C'est en février 1862 que Napoléon III s'enfonce dans le guêpier mexicain. Un accord est intervenu entre Juarez, d'une part, l'Angleterre et l'Espagne, de l'autre. Elles décident de rembarquer. L'amiral lurien de La Graviere qui avait adhéré à l'accord est désavoué par l'empereur. Celui-ci, définitivement acquis a son idée de grand empire catholique et latin, " la plus grande pensée du règne ", dira Rouber a la tribune du Corps législatif donne pleins pouvoirs au chargé d'affaires Dubois de Saligny et envoie un renfort de 4 500 bommes commandés par le général Lorencez. La France est désormais seule. Lorencez, dont l'objectif est Mexico, est arrêté en mai par la résistance de " Puebla l'arrogante " et doit battre en retraite
L'échec est vivement ressenti en France. Au Corps législatif Jules Favre évoque les origines troubles de l'entreprise. Napoléon III s'obstine : " Notre honneur militaire engage, l'exigence de notre politique, l'intérêt de notre industrie et de notre commerce... " Il envoie au Mexique le général Forey avec 23 000 bommes. Forey met en avril 1863 le siège devant Puebla ou Bazaine va se rendre célèbre. La ville tombe en mai (ce qui vaudra a Forey et peu après à Bazaine le bâton de maréchal), ouvrant la route de Mexico. Entre-temps s'était déroulée une de ces glorieuses batailles perdues dont la France est si riche.

En avril 1863, les 28 000 hommes de Forey assiègent Puebla, a trois étapes de Mexico, et ils attendent impatiemment un immense convoi qui doit leur apporter plusieurs millions en or, toutes sortes de provisions de guerre et, surtout, les canons lourds absolument nécessaires pour détruire les remparts de la ville, énergiquement défendue. La colonne, formée à Veracruz, devra d'abord traverser les inhospitalières Terres Chaudes par l'unique et dangereuse route qui mène à Puebla. Les Terres Chaudes sont infestées de volontaires mexicains, les " guérilleros", qui vivent en sécurité dans les forets profondes ou nous sommes trop faibles pour les traquer, en sortent soudain pour harceler et détruire nos lentes processions de chariots et de mulets et disparaissent en un clin d'œil, leur coup fait, au galop de leurs petits chevaux. Le corps expéditionnaire périrait, si le ravitaillement n'arrivait pas. La garde de notre ligne de communication, a travers les Terres Chaudes, est donc d'une importance capitale et il ne faut pas s'étonner que l'on ait confié cette mission, obscure mais vitale, à une unité d'élite, le régiment étranger, ancêtre de la légion étrangère.
Tandis que la colonne de ravitaillement sort de Veracruz, tous les postes disséminés le long de la ligne de communication s'agitent. Ill faut se renseigner sur les guérilleros qui sont certainement aux aguets, les tromper, les attirer ailleurs, les retarder, les battre s'ils attaquent. Entre autres mesures, le poste de Chiquihuite enverra une compagnie au-devant du grand convoi, jusqu'a Palo Verde, qui est à 24 kilomètres à l'est. C'est a la 3e compagnie du 1er bataillon du régiment étranger qu'échoit cette mission. Elle est commandée par le capitaine adjudant-major Danjou, un brave qui a perdu la main gauche en Crimée, mais n'a cessé de servir que le temps de se faire ajuster une main de bois articulée. Un magnifique soldat au port altier, au regard clair et fier sous un front haut et droit. Un chef expérimenté et intelligent, un entraineur d'hommes que ses soldats suivraient jusqu'en enfer.
La compagnie ne compte que deux autres officiers, les sous-lieutenants Vilain et Maudet, ce dernier, porte-drapeau du régiment, et 62 hommes de troupe. C'est très peu pour assurer, dans un tel pays, la sécurité d'un tronçon de route de 24 kilomètres.


