Ahmed
Les émeutes d'Alger ne s'apaisaient pas en un jour ; celle qui suivit le meurtre de Mustapha dura tout un mois, pendant lequel les crimes les plus odieux furent impunément commis, sous l'inspiration de l'Agha de la Milice, qui, mécontent de n'avoir pas été élu, entretenait soigneusement un désordre dont il espérait profiter ; il cherchait à séduire les janissaires et le peuple en leur promettant un nouveau massacre des Juifs, lorsque le Dey, las de ses intrigues, le fit saisir inopinément et lui fit trancher la tête. Après cette exécution, le calme se rétablit peu à peu.
Ahmed formait un heureux contraste avec son prédécesseur ; il était instruit, de manières affables, d'un caractère calme et résolu. On s'aperçut rapidement qu'il aimait à gouverner lui-même ; les consuls européens traitèrent désormais directement avec lui. Ses premiers soins furent donnés aux affaires de l'intérieur, qui les réclamaient impérieusement ; car, depuis plus de deux ans, la province de l'Est était en proie aux agitations.

Révolte de Mohammed ben el Harche
Après la révolte des Hanencha, réprimée par Ingliz-Bey, et celle des Nemencha, qu'Osman-Bey avait sévèrement châtiée, presque toute la Kabylie avait pris les armes en 1804, sous la conduite d'un Derkaoui fanatique du nom de Mohammed-ben-Abdallah-ben-el-Harche(1). C'était un marabout marocain, qui, à son retour du pèlerinage de la Mecque, avait séjourné quelque temps en Égypte pour faire la guerre sainte aux Français ; de là, ramené à Bône sur un navire anglais, où il avait reçu des présents et avait été excité à créer des embarras au gouvernement de la Régence, il s'était établi, d'abord à Constantine, puis dans les environs de Djigelli. Tout en agitant le pays par ses prédications, il s'était mis à pirater, et, pour son coup d'essai, avait enlevé quelques barques de corailleurs. Son influence, appuyée de celles d'autres marabouts derkaouis, grandit si rapidement qu'il put appeler les montagnards aux armes dès l'été de 1804, et les entraîner à l'assaut de Constantine, au nombre de plus de soixante mille ; mais cette attaque désordonnée n'eut aucun succès ; le feu de la place fit de larges trouées dans la masse des assaillants, sur lesquels fondit le caïd Hadj'-Ahmed-ben-Labiad, qui les mit en déroute et leur tua un millier d'hommes. Osman-Bey, qui, au moment de cette alerte imprévue, se trouvait dans les environs de Sétif, où il faisait rentrer l'impôt, revenait à marches forcées au chef-lieu de son commandement ; il rencontra les fugitifs et leur infligea de nouvelles pertes. L'émotion avait été grande à Alger, où les ennemis de la France faisaient courir le bruit que les rebelles étaient commandés par Jérôme Napoléon ; cette absurde allégation trouva quelques crédules, bien que le prince sortît à peine de la ville, où il était venu réclamer les captifs français et italiens. Le Dey envoya l'ordre à Osman d'éteindre la révolte et de faire tomber la tête du Chérif. Tel était le titre dont s'était paré El-Harche, qui avait été blessé sous les murs de Constantine, et qui ralliait dans le Hodna ses contingents débandés. Le Bey marcha contre lui, l'atteignit chez les Béni Ferguen, et engagea le combat sur l'Oued-Zhour, aussitôt qu'il aperçut l'ennemi, sans même se donner le temps de rassembler ses forces. Cette imprudente audace lui coûta cher ; il fut cerné dans un vallon marécageux, et succomba avec cinq cents Turcs et tout son goum. Son successeur Abdallah, plus prudent, battit le Chérif à Mila et dispersa ses bandes, pendant que le Reïs Hamidou châtiait les gens de Djigelli. El-Harche s'enfuit dans la montagne ; l'année suivante, aidé par le Marabout Ben-Barkat, il souleva les Kabyles voisins de la ville de Bougie, qu'il assiégea sans succès. Les désordres qu'il commettait dans le pays amenèrent une réaction contre lui ; les Oulad-Mokran, appuyés par quelques compagnies de Ioldachs, le battirent d'abord dans les environs de Sétif, puis en 1807 à Rabta ; il trouva la mort dans ce dernier combat. Peu de temps après, un autre Chérif, Mohammed-ben-Abdallah, qui se disait le neveu du précédent, chercha à raviver l'insurrection mal éteinte ; Mustapha-Bey le poursuivit avec vigueur, et finit par le priver de toutes ses ressources. Au bout de quatre ans de luttes, il succomba dans une embuscade qui avait été préparée par Si-Amokran.

