A l'issue de la campagne d'hiver, les alliés qui ont maintenant retrouvé confiance dans les troupes françaises et dans le Général Juin, finissent par adopter le plan que ce dernier leur a suggéré: faire attaquer son CEF par la gauche du dispositif allié à travers une zone montagneuse où les Allemands ne s'y attendent pas. Après une période de repos en mars 44, temps nécessaire à la reconstitution des unités très éprouvées par les combats dans les Abruzzes, le Corps français passe donc de la droite de Cassino à sa gauche dans l'ancien secteur anglais, dans la boucle du Garigliano (carte 2) où sous une couverture quasi permanente de fumigènes, il prépare son offensive. Le 11 mai 44 vers 23 heures, toute l'artillerie du CEF entre en action. Puis c'est la 2è DIM, la première arrivée en Italie en novembre 43, qui lance le premier assaut vers le mont Majo. Après un échec, Juin relance l'action la nuit suivante.

Les 11 et 12 mai les 4 Divisions et les Goums mènent une offensive de rupture de la Ligne Gustav (monte Majo, monte Faito, Castelforte, le Cerasola, le Girofano, Sant'Andrea…) puis du 14 au26 mai l'exploitation et nettoyage se poursuivent dans le secteur des Monts Aurunci et de la vallée du Liri (Ausonia, Monte Petrella, Monte d'Oro, Pico, Monte Fagetto…).
Le CEF s'organise alors en 2 entités: un Corps de montagne, avec la 4è DMM et les GTM et un corps de poursuite composé des 2è DIM, 3è DIA et 1ère DMI/DFL.
C'est grâce à cette rupture par le Corps français que Cassino est contourné et tombe, alors que les alliés s'y heurtaient vainement depuis des mois. Comme dans la première phase des combats en Italie, les pertes sont lourdes, en particulier en encadrement de contact. Les pieds noirs sont nombreux et appréciés chez les Sous-Officiers car, entre autres, ils parlent l'arabe. Ainsi, pendant cette bataille, un bataillon du 6è RTM a perdu le quart de ses tirailleurs (tués ou blessés), mais aussi le tiers de ses sous-officiers et la moitié des officiers !


Bataille du Garigliano du 11 au 26 mai

Avec acharnement et avec toute l'expérience acquise depuis 1939, les troupes allemandes opposent un coûteux combat retardateur quotidien aux américains au sud, au CEF au centre et aux britannique au nord, sur des lignes de défense successives préalablement aménagées mais aussi par des actions mobiles retardatrices. Rome est prise le 4 juin: cette action franco-américaine a été occultée par le débarquement de Normandie alors qu'elle était hautement symbolique puisque c'était la première capitale de l'Axe qui tombait…
C'est à cette occasion que le général Clark, le supérieur de Juin, lui a dit "sans vous, nous ne serions pas là" " …


Marche sur Rome du 22 Mai au 5 Juin

La guerre de mouvement continue à la poursuite de la XIVème Armée allemande sous forme de combat motorisé (groupements mixtes blindés-infanterie sur camions) les divisions se relevant successivement sur chacun des 2 axes d'attaque.) La 1ère DMI quitte le CEF pour aller se remettre en condition dans le sud de l'Italie.
Le 3 juillet Sienne est conquise par la 3è DIA sans qu'aucun obus ne soit tombé sur les trésors architecturaux de la ville.
Le 4 juillet une prise d'armes a lieu pour la DIA sur la Piazza Del Campo pour ses adieux au CEF car elle est prévue pour le premier échelon français du débarquement de Provence et rejoint la DFL/DMI dans le sud.


