Parmi les différents corps qui ont constitué les troupes d'Afrique, les Goumiers ont, sans aucun doute, été les plus étonnants, et la multitude de photos prises par les reporters de guerre alliés entre 1942 et 1945 est là pour le prouver. Plus guerriers que soldats, civils en armes plutôt que militaires, les Goumiers ont autant suscité l'admiration que la peur. Ces quelques lignes voudraient rappeler dans quelles circonstances ces hommes se sont illustrés sur tous les champs de bataille de l'armée française entre 1942 et 1945.

I.Un statut à part dans l'armée française.

Lors de la conquête du Maroc au début du XXème siècle (pudiquement appelée en son temps " pacification "), les troupes françaises purent apprécier la valeur guerrière des tribus berbères de l'Atlas qui leur opposèrent une résistance farouche jusque, pour certaines, au début des années 30. Loin de s'en plaindre, les militaires de l'armée d'Afrique entendirent, au contraire, capter à leur profit cette humeur belliqueuse. Tout comme les Britanniques le firent avec l'armée des Indes, les troupes coloniales voulaient engager dans leurs rangs ce qu'on appelait, sans complexe, à l'époque, les " races martiales ". Le problème était que ces hommes, s'ils étaient braves jusqu'à la témérité, se montraient assez peu disciplinés. La guerre était pour eux une affaire d'honneur et de butin, plutôt que la " continuation de la diplomatie par d'autres moyens ".

Le statut de supplétif était un cadre qui leur convenait bien mieux que celui de soldat régulier. Les premières troupes, six goums, furent levées en 1908 par le général d'Amade. Ses instructions montrent bien le caractère particulier de ces formations : " Le recrutement des goums s'effectuera dans chaque région (…) Les goumiers qui vivront avec leurs familles seront groupés par douar à proximité des postes (…) On tiendra compte de la personnalité de chaque goumier dont le sentiment individualiste et le caractère propre sont particulièrement développés chez le Marocain ". Tel quel, le goum ressemble plus à une tribu nomade en déplacement qu'à une unité militaire encasernée. Cet aspect de " horde " n'allait pas d'ailleurs manquer d'étonner et disons même épouvanter les populations allemande et italienne quelques dizaines d'années plus tard.

Ce qui est le plus caractéristique chez le goumier est sa tenue mais on a du mal à dire son uniforme. Chaque goum arbore une tunique qui lui est propre, la Djellaba arborant un schéma de rayures particulier permettant d'identifier à coup sûr tribu et village. Par-dessous, le goumier arbore un pantalon serré à mi-jambes, le Seroual, tandis qu'il chausse des Nails, sandales à lanières de cuir. Seul l'armement est fourni par la France, et jusqu'à la fin des années 30, un droit de prise est accordé aux goumiers qui peuvent ainsi se payer sur le butin pris à l'adversaire.

De six, les Goums passèrent progressivement à plus de cinquante, contrôlant une zone allant des montagnes de l'Atlas au Sahara. Leur valeur était parfois inégale, et certains ont pu se plaindre de leur manque de tenue au feu mais ils se montrèrent irremplaçables dans leur rôle de force auxiliaire, assurant un véritable maillage des zones frontière. Ils sont faits pour la " petite guerre " : renseignement, patrouille, embuscade, éclairage des colonnes. Mais la défaite de la France en 1940 va leur donner l'occasion de faire mieux et plus.

II. Face aux Allemands

Conçus pour des opérations de police et de contre-guérilla, les goumiers vont se révéler un redoutable outil de combat. Mais pour cela ils vont devoir attendre plus de deux ans. En effet, jusqu'en 1942, l'Afrique du Nord qui est dans l'orbite du gouvernement de Vichy reste à l'écart de la guerre. Les historiens n'ont pas fini de débattre sur le fait de savoir si le général Weygand a préparé la revanche, mais un fait est indéniable, l'armée d'Afrique a fait tout son possible pour cacher aux commissions d'armistice armes et véhicules, tandis que les effectifs étaient camouflés de toutes les manières imaginables. Les goums étaient ainsi enregistrés comme des formations de travailleurs auxiliaires, " chaque goum est devenu un centre de clandestinité où l'on apprend les techniques de la guerre moderne, où l'on espère le temps de la revanche, où l'on attend. Sitôt que les enquêteurs sont signalés, les armes automatiques disparaissent sous la couche elle-même des fatmas…et les Allemands repartent rassurés. ".


Goumiers en manœuvre, mai 1942. Dans quelques mois, ils reprendront les armes pour de bon. Source WWW.lyceelyautey.org. Site remarquable consacré aux Marocains des deux guerres mondiales.


Témoignage paru sur le site www.lyceelyautey.org, site consacré aux Marocains des deux guerres mondiales.