Révolte de Ben-Chérif
La province d'Oran n'était pas plus tranquille que celle de l'Est ; depuis le jour où la cupidité de l'ancien Dey l'avait poussé à révoquer Osman pour s'emparer de ses richesses, et à le remplacer par le peureux et incapable Mustapha-el-Manzali, le pays s'était entièrement insurgé, sous l'inspiration du Derkaoui Ben-Cherif(2). Toutes les villes de l'intérieur lui avaient ouvert leurs portes, en massacrant les garnisons turques ; de Miliana à Ouchda, toutes les tribus marchaient contre la bannière de l'Odjeac, qui ne flottait plus qu'à Mostaganem, Oran et Mers-el-Kébir.

Mekalech-Bey
Le Dey remplaça l'impuissant Manzali par Mekalech, le digne frère du vaillant Osman ; il fut forcé de se rendre à Oran par mer, tous les chemins étant coupés, se mit à l'œuvre avec énergie, et apaisa la révolte au bout d'une lutte de quatre ans, pendant laquelle il dut reconquérir son Beylik pied à pied ; Ben-Cherif fut tué à la reprise de Mascara ; des milliers de têtes furent envoyées à Alger, après la reddition de Tlemcen, qui fut mise à sac, et la province pacifiée reconnut l'autorité des Turcs. Le vainqueur devint l'objet de l'admiration du peuple et de la vénération de la Milice ; ce fut la cause de sa perte.

Sa mort
On excita contre lui les soupçons d'Ahmed, devant lequel il fut accusé de concussions et de férocité ; l'Agha Omar-el-Djeljii fut envoyé à Oran pour procéder à une enquête, dont le résultat était prévu d'avance ; le fils de Mohammed-el-Kebir fut étranglé, après avoir subi d'horribles tortures sans vouloir révéler le lieu où il avait caché ses trésors.

Révolte de Bou-Terfas
Les troubles recommencèrent aussitôt, fomentés par Bou-Terfas, beau-père de Ben-Cherif. Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau Dey avait imposé à Bakri une amende de cinq cent mille piastres fortes. Il en demanda deux millions au Portugal pour traiter, et refusa l'offre que lui fit cette puissance de se soumettre pour vingt ans à un tribut annuel de cinquante mille piastres. En 1807, il en obtint douze mille de l'Espagne ; de l'Angleterre, dix mille ; des États-Unis, cent mille ; de la Hollande, quarante mille ; de l'Autriche, cinquante mille. La complaisance de ces nations excita son orgueil, et il voulut mettre la France à contribution. Dubois-Thainville, qui savait comment Napoléon eut accueilli une semblable proposition, se montra très ferme, et ses refus ne lui attirèrent que quelques obsessions, bien que, à la suite du refus qu'avait fait la Régence de respecter les pavillons de Gênes et de Naples, on eût détenu les Algériens habitant Marseille, et mis l'embargo sur leurs vaisseaux et leurs marchandises. Les autres consuls ne furent pas aussi heureux ; l'exercice du pouvoir rendait peu à peu Ahmed violent et tyrannique comme ses prédécesseurs ; il voulut faire étrangler un capidji de la Porte, qui était venu en mission auprès de lui ; au mois de juin 1806, une division navale portugaise s'étant présentée devant Alger pour obtenir un traité, le consul anglais, qui avait eu des communications avec elle, fut insulté en plein Divan par le Dey, qui le traita d'espion et de Juif, et le menaça de mort. M. Frayssinet, consul de Hollande, fut mis à la chaîne à cause d'un léger retard dans l'envoi des présents ; M. Ulrich, consul de Danemark, reçut le même traitement pour un motif semblable.

