La 4ème DMM du général Sevez entre en ligne à son tour le 29 février en relève de la 3ème DIA et d'une partie de la 2ème DIM. Cette division a été formée au Maroc à partir de la Division de Marche de Marrakech. Elle compte un effectif d'un peu plus de 19000 dont 35% d'européens, avec les 1er, 2ème et 6ème RTM, 4ème RSM, 69ème RAM, 33ème GFTA et autres éléments divisionnaires. Elle est organisée en division d'infanterie mais avec moins de véhicules et plus de mulets.

Pendant ce temps à Alger les politicards qui reprenaient du poil de la bête n'oubliaient pas de sévir au travers de commissions d'épuration et autres instances d'exception: C'est ainsi que le Capitaine Carré de la 3ème DIA fut convoqué à cette époque à Alger pour répondre de "Pétainisme" et de son appartenance passée au Service d'ordre de la Légion (des Combattants) Son cas n'est qu'un parmi beaucoup d'autres au CEF… Sa convocation le rattrapa en Italie et déclencha une colère légitime dans les troupes qui souffraient et combattaient. En effet, cet officier venait d'être tué au combat au commandement d'une compagnie lors de la prise du Belvédère! Des officiers, des sous officiers et même des tirailleurs demandèrent alors à se rendre devant la dite commission avec le cercueil de leur chef et camarade. Le général de Monsabert calma la situation et fit par écrit une réponse cinglante, dans le style "sans objet, l'intéressé est Mort pour la France".
Pire encore! Plus tard, lors d'une inspection de Mr Le Troquer secrétaire à la guerre (socialiste) dans le CFLN gaulliste, on lui montra de loin les hauts lieux des combats du Belvédère et on lui raconta les sacrifices consentis. Le commentaire effarant du personnage fut: "Fallait-il qu'ils en aient des choses à se faire pardonner !"
Plus que le détail des batailles, des faits de ce genre méritent d'être rappelés pour souligner le mérite de ces hommes qui continuèrent à souffrir pour une France qui ne méritait pas toujours leur patriotisme… Ce Le Troquer est celui-là même qui, président de l'Assemblée Nationale jusqu'en 1958, sera impliqué en 1959 en marge de l'affaire dite des ballets roses et condamné. Il ne fut condamné qu'à une peine de prison avec sursis pour tenir compte d'un "long passé de services rendus" (il est vrai qu'il fut un beau soldat en 14-18 et gravement blessé) et pour ne "pas accabler un vieil homme" Ironie de la vie, ces deux arguments à sa décharge, il ne les avait pas retenus envers le Maréchal Pétain puisqu'en 45 il avait proposé qu'après l'avoir condamné à mort on l'aurait fait dégrader en public devant l'Arc de Triomphe par un simple soldat qui aurait brisé aussi son bâton de Maréchal, avant de le fusiller! Curieusement, il préconisa de voter non au référendum de 1961 sur l'Algérie après avoir craint en mai 58 des tendances dictatoriales chez de Gaulle !

Les Alliés persistent à vouloir enfoncer la ligne Gustav vers Rome par la route nationale 6 qui suit la vallée au nord de Cassino et aucune des quatre "batailles de Cassino" n'a pu déboucher face à des unités allemandes aguerries, bien installées en défensive et opérant des contre-attaques agressives, même après la destruction du monastère de Monte-Cassino. Alors début avril Juin rédige avec son état-major un plan totalement inédit et audacieux: attaquer sur la gauche de Cassino par les montagnes jugées infranchissables. La "Brêle-Force" va connaître sa deuxième période de gloire! Il faut dire que depuis les succès français des Abruzzes pendant l'hiver, Juin a acquis l'estime des Alliés et sa popularité n'est pas que parmi le CEF. Le correspondant de guerre Pierre Ichac qui l'a beaucoup côtoyé déclarait vers 1970 dans un film sur la bataille d'Italie :

"Je crois que jamais dans l'armée française, un général n'a été aussi populaire que le général Juin. Et cette popularité était faite d'une confiance absolue en Juin; c'était Juin qui commandait, ce n'était plus un état-major allié lointain"
Juin est très estimé et respecté par toute l'Armée d'Afrique. Pour les cadres et les combattants du rang qui le voient fréquemment sur le terrain, souvent en première ligne, ce "Pied Noir" (même si le terme n'existait pas encore) d'origine modeste, parlant l'arabe, blessé en 14-18, était en quelque sorte l'un des leurs. Populaire, il l'est aussi auprès des alliés, ce général issu de la même promotion que De Gaulle, mais déjà "3 étoiles" et commandant au front une division en 40, alors que son camarade n'est encore que colonel… Clark lui a dit à Rome :
"sans vous nous ne serions pas là" et une autre fois " je salue en vous le meilleur général de l'Europe " …

