Les chantiers de jeunesse en Algérie

A la suite de la défaite de juin 40, le service militaire a été supprimé. Les Chantiers de la Jeunesse ont été créés le mois suivant dans le cadre de la politique de " Révolution Nationale " voulue par le gouvernement de Vichy. Leur dénomination exacte est Chantiers de la jeunesse française (CJF)

Les jeunes hommes de la zone non occupée et ceux de l'Afrique du Nord qui avaient l'âge du service militaire y étaient incorporés pour un stage de six mois, ultérieurement de huit, dans une ambiance faite à la fois de scoutisme et d'esprit militaire puisque l'encadrement était assuré par des officiers d'active et de réserve démobilisés. Le tout dans un climat de vénération du Marechal Pétain.
Cette formation se faisait dans des camps proches de la nature, où les jeunes exécutaient des travaux d'intérêt général, souvent forestiers, suivaient un entrainement physique et recevaient des cours de formation a des métiers manuels ainsi qu'une instruction civique.
Le fondateur de cette institution était le général de La Porte du Theil, lequel avait son " commissariat général " basé à Châtel-Guyon. Cette sorte d'état major coordonnait les actions des " commissariats régionaux "

Région 1 Alpes-jura,
Région 2 Auvergne,
Région 3 Languedoc,
Région 4 Pyrénées- Gascogne,
Région 5 Provence,
Région 6 Afrique du Nord.
Chaque région comptait une dizaine de groupements d'un effectif de 1.500 à 2.000. Un groupement comportait une dizaine de groupes d'un effectif comparable a celui d'une compagnie (150 a 200 hommes). On estime le nombre de jeunes qui sont passés par les " Chantiers " à 400.000. Apres la guerre, et dans le contexte de fondation des mythes gaullo-communistes, comme toute œuvre de Vichy, celle-ci sera dénigrée en bloc, accusée d'avoir facilité le STO par l'envoi de 16.000 jeunes en Allemagne. Mais la réalité est beaucoup plus nuancée. Déjà, il est admis que les Chantiers ont permis d'encadrer plusieurs centaines de milliers de jeunes et de ne pas les laisser livrés à eux-mêmes dans une période troublée tout en leur donnant des rudiments de civisme et de discipline.

N'oublions pas que le climat de la IIIe République a été désastreux au plan des mentalités, qu'il a conduit a l'effondrement de 1940.
Ensuite, selon des estimations, moins de 3 % des jeunes gens des CDJ auraient été envoyés au STO. Enfin, il est avéré que les maquis métropolitains, toutes tendances politiques confondues, ont été alimentés en partie par les Chantiers, même s'il ne s'agissait pas d'engagements massifs et collectifs, mais d'engagements individuels ou de groupes. Les Chantiers ont aussi parfois saboté des départs au STO et ont camouflé de jeunes Alsaciens sous de faux noms pour les soustraire au service armé dans la Wehrmacht. Les Allemands ne s'y sont du reste pas trompés puisque leur surveillance s'est resserrée sur les Chantiers à partir du début 43 :
ils exigèrent le déplacement des groupements proches de la Méditerranée et des frontières italiennes et espagnoles vers le Massif Central, la Dordogne et les Landes, craignant leur aide à un débarquement sur la cote sud de la métropole ou à des évasions par l'Espagne. Le Général de La Porte du Theil lui-même a fini par être déporté en Allemagne en janvier 1944.

Le commissaire régional pour l'AFN était le colonel Van-Hecke, un officier de réserve. Né à Anvers en Belgique, engagé à la Légion étrangère, il y a conquis ses galons d'officier pendant la guerre de 1914-1918, puis a servi dans les services spéciaux. C'est un chef ardent et patriote. En outre il appartient au " Groupe des Cinq " ( avec Lemaigre Dubreuil, Jacques Tarbé de Saint-Hardouin, Jean Rigault, Henri d'Astier de la Vigerie ndlr), en liaison avec l°ambassadeur US Murphy à Alger, groupe charge de faciliter le débarquement allié de novembre 42.