Protestation collective des consuls européens
Cette fois, les consuls européens se conduisirent comme ils auraient du le faire depuis longtemps. Émus par les souffrances de M. Frayssinet, auquel son grand âge rendait mortel le séjour du bagne, ils s'assemblèrent et rédigèrent une protestation collective, dans laquelle ils affirmaient leur solidarité, et réclamaient formellement l'inviolabilité diplomatique ; malgré les efforts que fit le Dey pour se dérober à une réponse formelle, il dut finir par céder devant la puissance d'une action commune, et de la menace d'un départ général, qui eut tari la source de ses revenus ; les captifs furent relâchés.

Cession des Établissements à l'Angleterre
Au moment où Napoléon avait fait détenir les sujets et les vaisseaux de la Régence, le Dey, pour se venger, avait donné aux Anglais ce qu'ils convoitaient inutilement depuis si longtemps, les Établissements et les pêcheries de corail. Ces concessions tant désirées ne leur servirent pas à grand-chose ; ils furent mal reçus par les populations, et les tentatives de négoce qu'ils firent échouèrent complètement.

Abdallah-Rey - Sa mort
Le Bey de Constantine, Abdallah, fut victime de cet incident ; ayant constaté que l'interruption du commerce des indigènes avec les Français causait un grand mécontentement dans le pays, et entravait la rentrée de l'impôt, il écrivit dans ce sens à Ahmed, qui, voyant dans cette démarche un acte d'insubordination, le fit étrangler, l'accusant d'ailleurs de favoriser les entreprises du Bey de Tunis Hamouda, auquel il venait de déclarer la guerre.

Guerre de Tunis
Il lui reprochait d'avoir donné asile à l'ancien Bey de Constantine Ingliz avec la complicité duquel les troubles de l'Est avaient été fomentés par Hamouda, pendant les dernières années du règne de l'incapable Mustapha ; il exigeait le paiement du tribut de vassalité, auquel ce prince s'était soustrait depuis quelque temps, et le renoncement formel à toute prétention de souveraineté sur Tabarka. Après quelques tentatives d'accommodement, rendues inutiles parles exigences pécuniaires du Dey, la guerre éclata. Le Kiahia Soliman marcha sur Constantine à la tête de cinquante mille Tunisiens, et battit le nouveau Bey, Hossein-ben-Salah, qui s'enfuit à Djemila pour se rallier. Le vainqueur établit ses batteries sur le Mansoura, et canonna la ville pendant trente jours de suite ; les habitants se défendirent énergiquement.
Les secours d'Alger étaient arrêtés par les Flissas insurgés ; il fallut parlementer avec eux et acheter leurs chefs ; une fois l'accord conclu, ils se réunirent aux Turcs, espérant avoir leur part du pillage de Tunis, et marchèrent sous le commandement de l'Agha des Spahis, qui avait pris la route de terre avec la cavalerie et les goums, tandis que les Janissaires et l'artillerie avaient été embarqués pour Bône. A la nouvelle de l'arrivée de ces troupes, qui avaient fait jonction avec celles du Bey, Soliman leva le siège et prit position sur le Bou-Merzoug ; après un combat de trois jours, il fut battu et mis en déroute ; les Algériens firent un énorme butin et envoyèrent au Dey quarante mules chargées d'oreilles.
Leur marche fut arrêtée au Kef parle caïd Youssef, qui, à la tête de dix-huit mille hommes, avait rallié les fuyards ; Hossein-ben-Salah eut le tort de s'entêter au siège de la ville, bien pourvue d'artillerie, et dont les fortifications avaient été récemment réparées ; le désordre se mit dans l'armée ; les Kabyles rentrèrent chez eux pour faire leurs récoltes ; les goums de la province, les Ferdjioua en tête, se laissèrent gagner par l'or d'Hamouda, et lorsque, le 10 juillet 1807, la bataille s'engagea sur l'Oued Serrat, elle fut fatale aux Turcs, qui se débandèrent après avoir subi de grosses pertes. Les uns s'engagèrent au service de Tunis ; d'autres restèrent à Constantine ; ceux qui revinrent isolément à Alger furent victimes de la colère d'Ahmed, qui les fit pendre aux créneaux de Bab-Azoun.