Capitaine Danjou : " Vous, légionnaires, vous êtes soldats pour mourir. Je vous envoie où l'on meurt. "
(Cette phrase ne fut pas prononcée par le Capitaine d'Anjou mais par le Général de Négrier qui avait servi dans la Légion, en 1883, lors des préparatifs de l'attaque de Bac Ninh, aux légionnaires des 1er et 2ème bataillon de la Légion étrangère. Ndlr) (1)

UN CRI : ALERTE !

Le capitaine Danjou quitte Chiquihuite a une heure du matin. Il s'arrête a peine au poste de Paso del Macho (le pas de la Mule) ou il refuse une section du renfort. Qu'importe, que l'on soit soixante ou quatre-vingts, quand il faudrait être mille.
Il repart, au milieu des ténèbres, traversant en aveugle la forêt, serrant sa petite troupe pour avoir tout son monde sous la main en cas de surprise. Ils marchent depuis longtemps quand, au lever du soleil, ils arrivent devant un village abandonné, une douzaine de cases indiennes couvertes de chaume, deux maisons inhabitées et une ancienne " hacienda ", une grande auberge, un peu mieux conservée que le reste, dont le toit de tuiles rougeoie sous les rayons du soleil. C'est Camerone. Apres l'avoir fouillé, ils repartent et arrivent vers sept heures à Palo Verde sans avoir rencontre âme qui vive. La petite colonne s'arrête, déploie des sentinelles et allume le feu pour le café.
Soudain, un cri retentit : " Aux armes ! L'ennemi ! " En quelques minutes, la 3e compagnie est sous les armes, prête a tout, et attend les ordres de son chef qui a réfléchi. Danjou ignore que le colonel mexicain Millan était dissimule dans la foret à huit kilomètres au nord de la route, avec 800 cavaliers et 1200 fantassins, qu'il a promis au général Ortega, le défenseur de Puebla, que les canons de siège qui démantèleraient les remparts de la place n'arriveront jamais à pied d'œuvre. Par ses espions il a suivi la marche de la compagnie et veut l'anéantir. Danjou devine rapidement la situation. Sa décision est prise. Il s'agit d'empêcher l'ennemi d'attaquer le convoi. La compagnie se met en marche vers Camerone, en s'écartant de la route. Elle progresse à la lisière de la forêt, le long des marécages ou la cavalerie ne pourra charger. L'ennemi à disparu aussi brusquement qu'il était venu. Voici la " 3 " arrivée au seuil du désert de Camerone. Prudence. Des éclaireurs partent en avant.

UNE BALLE SIFFLE

Un sifflement déchire l'air. Un homme tombe. La première balle de la journée vient d'être tirée. Le coup de feu est parti d`une des maisons de Camerone. Au pas de course, la compagnie fonce sur le village, le cerne, y pénètre, le fouille. Les Mexicains l'ont déjà abandonné. On repart. A peine a-t-on fait 300 mètres que les cavaliers ennemis sortent de tous les replis du terrain, des lisières de la forêt, des buissons. Il y en a partout. Avec précision et promptitude des vieilles troupes, la compagnie forme le carré. L`adversaire s'est déployé en un cercle qui se resserre petit a petit, lentement, inexorablement.
" Vous ne tirerez qu'à mon commandement ", ordonne Danjou d'une voix calme. Il a rapidement évalué les effectifs ennemis. Il sait qu'il combat a un contre quinze, mais la partie n'est pas désespérée. Enfin, les Mexicains chargent. Ils ne sont plus qu'a 80 mètres, 60 mètres. Le capitaine Danjou se tait.
Il attend jusqu'a ce que le plus mauvais tireur de la compagnie fasse surement mouche : 50 mètres. " Feu ! "
Une épouvantable décharge ébranle l'air, suivie du crépitement discontinu du tir à volonté. L'effet en a été foudroyant. Tout ce qui reste, c'est un mince anneau d'hommes inertes et de chevaux couchés. Les autres ont tourné bride et fuient sous le feu qui les poursuit. Ils se reforment, reviennent encore une fois a la charge, vigoureusement. Ils sont de nouveau décimés et rejetés.
Entre-temps, Danjou, qui a gardé la raison froide, réfléchit. Pour retarder un ennemi aussi puissant et l'empêcher d'attaquer le convoi, le mieux est d'atteindre l'hacienda de Camerone.
C'est un bien misérable abri, mais c'est le seul. Derrière ses murs branlants, les pertes seront moins lourdes et on gagnera peut-être le temps nécessaire a l'arrivée d'un secours. Il faut faire une trouée de 300 mètres, a travers la cavalerie ennemie, et, peut-être, prendre d'assaut le bâtiment.
Danjou pointe son épée dans la direction du village.
" En avant, et vive l'empereur ! "
Devant la herse de baïonnettes fulgurantes qui se précipite sur eux, les Mexicains s'écartent en désordre.
La compagnie parvient a l'hacienda... qui se compose d'une cour carrée, un corral d'environ 50 mètres de coté, entouré d'un mur de 3 mètres de haut. A la face nord qui longe la route est adossée l'auberge, un corps de bâtiment partagé en trois chambres. Sur le coté ouest, deux grandes portes cochères. Intérieurement, de vieux hangars délabrés, s'appuyant contre la clôture.
Il faudrait tout occuper et faire jaillir des quatre faces de cette construction une nappe de feux continue, sans fissure. Hélas ! Il n'y a pas assez de monde pour cela et d`ailleurs, des guérilleros sont déjà retranchés dans deux des trois pièces de la maison et maitres de l'escalier conduisant à l'unique étage. Les en chasser ? On y laisserait toute la compagnie. Tant pis. On verra bien plus tard.