En AFN, outre ce rôle donc plus ou moins bien connu de formation de la jeunesse dans le cadre de la " révolution nationale ", les chantiers de jeunesse ont permis, vis-à-vis des commissions de contrôle italiennes et allemandes, de dissimuler des effectifs et l'instruction paramilitaire qui y était délivrée. De ce fait, environ 48.000 jeunes se trouvèrent disponibles sans délai pour une incorporation dans l'Armée d'Afrique.
C'est ainsi que, exemple le plus connu, le 76e Régiment de Chasseurs d'Afrique - unité blindée de chasseurs de chars engagée en Italie, en France et en Allemagne - fut constitue uniquement de jeunes des chantiers de jeunesse d'Algérie et commandé précisément par le Colonel Van Hecke. Le 7e RCA conserva d'ailleurs la tenue de tradition des Chantiers : béret vert (donc avant la Légion) et blouson de cuir ; et son insigne reprenait le dessin de celui du CRAFN (commissariat régional pour l'AFN). Le premier modèle d'insigne conservait même l'inscription " chantiers de jeunesse Afrique du Nord " et leur devise " par nous la France renaitra ".

Par ailleurs, dans la nuit précédant le débarquement anglo-américain du 8 novembre en Afrique du Nord, 200 jeunes du groupement 103 d'Alger et du commissariat régional ont aidé le débarquement allié. Un des premiers actes du général Giraud, quelques jours à peine après son arrivée en Algérie, fut de signer la mobilisation des Chantiers de jeunesse d'AFN le 14 novembre 42.

Avec le rappel des anciens, on put même réaliser trois nouveaux groupements et l'entrainement réellement militaire commença aussitôt. Début 45, pendant la campagne de Tunisie, plus de la moitie des 70.000 français engagés sont issus des Chantiers d'Algérie, Tunisie et Maroc.
Le 7e RCA est le régiment emblématique des CDJ car il en a garde la tenue et il a été commandé par Van Hecke pendant toutes les campagnes d'Italie (un des 2 seuls régiments de chars lourds du Corps Expéditionnaire Français du futur Marechal Juin), de France et d'Allemagne, le plus souvent avec la 3e DIA du Général de Monsabert, mais toutes les Divisions réarmées par les Américains (8 au total, plus des unités non endivisionnées) ont reçu leur contingent de " CDJ", la mobilisation de cette jeunesse étant à la mesure et à l'image de celle de toute la population masculine d'AFN. A partir de la Provence, des membres des CDJ métropolitains rejoignirent également les unités de l'Armée d'Afrique ou participèrent à la constitution de nouveaux régiments dans le cadre de la 1ere armée de De Lattre, témoignant ainsi de l'esprit de revanche qui animait le plus souvent les Chantiers.

Signe des temps et de la véritable pourriture morale de l'époque de l'épuration, les services rendus par le Colonel Van Hecke et ses Chantiers de jeunesse d'AFN ne lui épargneront pas à son retour en France, après la guerre, d'être traduit devant un tribunal pour " pétainisme ", Pour la petite histoire, il était le père de l'acteur Pierre Vaneck décédé en 2010. Le General de La Porte du Theil passa lui aussi devant la Haute Cour de justice en 1947 ou il obtint un non-lieu, étant avéré que les anciens des Chantiers avaient pris part en nombre aux combats pour la Libération en 44-45 : les 48.000 jeunes d'AFN étant rejoints par au moins autant de métropole.
Le paradoxe des Chantiers de jeunesse d'AFN, c'est qu'ils ont été les premiers à disparaitre en tant que tels. En effet, en novembre 42, ils avaient rempli leur rôle de pourvoyeurs de troupes jeunes et motivées et furent donc les premiers à être mobilisés. Ils ont constitué un véritable vivier et une sorte de Préparation Militaire pour 1'Armée d'Afrique.


Clément Charrut
L'Echo de l'Oranie 336 ; septembre-octobre 2011

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Mis en ligne le 04 septembre 2011
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