Révolte d'Ahmed-Chaouch
Le Bey vaincu fut étranglé par ses ordres, et son successeur Ali, appelé à venger sa défaite, partit avec une nouvelle armée ; mais il était à peine arrivé au camp de l'Oued-Rummel, qu'il fut assassiné avec le Bach-Agha Hossein, dans une émeute militaire suscitée par l'aventurier Ahmed-Chaouch, qui se proclama de sa propre autorité Bey de Constantine. Cette ville, pendant les quinze jours que dura le règne du rebelle, fut mise à sac d'une façon continue ; les caisses du Trésor furent brisées, et chaque soldat reçut cent soltanis d'or ; les supplices se succédèrent sans interruption, au caprice de l'usurpateur. La population terrifiée n'osait pas bouger, et ne reprit un peu de vigueur qu'à l'apparition d'Ahmed-Tobbal, qui, venu d'Alger à marches forcées, la délivra de ce fou sanguinaire et châtia ses complices avec une extrême rigueur. Mais il n'y avait plus d'armée à envoyer contre Tunis, dont le Bey obtint la paix, à la seule condition de payer le tribut accoutumé.
Pendant le cours de ces événements, Napoléon avait envoyé à Alger le brik le Requin, dont le commandant était chargé de réclamer cent six captifs italiens, que le Dey s'obstinait à garder ; cette fois, il dût céder à la fermeté de l'envoyé de l'Empereur, qui le somma de donner sa réponse avant deux jours. Il fut même sur le point de se réfugier avec ses trésors à bord du navire français ; malheureusement pour lui, il reçut à ce moment même la nouvelle des succès d'Ahmed-Tobbal, et renonça au projet qui lui eût sauvé la vie.

Meurtre du Dey
L'orage s'amassait sur sa tête ; les soldats indisciplinés lui reprochaient leurs défaites, suivies des exécutions des fuyards et des rebelles. Mais le plus grand des griefs qu'on invoquât contre lui était la violation des vieilles coutumes, et les Baldis s'indignaient de la présence de sa femme dans le palais de la Jenina. Le 7 novembre 1808, une bande de cinq cents Turcs en força l'entrée, et envahit les cours et la salle d'audience, en proférant des cris de mort. Ahmed essaya en vain de s'échapper par les terrasses ; il fut renversé d'un coup de feu, et décapité ensuite ; son corps fut traîné dans les rues.

Ali-er-R'assal
Les assassins élurent immédiatement un d'entre eux, Ali er R'assal, qui avait été, comme ce surnom l'indique, laveur de cadavres, avant d'être Oukil d'une petite chapelle, et, plus tard, Khodja d'audience. Il était faible d'esprit, fanatique et cruel ; son premier soin fut de faire mettre à mort tous les ministres de son prédécesseur, et son court règne ne fut qu'une émeute perpétuelle. Le désordre était arrivé à son apogée, et la Milice elle-même se divisait en deux parties ; dès les premiers jours de l'installation du nouveau Dey, les mécontents, que les dons de joyeux avènement n'avaient pas satisfaits, étaient venus tumultueusement demander le partage du Trésor public ; Ali s'était contenté de leur répondre qu'ils en étaient les maîtres, mais qu'il faudrait ensuite arriver à leur licenciement, faute d'argent pour faire la solde.