Deux escouades occupent la seule chambre restée libre, à l'angle nord-ouest. Deux autres gardent les grandes portes. Une cinquième défend une brèche que l'on vient de découvrir dans le mur, à l'angle sud-est de la cour et par laquelle l'ennemi pourrait s'infiltrer, homme par homme, dans un des hangars. Le reste, en réserve, entre les deux portails, prêt à se porter sur tout point menacé. Quelques hommes montent sur les toits et surveillent l'ennemi.
On comprend toute la faiblesse de ce fortin improvisé, ouvert à peu près partout et où l'ennemi à déjà pris pied. Une des chambres qu'il occupe a une fenêtre donnant sur le corral, par laquelle il peut tirer presque à bout portant sur tout Français qui le traverse. Or il faut le traverser pour aller d'un poste à l'autre. Si précaire que soit ce refuge, tout en le barricadant et en le renforçant, on souffle un instant.
Mais aussitôt la faim et la soif oubliées dans la fièvre de l'action assaillent ces hommes qui, depuis la veille, n'ont rien mangé, n'ont bu qu'un peu d'eau, le matin.
Le soleil est déjà accablant, l'air suffocant. Il est seulement neuf heures et demie.
Honteux de sa force, le colonel Millan, qui à l'âme d'un gentilhomme, voudrait éviter une lutte inégale ou il n'a aucun honneur à gagner. Sur son ordre, un de ses officiers crie au sergent Morzicki, qui est de guet sur un toit :
" Dites à votre capitaine, de la part du colonel Millan, qu'il n'a plus qu'à se rendre. " Puis il ajoute, un ton plus bas, d'homme à homme, d'une voix que l'émotion trouble :
" Vous avez assez prouvé ce dont vous êtes capables, que diable ! Il est des défaites auxquelles il faut se résigner. "
Le sergent transmet la sommation à son chef. Calmement, énergiquement, mais sans forfanterie, Danjou prononce ces mots :
" Dites-leur que nous avons des cartouches. On nous aura seulement quand nous serons tous tués. Tous ! "
Puis, tourné vers le corral, il élève la voix pour que tous les soldats l'entendent :
" Mes enfants, défendez-vous jusqu'a la mort ! "
Des quatre coins de la cour, soixante voix répondent :
" Mon capitaine, jusqu'a la mort ! Nous en faisons le serment ! "


" Le serment ". Camerone. 30 avril 1863. Plus qu'un grand combat ; l'immolation de martyrs de l'honneur.