De Rome à la Toscane, du 10 juin au 3 juillet
Offensive vers Florence du 4 au 22 juillet

Le CEF est réduit à un Corps de poursuite (4è DMM, 2è DIM et GTM) aux ordres du Gal de Larminat (1) Entretemps, le 14 juillet une prise d'armes triomphale et inoubliable réunit à Sienne des détachements de toutes les unités du CEF. Le général Alexander commandant les troupes allies en Italie est venu en personne saluer le CEF. Le 20 juillet la 2è DIM est relevée par des Néo-Zélandais et les ultimes combats sont menés par la 4è DMM à Castel Fiorentino où le Cne Battestini du 9è RTA est le dernier officier tué en Italie. Le 21 juillet la DMM est relevée par une brigade indienne et le 23, les unités du CEF passent sous commandement de l'Armée B (Gal De Lattre) Le 30, les 4è DMM et 2è DIM rejoignent le reste du CEF dans le sud de l'Italie en vue de leur embarquement (ports de Brindisi et Tarente) à destination de la Provence. Les combattants d'Italie vont ainsi poursuivre le combat sans même passer par chez eux !

(1) Le Gal de Larminat "gaulliste de la première heure" a été désigné personnellement en 62 par de Gaulle pour diriger le tribunal militaire d'exception. Pour ne pas avoir à désobéir aux instructions de procès truqués et devoir condamner des frères d'armes, il s'est donné la mort dans son appartement parisien en juin 62.

En conclusion, cette campagne s'est déroulée en deux phases bien différentes: la bataille d'hiver relativement statique avec 2 puis 3 divisions d'infanterie dans le froid terrible et le relief épouvantable des Abruzzes au nord de Cassino, puis l'offensive dynamique du Garigliano en mai 44 au sud de Cassino suivie de la poursuite vers Rome et la Toscane.
Pour des raisons politiques et pour plaire à Staline (déjà !) l'élan des Alliés en Italie a été fauché en Juillet 44. Churchill, Alexander, Clark et Juin voulaient poursuivre la conquête de l'Italie et débarquer dans les Balkans pour attaquer l'Allemagne par le sud et ainsi réduire la portée de l'avance soviétique en Europe centrale (ce qui aurait singulièrement changé le destin de ces pays pour les 50 ans suivants !) mais d'autres "visionnaires" en ont décidé autrement !
On a même écrit un livre au titre évocateur: "L'Italie, victoire inutile"… mais sanglante: Les forces françaises y ont laissé près de 8000 tués et disparus. De Naples à la Toscane, des dizaines de cimetières provisoires ont jalonné la route du CEF. Après la guerre, ils ont été regroupés en trois nécropoles, à Naples, à Rome (1710 tombes) et surtout à Venafro près du village de Cassino. Celle de Naples a été abandonnée en 1991 et ses tombes transférées à celle de Venafro qui fut rénovée en 1992. S'y trouvent plus de 4500 tombes et deux murs du souvenir portant les noms des tués dont les corps ont été rendus aux familles. C'est la moitié du cimetière américain d'Omaha Beach en Normandie que tout le monde connait.
Qui connait celui de Venafro ? Par son prestige auprès des Alliés, Juin commençait à faire de l'ombre à de Gaulle qui le nomma auprès de lui en tant que secrétaire à la Défense. Quittant définitivement l'Italie, le général Juin adresse un ordre du jour au CEF, dans lequel il dit :