Désordres et supplices
Les loldachs s'assemblèrent alors en un Divan, dans lequel on mit en délibération le pillage de la ville, et celte solution eût prévalu, sans l'opposition des Janissaires mariés, dont la plupart étaient propriétaires ; ils déclarèrent qu'ils allaient se mettre à la tête des Maures et des Colourlis, et organiser la défense. Comme ils eussent ainsi réuni une force décuple de celle des assaillants, ceux-ci reculèrent devant un combat dont ils pouvaient d'avance prévoir le résultat ; mais l'assemblée fut des plus orageuses ; on se sépara au milieu des injures et des menaces de mort, et, dès ce moment, la ville se trouva divisée en deux camps ; chacun des deux, s'attendant sans cesse à être attaqué par l'autre, ne dormait que la main sur ses armes. Quelques jours après cette singulière séance, les agitateurs envoyèrent une députation au Dey, pour le prier de donner l'ordre du pillage ; celui-ci trouvait leur désir tout naturel, mais les engageait avant tout à s'accorder entre eux, pour éviter une lutte fratricide, et leur conseillait de procéder régulièrement, maison par maison, et de verser le butin à une masse commune, qui eût été ensuite équitablement partagée. Sur ces entrefaites, eut lieu le retour du camp d'Oran ; ce contingent vint grossir le nombre des défenseurs de l'ordre, qui s'étaient retranchés dans la Caserne Verte, dont ils avaient fait leur quartier général, sous les ordres d'Omer-Agha.

Meurtre du Dey
Ils y tinrent un conciliabule dans lequel la mort d'Ali fut décidée ; le 7 février 1809, les conjurés envahirent son palais et voulurent le forcer à s'empoisonner ; il s'y refusa, en alléguant des scrupules religieux, et fut étranglé.

Hadj'-Ali
Omer-Agha ayant refusé d'accepter la dignité qui lui fut offerte, le Khodjet el-Kheil Hadj'-Ali, fut proclamé dey ; il était ignorant et fanatique comme son prédécesseur ; sombre, atrabilaire, soupçonneux, il se gorgeait d'opium, restant dans une apathie voisine de l'imbécillité tant qu'il n'avait pas pris sa dose accoutumée, et tombant dans des accès de démence furieuse quand il la dépassait ; en sorte que ceux qui avaient à lui parler d'affaires n'avaient qu'un très court moment de la journée à choisir.

Sa cruauté
La plupart des Deys avaient été sanguinaires ; celui-ci les dépassa tous. Il avait un goût particulier pour les supplices atroces, la roue, le pal et les gauches. Il faisait emmurer devant lui pour les fautes les plus légères, et la porte Bab-Azoun était toujours couronnée de têtes coupées. Dès les premiers jours de son règne, il fit mettre à mort Bakri, accusé de servir d'espion au Sultan, puis son dénonciateur Ben Taleb, et Ben Duran, qui dirigeait les affaires des héritiers de Bakri.

Supplice des Beys d'Oran et de Constantine
Il donna l'ordre d'étrangler Ahmed Tobbal, le Bey de Constantine, pour avoir vendu du blé aux Juifs ; cet acte aussi barbare qu'injuste raviva les troubles dans la province de l'Est.
Celle d'Oran était en pleine conflagration ; le Bey, Bou-Kabous, qui avait refusé d'envoyer des contingents pour la dernière guerre de Tunisie, ne voulant pas, disait-il, désobéir au Sultan, s'était allié au Maroc, avait chassé les garnisons turques, et occupait le pays jusqu'à Miliana. Il fallut faire marcher contre lui une armée de huit mille hommes, à laquelle il eût facilement résisté, si ses partisans ne l'eussent abandonné. Battu sur la Mina, et poursuivi jusqu'à Oran, il fut pris et périt dans d'horribles tortures ; sa peau, bourrée de paille, fut envoyée à Alger.