UNE LUTTE SANS PITIE

Alors, l'assaut commence, sur les quatre faces a la fois. Les Mexicains attaquent à pied. Mais leurs masses compactes viennent se briser et s'écrouler contre le mur d'enceinte où ceux qui ont échappé aux balles tombent, percés de baïonnettes. Non sans pertes de notre coté. Le sergent-major Tonnel, qui se bat comme un lion, dans la chambre d'angle, meurt en hurlant :
" Allons, les enfants ! Courage ! Pour la France et l'honneur de la 3e ! Vous savez la consigne... Jusqu'à la mort ! "
Mais le plus grave danger est au cœur même de la place. Les Mexicains ont percé de meurtrières les deux chambres qu'ils occupent depuis le début et même celles de l'étage, qu'ils ont envahies.
De ces ouvertures, de la fenêtre et même du toit, un feu d'enfer balaie le corral. Deux fusiliers y sont gravement atteints. Il y a plus d'une heure que dure cette lutte inégale, lorsque la grande voix de Danjou retentit de nouveau :
" Mes enfants, jurez de lutter tant qu'il y aura un homme debout ! "
D'un seul cri, si formidable que pendant plusieurs secondes l'ennemi cesse de tirer, par peur ou par respect, tous les hommes prêtent serment :
" Nous le jurons ! Oui, jusqu'a la mort ! "
On pourrait vraiment croire que le capitaine Danjou a vu la mort arriver et que son dernier mot est un testament sacré : à peine l'écho de ce vœu solennel s'est-il tu qu'il tombe, au beau milieu de la cour qu'il traversait en brandissant son épée.
Une balle l'a frappé en plein cœur. Le regard tourné vers le ciel, il meurt en quelques secondes, dans les bras du sous-lieutenant Maudet, accouru pour le relever.


La Légion : " ... de cet ensemble indéfinissablese dégagent une énergie de fer, l'instinctive passion des aventures, une étonnante fécondité d'initiatives, un suprême dédain de la mort, et toutes les originalités sublimes des vertus guerrières. "

Le sous-lieutenant Vilain prend le commandement. La situation s'est aggravée. Par des trous percés dans les murs et le plafond, les Mexicains tirent maintenant presque a bout portant sur les défenseurs de la chambre d'angle, qui doivent l'évacuer.
Sur les 15 hommes qui y étaient entrés, il n'en sort que 6, presque tous blessés. Les Français n'ont plus, pour s'abriter, que les hangars en ruine. En très peu de temps, une demi-douzaine d'entre eux tombent encore.
Soudain, un espoir fou les redresse. Dans le lointain, on entend des tambours battre, des clairons sonner. Serait-ce une colonne de secours venue de Paso del Macho ?
Hélas ! L'illusion ne dure pas longtemps. Ce sont les renforts ennemis.
Les ennemis sont maintenant 2000. Il va falloir se battre à un contre quarante ou cinquante. A partir de maintenant, Camerone est plus haut et plus grand qu'un combat.
C'est l'immolation de martyrs de l'honneur. Crevant de faim et de fatigue, le corps déchiré par la soif, aveuglés par le soleil tropical, traqués par le feu de l'ennemi qui a fait de nouvelles brèches, les légionnaires tombent, un à un. Les souffrances des blessés sont atroces et l'on ne peut rien pour les alléger. Quelques-uns d'entre eux boivent leur sang, pour tromper la soif. Mais personne ne pense a se rendre.
Aux plus mauvais moments, le sous-lieutenant Vilain, jeune chef à visage d'enfant, enflamme les courages en montrant, d'un geste de son épée, le corps du capitaine, étendu sur le sol, au milieu d'autres cadavres.
" Vous savez ce que nous avons juré à notre capitaine ! "
Il tombe, un instant plus tard, frappé d'une balle au front.
L'ennemi semble être de plus en plus embarrassé de sa victoire sans gloire. Vers deux heures, ayant aperçu le sergent Morzicki perché a son poste d'observation, le colonel Millan lui adresse, pour la seconde fois, la sommation de se rendre.
Cette fois, Morzicki répond lui-même. Mais, comme il est fou de rage, sa réplique est impolie et si... raide que l'on ne peut la reproduire ici. Au moins, elle ne laisse aucune illusion a l'ennemi.
Il semble que ce dernier ait renoncé à s'approcher des démons français. A cinquante contre un, il va lui falloir encore recourir a la ruse. Il met le feu à la maison et, le vent venant du nord, les flammes lèchent bientôt les hangars et la fumée emplit le corral qui devient une fournaise.
Chacun se cramponne à son créneau ou à sa brèche, seul, séparé des camarades que l'on ne voit plus. Par miracle, l'incendie s'éteint de lui-même et son nuage se dissipe avant que l'ennemi en ait profité pour en venir au corps a corps.
Vers cinq heures, il y a un moment de répit et de profond silence.
Puis les échos d'une voix vibrante, martelée, furieuse, parviennent jusqu'aux légionnaires. C'est le colonel Millan qui exhorte ses hommes. Un soldat traduit sa harangue.
" ll faut en finir. Quelle honte ineffaçable, si nous ne pouvions venir a bout de ces quelques hommes épuisés, qui se meurent déjà ! Il faut se hâter. Au nom de la gloire, de l'honneur et de l'indépendance de la patrie, un dernier assaut. Amenez-moi vivants, pour ajouter à votre triomphe, ces hommes qui vous montrent, après tout, ce que peut une volonté invincible. "
Des applaudissements frénétiques prouvent que l'appel a porté. L'infanterie ennemie se masse, en bataillons serrés. Dans le corral, les survivants, 15 a 20 hommes, se regardent et, spontanément, renouvellent le serment de ne pas se rendre. Les Mexicains se ruent sur la cour. C'est une avalanche irrésistible qui enfonce les portes et déborde par toutes les ouvertures. Le sergent Morzicki et plusieurs hommes se font tuer sur place. A la grande porte, le caporal Berg, dernier et seul défenseur, entouré de cent ennemis, est pris. A la brèche de l'angle sud-est, les caporaux Magnin et Pinzinguer, les fusiliers Kunasseck et Gorki se défendent encore, des pieds et des mains.