Egalement en avril, les troupes de l'Armée d'Afrique vivent aussi assez cruellement la mise à l'écart du Général Giraud, qu'elles ont vu passer plusieurs fois en inspection sur le front, et qui bénéficie d'un grand prestige. Il est aussi "l'organisateur de l'armée de la victoire" comme l'écrira en 1984 le colonel Paul Gaujac, historien et alors directeur du Service Historique de l'Armée de Terre. C'est à cette époque (le 9 avril 44) que le général de Monsabert inscrit dans ses "Notes de guerre" :

"Départ de Giraud : ce renvoi d'un grand chef, d'un Drapeau comme Giraud, d'un homme d'une honnêteté foncière et qui ne poursuit que la grandeur du Pays par une équipe de politiciens avides et ambitieux est effroyablement pénible (…) je n'ai pas caché au général Juin que cette situation créait un état d'inquiétude dans l'Armée"

Fin avril, en même temps que les derniers Goumiers (le 1er GTM) la dernière division française rejoint l'Italie : c'est la 1ère DMI du général Brosset des Forces Françaises Libres. C'est l'ex-1ère DFL, qui comprend des unités des Troupes Coloniales, mais aussi de l'Armée d'Afrique (Légion et BMNA) et même des marins! Son effectif est de 15500 dont 58% d'européens et comprend essentiellement 3 Brigades d'infanterie, le 1er RFM, le 1er RA, le 1er BG, le 21ème GFTA et elle a souvent été renforcée du 8ème RCA. Cette division est celle qui restera le moins longtemps au CEF mais il est juste de dire qu'elle aura la même proportion de pertes que les autres. Le CEF est maintenant au complet et compte environ 130000 hommes (et femmes) au plus fort des effectifs, mais par le jeu des relèves consécutives aux pertes, c'est un total de presque le double qui a servi au CEF. En plus des 4 divisions d'infanterie, le CEF comporte des unités non endivisionnées: Goums, Artillerie (RACL, 64ème RAA) Génie (101ème RG, 180ème BG) Chars (7ème et 8ème RCA) Pionniers, DCA, Commandement & Transmissions, Santé, Logistique, Intendance, Train motorisé et muletier, Essences, Matériel, Administration…
Le total de ces éléments non endivisionnés est de plus de 29000. Quant aux Goums Marocains, c'est une infanterie légère de montagne, constituée en groupes de la valeur d'un régiment (1er, 3ème et 4ème GTM) aux ordres du général Guillaume. Ils représentent au total à peu près l'effectif des fantassins d'une division d'infanterie. Ils ont combattu dans toutes les actions du CEF par GTM complets ou par Tabors, en renfort de l'une ou l'autre des 4 divisions d'infanterie.

Abréviations :

CEF ou CEFI: Corps Expéditionnaire Français (en Italie) 1ère DMI: Division Motorisée d'Infanterie (ex-1ère Division Française Libre)
2ème DIM: Division d'Infanterie Marocaine
3ème DIA: Division d'Infanterie Algérienne
4ème DMM: Division Marocaine de Montagne
RTA, RTM, RTT: régiments de Tirailleurs Algériens, Marocains, Tunisiens (à 3 bataillons chacun)
RSA, RSM: régiments de Spahis Algériens, Marocains
RG et BG: régiments et bataillons de Génie
RAA: régiments d'Artillerie d'Afrique
RAM: régiment d'artillerie de montagne
RACL: régiment d'artillerie coloniale du Levant
GFTA: groupe de forces terrestres antiaériennes (DCA)
RFM: régiment de Fusiliers Marins (régiment blindé de la 1ère DFL/DMI)
RCA: régiments de Chasseurs d'Afrique (régiments blindés de chasseurs de chars non endivisionnés)
GTM: Groupe de Tabors Marocains (équivaut à un régiment d'infanterie)
Tabor: un bataillon de Goumiers (comprend 3 Goums)
Goum: une compagnie de Goumiers
BMNA: bataillon de Marche Nord-Africain

Frédéric Harymbat.
Auteur de l'ouvrage : " Les Européens, d'Afrique du Nord dans les armées de la libération française (1942-1945).
Avec son aimable autorisation.

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Mis en ligne le 11 avril 2017

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