"Renouvelant les exploits accomplis naguère sur ce même sol par tant de héros de notre race, vous avez hâté l'heure de la libération et projeté sur le monde étonné l'image de l'Armée française renaissante, intervenant sur le front d'Italie comme facteur déterminant de victoire (…) Où que vous alliez, vous vous montrerez forts, unis et confiants, pareils à ce que vous fûtes toujours ici, au cours de cette inoubliable campagne. Vous resterez marqués du signe victorieux du CEF, cette magnifique entité française dont toute ma fierté sera d'avoir été l'animateur et le chef"
Et effectivement, beaucoup de combattants de la Première Armée sous de Lattre pendant les campagnes de France et d'Allemagne resteront marqués par leur épopée avec Juin, éprouvant souvent une véritable nostalgie de l'atmosphère de l'armée d'Italie en dépit des souffrances endurées et des pertes subies. Dans ses "notes de guerre" (1994 éditions Curutchet) le Général de Monsabert écrit ceci un soir d'avril 45 en Allemagne, à propos des turpitudes politiques qui ressurgissent en France et à propos du style de commandement du Gal de Lattre :
"Ce soir tristesse en pensant à tout cela. Où est notre belle campagne d'Italie ? Notre CEF avec le brave père Juin, et les visites si militaires de Giraud".
Ceux d'entre nous qui ont eu un père, un oncle, un ami qui a "fait l'Italie" ont pu constater combien cette campagne les a marqués. Le CEF, complété à partir de la Provence en août 44 par les 1ère et 5è DB venues d'Algérie (les DB de la Libération dont on ne parle jamais!) et la 9e DIC, deviendra la 1ère Armée. Mais, selon la formule consacrée, ceci est une autre histoire…

Je dédie ces modestes lignes à mon oncle Roger ICARD de la 2ème Division d'Infanterie Marocaine, vétéran des campagnes de Tunisie, d'Italie, de France et d'Allemagne, Croix de Guerre 39-45, assassiné à 42 ans par le FLN à Mascara le 25 août 1961.

Abréviations :

CEF ou CEFI: Corps Expéditionnaire Français (en Italie) 1ère DMI: Division Motorisée d'Infanterie (ex-1ère Division Française Libre)
2ème DIM: Division d'Infanterie Marocaine
3ème DIA: Division d'Infanterie Algérienne
4ème DMM: Division Marocaine de Montagne
RTA, RTM, RTT: régiments de Tirailleurs Algériens, Marocains, Tunisiens (à 3 bataillons chacun)
RSA, RSM: régiments de Spahis Algériens, Marocains
RG et BG: régiments et bataillons de Génie
RAA: régiments d'Artillerie d'Afrique
RAM: régiment d'artillerie de montagne
RACL: régiment d'artillerie coloniale du Levant
GFTA: groupe de forces terrestres antiaériennes (DCA)
RFM: régiment de Fusiliers Marins (régiment blindé de la 1ère DFL/DMI)
RCA: régiments de Chasseurs d'Afrique (régiments blindés de chasseurs de chars non endivisionnés)
GTM: Groupe de Tabors Marocains (équivaut à un régiment d'infanterie)
Tabor: un bataillon de Goumiers (comprend 3 Goums)
Goum: une compagnie de Goumiers
BMNA: bataillon de Marche Nord-Africain

Sources :
-"La campagne d'Italie" Maréchal Juin (Guy Victor 1962)
-"l'Armée de la Victoire" tome 3: De Naples à l'île d'Elbe Paul Gaujac (Lavauzelle 1985)
-"Juin, maréchal de France" B.Pujo (Albin Michel )
-"Le Corps expéditionnaire Français en Italie 1943-44" Jacques Robichon (Presses de la Cité 1981)
-"La participation française à la campagne d'Italie" Col. Le Goyet (service historique de l'armée.de Terre 1969)
-Notes de guerre Gal de Monsabert (Curutchet)
-Connaissance de l'histoire n° 39 "Le CEF en Italie" (Hachette 1981)
-Film "La bataille d'Italie" série Les grandes batailles H. de Turenne, D. Costelle (1971)

Frédéric Harymbat.
Auteur de l'ouvrage : " Les Européens, d'Afrique du Nord dans les armées de la libération française (1942-1945).
Avec son aimable autorisation.

Retour en haut de la page

Retour au menu "Engagement"


Mis en ligne le 21 avril 2017

Entrée  - Introduction  -   Périodes-raisons  -   Qui étaient-ils?  -   Les composantes  - L'attente  -   Le départ  -  L'accueil  -  Et après ? - Les accords d'Evian - L'indemnisation - Girouettes  -  Motif ?  -  En savoir plus  -  Lu dans la presse  -