LES SIX DERNIERS

Il ne reste bientôt plus que le sous-lieutenant Maudet, avec le caporal Maine et les soldats Catteau, Winsel, Constantin et Léonard. Ils se sont retirés dans les débris écroulés d'un hangar fumant, a l'angle sud-ouest du corral. Ils ne sont plus que six et pourtant, l'ennemi n'ose pas encore les aborder. Ils vont tenir pendant un quart d'heure.
" Tirez toutes vos balles, dit l'officier. Toutes, sauf une que vous garderez. "
Ils en sont vite réduits a cette extrémité.
" Attention! s'écrie alors le porte-drapeau, les larmes aux yeux. Vous tirerez la dernière cartouche à mon commandement, puis vous chargerez a la baïonnette derrière moi. Mes enfants, je vous fais mes adieux. "
Quelques secondes d'un silence poignant, qui trompe les Mexicains. Ils se hasardent hors de leurs abris, avancent dans la cour.
" En joue..., feu ! " commande Maudet.
Puis il s'élance, sabre au clair, au-devant de l'ennemi. Léonard le dépasse, le couvre de son corps, s'abat foudroyé. Winsel, blessé, tombe, se relève. Deux balles atteignent Maudet à la hanche. Il mourra huit jours plus tard, à l'hôpital. Les trois derniers se précipitent sur les baïonnettes ennemies qui les cernent.
" Arrétez ! " crie un officier mexicain.
Du sabre, il relève les fusils de ses hommes.
" Et vous, messieurs, rendez-vous ! "dit-il aux Français.
" Nous nous rendrons, répond l'un d'eux, si vous nous promettez de relever et soigner nos blessés, de nous laisser nos armes et de dire, a qui voudra l'entendre, que nous avons fait notre devoir jusqu'au bout. "
" On ne refuse rien a des hommes comme vous. "
Ce noble adversaire, c'est le colonel Combas. Il prend par le bras deux des légionnaires dont les blessures saignent et les aide à gagner l'ambulance. Ainsi finit la 3e compagnie du 1er étranger, le 30 avril 1863, après neuf heures de combat ininterrompu qui coutèrent a l'ennemi 300 à 400 hommes, soit cinq a six fois l'effectif des Francais.
Leur sacrifice sauva probablement le convoi. Bien qu'il fut parvenu à huit kilomètres des forces du colonel Millan, celui-ci ne l'attaqua pas. Tout se passa comme si le chef mexicain hésitait, après ce combat de géants, devant un nouvel effort.
(Pero no sun hombres, sun demonios ! " (" Mais se ne sont pas des hommes, ce sont des démons"), s'exclama le colonel Combas en découvrant le petit nombre de légionnaires ayant tenu tête à l'armée mexicaine lors du combat de Camerone. Ndlr)