Altercations avec la France
M. Dubois-Thainville, qui avait eu quelques difficultés avec le Dey, à cause du refus des présents d'avènement, était parti pour la France le 17 juin 1809, laissant l'intérim à son vice-consul Raguesseau de la Chesnaye. Celui-ci fut embarqué de force sur un navire américain le 1er avril 1810, à la suite d'une violente altercation qu'il avait eu avec l'Oukil el-Hardj de la marine ; les consuls protestèrent, et la chancellerie française s'abstint de tout acte public jusqu'au dénouement de l'incident et au retour de Thainville, qui eut lieu au mois de septembre. L'empereur Napoléon n'exigea aucune réparation ; car il était parfaitement décidé à en finir une fois pour toutes avec les puissances barbaresques, et l'annexion de l'Afrique du Nord formait le sujet d'un des articles du traité secret conclu avec la Russie.

Napoléon fait reconnaître le littoral
Le commandant du génie Boutin avait été envoyé au printemps de 1808 pour lever le plan d'Alger et de ses environs ; les cartes et le rapport qu'il adressa au ministre de la guerre furent plus tard d'une grande utilité. Mais, à cette époque, Alger fut sauvée une fois encore par les dissensions des nations européennes. Hadj'Ali, dans ses moments lucides, manifestait souvent sa crainte de voir débarquer le Diable Français ; il comblait alors le consul de bons procédés ; le lendemain, excité par les héritiers Bakri, il le sommait de payer la dette contractée par la République, et se répandait en menaces.

Révolte des Kabyles
Malgré les flots de sang versés, le désordre continuait à être fort grand à Alger et dans tout le pays. Les Kabyles, de nouveau révoltés, battaient en 1810 le camp de l'Est ; le Bey de Tunis, auquel on voulait imposer la démolition du Kef et l'abaissement de sa bannière devant celle d'Alger, refusait de souscrire à ces humiliantes conditions et continuait la guerre ; la flotte algérienne bloquait la Goulette, sous les ordres du reïs Hamidou, qui enlevait à l'ennemi une frégate de 38 canons, seul trophée des Algériens pendant cette longue lutte. Ce reïs, qui était devenu célèbre pour avoir pris un navire de guerre aux Portugais, avait donné à la Course une sorte d'élan ; les vaisseaux espagnols et portugais étaient ses principales victimes ; le Consul de la première de ces deux nations fut frappé au visage par l'Oukil-el-Hardj de la marine, au moment où il exposait ses griefs ; cette injure resta impunie.

Guerre de Tunis
La guerre fut déclarée aux États-Unis, dont le chargé d'affaires fut expulsé. Au mois de juillet 1813, l'Agha Omer et Naman, bey de Constantine, mirent le siège devant le Kef ; ils furent battus et poursuivis l'épée dans les reins, jusqu'au Hodna ; il est probable que leur défaite fut due en partie à la trahison des contingents kabyles ; car, à son arrivée à Alger, Omer fit décapiter plusieurs de leurs chefs et deux cent soixante goumiers. Depuis longtemps, la Porte avait vainement cherché à rétablir la paix entre les deux Régences voisines ; les Capidjis-Bachis qu'elle avait envoyés n'avaient essuyé que des refus et parfois des injures : " Nous sommes les maîtres chez nous, leur était-il répondu, et nous n'avons d'ordres à recevoir de personne ". Mais le sultan Mahmoud n'était pas d'un caractère à se laisser traiter impunément de la sorte ; il mit l'embargo sur les navires et les sujets de la Régence et fit dire à Hadj' Ali, que, s'il n'obéissait pas immédiatement, il allait faire partir ses flottes et son Capitan-Pacha, en le chargeant de rapporter la tête du vassal désobéissant ; celte fois, le Dey s'inclina et la paix fut conclue.

