir, pour savoir et accepter ce qui s'est passé. Ce travail pédagogique est notamment destiné aux plus jeunes et aux générations futures. Il conviendrait également d'y intégrer les archives, témoignages, expertises, accumulés par les associations de rapatriés.
Le 25 septembre 2007, François Fillon, Premier ministre, a annoncé la création en 2008 d'une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, en application de l'article 3 de la loi du 23 février 2005 portant " reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ". Il est essentiel de continuer à écrire l'histoire mais une histoire partagée, luttant contre les simplismes. Le Conseil économique et social se félicite de cette intention.

Le Conseil économique et social demande en outre que :

- le musée-mémorial prévu à Marseille voie effectivement le jour et, ensuite, ait les moyens de diffuser les informations qu'il contiendra. Il devrait s'agir d'un lieu de mémoire vivant. C'est un point crucial car l'histoire des Français d'Algérie de toutes origines n'est pas écrite et encore moins enseignée. Il faudrait, par exemple, replacer la présence française en Algérie dans l'histoire séculaire de ce pays, envahi successivement par les Phéniciens, les Romains, les Arabes et, plus récemment, les Français. Ces occupations successives ont façonné le pays et laissé des traces qui constituent l'identité même du pays (Carthage comme les immeubles " haussmanniens "...). Pourraient utilement être encouragée la réalisation de documentaires, de livres ou de films ;
- un monument aux morts, une stèle... soit édifié(e) à Paris en tant que capitale, qui pourrait aussi symboliser tous les monuments locaux qui ont été détruits en Algérie ; un tel monument devrait aussi faire état des victimes des moments extrêmement douloureux intervenus entre la signature des accords d'Évian et l'indépendance ;
- la période d'installation en Algérie ne soit plus occultée de même que le rôle de l'Armée d'Afrique d'abord, de la Première armée ensuite. Dans la libération de la France, il importe d'expliquer, notamment aux jeunes et aux personnes d'origine maghrébine, le rôle décisif d'une armée française essentiellement composée de 173 000 tunisiens, marocains, algériens et africains, 168 000 Français dits ultérieurement " pieds noirs ", 20 000 évadés de France et, à partir de janvier 1944, 35 000 corses ; 40 000 d'entre eux (20 000 européens et 20 000 non-européens) tombèrent au champ d'honneur. Le récent succès du film " Indigènes " montre qu'une évolution est amorcée ;
- soient rappelées les actions de développement de la France en Algérie et la réalité sociologique de la population rapatriée, souvent de condition modeste ou moyenne.
D'autres questions sensibles ne peuvent être réglées qu'avec le concours des États concernés :
- exiger que les cimetières français en Algérie soient correctement entretenus et gardés. Actuellement, beaucoup d'entre eux sont en très mauvais état, certains ont été profanés et les monuments aux morts détruits. En 2003, un plan de rénovation des cimetières a été engagé et a coûté 1,7 million d'euros : il a consisté à rénover quelques grands cimetières et à y regrouper des tombes de plusieurs cimetières ruraux qui ont alors été restitués aux autorités locales (le plus souvent pour des opérations d'urbanisme). Cet effort mérite d'être salué et poursuivi. Les cimetières restaurés doivent ensuite être protégés par les autorités algériennes ;
- demander la restitution des archives de toutes natures (cadastre, état civil, notariées, académiques, syndicales, associatives...) demeurée incomplète. Il conviendrait en particulier d'achever des opérations de numérisation d'archives dont une partie seulement est réalisée et qui sont bloquées du fait des autorités algériennes (les crédits sont disponibles). On pourrait envisager de recourir, comme en Tunisie, à une commission mixte comportant des historiens, chargée d'organiser des échanges réciproques d'archives. Au surplus, il faudrait définir le protocole de leur consultation par les familles ;
- demander la liberté de circulation pour tous les harkis, avec visas ;
- accorder une reconnaissance morale aux victimes civiles des affrontements ;
- informer les familles des quelques cinq cents soldats disparus sans traces de leur sort réel, en déclassifiant les archives " secret défense " et en menant, le cas échéant, des recherches complémentaires approfondies.

Ces demandes renvoient aux droits les plus élémentaires de la personne humaine, tels qu'ils sont définis par la Déclaration universelle des droits de l'Homme, dont l'État algérien est signataire depuis 1962. Le bilan de la guerre d'Algérie fut, sur les deux rivages de la Méditerranée, très lourd. Le Conseil économique et social est conscient que ces questions, qui renvoient à un lourd contentieux historique, restent très sensibles. Cependant une avancée sur ces points faciliterait d'autant de nouvelles relations apaisées entre l'Algérie et la France, tournées vers les défis communs auxquels est aujourd'hui confronté l'espace méditerranéen.

CONCLUSION

La Vè République est née de la crise algérienne. Cette histoire n’est pas écrite. Mais chacun a à l’esprit les conditions dans lesquelles ont été menés le processus d’indépendance, le rapatriement des Français d’Algérie de toutes origines, leur accueil en métropole et les efforts de solidarité de la communauté nationale en leur faveur.

Les accords d’Évian, bilatéraux, prévoyaient que l’Algérie contribuerait à l’indemnisation des biens perdus. Ces accords n’ayant pas été respectés, la France a été conduite à mettre en place un dispositif complexe fréquemment remanié au fil du temps. Néanmoins, le respect de cette clause devrait être recherché.

Restent à mener à leur terme rapidement les politiques conduites en matière d’indemnisation, de désendettement et de retraite. Outre les propositions de solutions formulées, il serait utile de clarifier autant que possible les dispositifs empilés, en annulant des mesures diverses pour les remplacer par une seule plus simple. Reste aussi à engager les efforts de mémoire.

Il convient maintenant de clôturer ce dossier douloureux avant que ne débouche le projet d’Union méditerranéenne qui impliquera nécessairement la France et l’Algérie. Sa mise en oeuvre serait grandement facilitée s’il était remédié sans tarder aux situations difficiles issues de leur passé commun.

Remarques. Ndlr
1/ Le 25 septembre 2007, François Fillon, Premier ministre, a annoncé la création en 2008 d'une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, en application de l'article 3 de la loi du 23 février 2005 portant " reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés "
Il est utile de préciser que cette loi votée deux fois au parlement (avec l'assentiment de 64 % de Français), par les députés, représentants de la nation, a été amputée du deuxième alinéa de l'article 4, par décret du gouvernement Villepin. Ce qui a permis d'éviter un nouveau débat au Parlement
Ce deuxième alinéa stipulait que "les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit"
On se pince pour ne pas rire à l'annonce de F. Fillon...
2/ Les films " Indigènes " et plus récemment " Hors la loi " ne semblent pas être la référence d'une " évolution " conforme aux éléments évoqués par le Conseil Economique et Social, tant sur le point de vue de la réalité historique que sur le point de vue du rapprochement des communautés.
3/ Le cas des cimetières français en Algérie est un véritable scandale occulté par les médias français. L'éradication systématique des sépultures est programmé à brève échéance.
4/ Pas un mot sur les disparus civils et sur les massacres de Harkis.
5/ Les autres demandes ne sont que des voeux pieux, contredis sans cesse par des articles et reportages orientés et diffamatoires et des manifestations, d'associations subventionnés par les pouvoirs publics, réagissant avec hostilité pour empêcher toute manifestation mémorielle.

Conseil Economique et Social"



Mis en ligne le 08 mai 2011
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