L'inscription Camerone 1863 figure sur les drapeaux des régiments de la légion étrangère, suivie de celles-ci :
Artois 1915, Champagne 1915, La Somme 1916, Verdun 1917, Picardie 1918, Maroc 1925-1926.
La première est celle d'une défaite, en somme, subie par soixante hommes. Les autres, celles de victoires remportées par des armées entières. Mais il est des défaites aussi glorieuses que des victoires.

PIERRE NORD
"Le journal de la France" Second empire.
Publication Historia - Taillandier N°59 - année 1970

(1) La campagne de Bâc Ninh, qui se déroula du 6 mars au 24 mars 1884, est une offensive terrestre française contre les troupes chinoises de l'armée du Kouang-Si au nord du Viêt Nam pendant la campagne du Tonkin (1883–86). Bac Ninh a été prise le 12 mars, la victoire française déboucha sur la signature de l'accord de Tientsin en mai et du traité de Hué en juin.
http://tous-les-faits.fr/campagne_de_bac_ninh

NDLR :
Voici donc l'exemple type d'une guerre inutile déclenchée par un homme mû par des motifs politiques, influencé par les lubies de son impératrice d'épouse et par son ambition d'entrer dans l'histoire à l'image de son oncle.
Une guerre où les hommes meurent sans connaître le but ultime de leur sacrifice et les raisons profondes qui les feront périr, mais qui cependant vont jusqu'au bout.
L'honneur de ces hommes, comme d'autres dans l'histoire de France, fut de mourir pour un drapeau.
Cet acte symbolique, à l'heure où celui-ci est brûlé par des écervelés, sans que ceux qui sont en charge de la nation n'émettent la plus élémentaire condamnation, ni par les mots ni par les actes, devrait porter à réflexion.
Certains trouvent l'épisode de Camerone affligeant de bêtise et dénigrent ces militaires aveuglés par la haine et tombés sous les coups de leur propre violence.
Il est souvent facile douillettement installé dans une société d'abondance, de cracher sur ceux qui font le travail à notre place.
Si nous pouvons vivre aujourd'hui quelques instants de paix, c'est parce que, d'autres, moins lâches ou plus ardents ont répandu leur sang pour ceux qui sont leurs juges à présent, et qui les assomment d'une sentence sans appel.
Partout dans le monde des français tombent au service de la France à la place de nos enfants. Il serait bon de s'en souvenir.
Drapeau, Honneur et Patrie sont devenus des mots désuets et tabous. Nos élites assoupies sur de fausses assurances, rayeront très bientôt ces trois termes, pour écrire un nouveau bréviaire doré sur tranche à l'usage du quidam en état de coma dépassé.

Après la prise de l'hacienda de Camerone, les soldats du colonel Millan ont présenté les armes aux légionnaires survivants.
Au Mexique, lorsque des militaires et même des civils se trouvent aux abords de la " tombe des français ", ils se recueillent brièvement dans la dignité. Cet épisode pourtant douloureux, n'est pas oublié.
Les américains, en tournant " Alamo " ont exalté l'oeuvre héroïque de résistants texans contre l'armée de Santa Anna. Si la situation peut par certains aspects, être comparable, le contexte n'était cependant pas le même.
Chaque américain connait l'histoire du fort Alamo. Qui en France connait Camerone ?
Notre pays deviendrait-il celui de l'oubli ?

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Mis en ligne le 30 avril 2013

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