Réclamations de Bakri
Les embarras augmentaient ; les tribus du Sud, insurgées, venaient de battre le Bey de Titeri ; en 1814, les Flissas pillaient le pays jusqu'à la Mitidja, et le caïd du Sebaou, tout en leur coupant soixante têtes, ne pouvait apaiser complètement la révolte ; dans la province de Constantine, le barbare Mohammed Tchakeur, qui remplaçait Naman, soulevait tout le pays contre les Turcs par ses cruautés et le dévastait par des razzias continuelles ; il attirait les Oulad-Mokran dans une embûche et les faisait égorger traîtreusement ; un seul d'entre eux échappait à ce massacre. Sur ces entrefaites, on apprit à Alger, les événements qui venaient d'amener la Restauration de la maison de Bourbon, et, le 6 juillet 1814, le brick le Faune vint demander au Dey la ratification des traités. Les héritiers Bakri profitèrent de cette occasion pour renouveler leurs réclamations ; ils avaient eu l'adresse d'intéresser Hadj' Ali au recouvrement de ce qui leur était du, et celui-ci somma le consul de payer à bref délai. M. Dubois-Thainville, qui n'avait pas d'ordres précis à ce sujet, ne pouvait rien faire, et s'embarqua pour la France le 19 octobre, laissant les sceaux à son chancelier. La paix n'avait pas été de longue durée entre Alger et Tunis, dont le Bey, se sentant soutenu par l'insurrection permanente des tribus de l'Est, refusait de souscrire à la démolition des remparts du Kef, qu'on exigeait de lui. La guerre avait donc recommencé, et elle était très impopulaire dans la Milice. La décomposition de l'Odjeac s'accentuait de plus en plus ; les Janissaires, qui, autrefois, malgré la turbulence de leur esprit, observaient dans les camps une rigoureuse discipline, s'y révoltaient maintenant sous le moindre prétexte ; ils avaient perdu jusqu'à leur antique courage, et cette troupe qui, jadis, ne craignait pas de se battre un contre cent, prenait aujourd'hui la fuite devant quelques indigènes mal armés. Depuis longtemps, elle avait formé le projet de se débarrasser du souverain, qui ne se maintenait que par la terreur ; Omer-Agha, auquel les conjurés avaient offert le trône, ne voulait pas l'accepter ; des contes étranges, précurseurs habituels d'une révolution algérienne, couraient par la ville : on affirmait qu'un marabout vénéré à Coléah était sorti de son tombeau pour maudire le tyran et prédire l'arrivée des Infidèles ; malgré la dureté avec laquelle le Dey châtiait les colporteurs de ces bruits, ils prenaient de jour en jour plus de consistance, et chacun s'attendait à quelque chose d'extraordinaire.

Meurtre du Dey
Hadj' Ali se livrait aux débauches les plus honteuses, et le bain du Palais en était le théâtre préféré. C'est là qu'il fut étranglé le 22 mars 1815, par un jeune nègre, son favori, qui avait été soudoyé pour le faire disparaître secrètement, et qui fut lui-même mis à mort sur place.

Mohammed-Khaznadji
La foule acclama le Khaznadji Mohammed, dont le pouvoir dura exactement quinze jours, au bout desquels il fut emprisonné, pour avoir ordonné le recensement de la Milice ; l'on sait que cette opération cause toujours aux Orientaux une sorte de terreur superstitieuse ; de plus, l'acte était impolitique, en ce qu'il dévoilait l'état de faiblesse auquel était tombé un corps jadis si puissant ; en effet, on n'avait pu compter que quatre mille hommes, parmi lesquels plus de sept cents étaient incapables de tout service.

Il est étranglé
Le malheureux Dey fut étranglé dans sa prison, le 7 avril, au point du jour, et remplacé par Omer-Agha, qui, après avoir si longtemps refusé de régner, se vit cette fois forcé d'accepter ces redoutables fonctions.

1. Voir les documents relatifs à la révolte des Ben-el-Harche dans la Revue Africaine, an. 1859, p. 209 ; an. 1862, p. 120 ; an. 1869, p. 211 ; an. 1870, p. 249.
2. Voir, au sujet de la révolte des Derkaoua, la Revue Africaine, 1874, p. 38.

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Mis en ligne le 26 février 2012

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