Lorsque les Américains débarquent en novembre 1942, l'armée d'Afrique, après trois jours d'équivoque tragique, reprend le combat dans le camp des Alliés. Les troupes françaises doivent alors tenir la dorsale tunisienne face aux forces germano-italiennes. Pendant six mois, les goumiers se battent avec leur armement démodé, répondant ainsi aux ordres de mobilisation lancé par le général Giraud. Les cadres sont des officiers d'active mais aussi des réservistes. Dans ce dernier cas, ce sont souvent des colons européens qui connaissent la langue et les coutumes de ces hommes, lesquels sont parfois leurs propres ouvriers agricoles. Aux yeux des nos contemporains, 70 ans plus tard, cela apparait comme une survivance féodale mais n'offre rien de choquant à l'époque. Une relation de confiance s'établit ainsi entre la troupe et ses officiers. En retour, ces derniers doivent faire preuve de valeur et ne pas ménager leur peine. A ce prix, les goumiers sont prêts à se faire tuer s'il le faut. Pas de fanatisme mais plutôt le sens de l'honneur, le goût du baroud, et disons le aussi, parfois, le goût du pillage. Nous aurons l'occasion d'en reparler plus loin.

Après la Tunisie, les goumiers sont engagés en Sicile où un Tabor s'illustre au côté des Américains, à la demande du général Patton, grand connaisseur en matière de soldats. La Corse est un autre théâtre d'opérations. Mais la grande affaire reste l'engagement en Italie, dans les rangs du C.E.F (Corps expéditionnaire Français). Les Tabors, sous les ordres du général Guillaume, portés à trois puis quatre groupements, constituent une subdivision d'arme à part entière, avec près de 8000 hommes. Les Européens y sont très minoritaires et représentent à peine 8% des effectifs.


Bivouac de Goumiers. Allemagne, avril 1945. Sur cette aquarelle, on peut voir ce qui fait le pittoresque de ces hommes. Le mélange hétéroclite de tenues indigènes et d'effets militaires modernes donne un cachet inimitable qu'on ne trouve nulle part ailleurs dans les troupes alliées, sauf peut-être chez les cosaques de l'armée soviétique. Aquarelle de Siss, collection particulière.

Les goumiers s'illustrent tout au long de la campagne, en particulier lors des combats du Garigliano. Avec leurs chevaux et leurs mulets, ils passent là où les grandes unités motorisées sont paralysées. Leur aptitude à se battre en montagne en fait des adversaires redoutables que l'armée allemande ne sous-estime pas. Cette dernière a d'ailleurs une attitude qui montre toute la haine que les goumiers suscitent. Ils sont considérés comme des supplétifs, c'est-à-dire des civils, et, à ce titre, des crimes de guerre ont été parfois commis à l'encontre de prisonniers marocains que les Nazis refusaient de reconnaitre comme des soldats réguliers.

A l'instar des autres unités du CEF, les goumiers débarquent ensuite au mois d'août 1944 en France sur les côtes de Provence. Ils participent à la prise de Marseille puis sont engagés dans les Vosges. Cette campagne d'hiver est menée par les trois premiers groupements, le quatrième se reformant au Maroc. Comme les autres " Africains ", les goumiers sont très éprouvés fin 1944 en raison des pertes et de l'épuisement nerveux des officiers et de la troupe. Les combattants en sont à leur troisième campagne. Le commandement continue pourtant de les utiliser en pointe jusqu'au bout. Lorsque la guerre prend fin, 7660 goumiers ont été tués ou blessés, près d'un tiers de l'effectif total engagé entre 1942 et 1945. Pour les officiers, on compte 194 tués ou blessés pour un effectif initial de 210 hommes, soit un taux de perte de plus de 90% ! Etonnante période où colon et colonisé auront fait cause commune en ne ménageant pas leur sang pour la libération de la France. Il est dommage que ce courage soit aujourd'hui utilisé pour entretenir des polémiques sur la repentance et les méfaits de la colonisation.

III. une image trouble

Parmi les débats qui ont pu agiter périodiquement le petit monde des historiens, il y a la question de savoir si les troupes coloniales ont eu droit à un traitement particulier, surtout quand il s'est agi de sanctionner des exactions hélas propres à toute troupe en guerre : viols, pillages. Cette question s'est d'ailleurs posée dès la campagne d'Italie durant laquelle les autorités italiennes collectent un nombre impressionnant de plaintes qu'on peut consulter librement au fort de Vincennes où sont disponibles les archives de l'armée française. Ancien officier de Tabor, J.Augarde a rédigé un véritable plaidoyer pour ses anciens compagnons d'armes : " Nos compagnons avaient souvent été traités de pillards (…) ils se permettaient, en fait, comme tous les combattants des larcins sans grande conséquence. (…) Dans tous les pays du monde, ce qui est dans le fossé est pour le soldat. Ils n'ont pas eu autre chose. (…) Ils sont restés aux portes des villes avec toutes leurs richesses sur le dos, dans le barda ou la chkara ". Soit, encore le pillage pouvait-il être excusé, " l'occasion fait le larron " dit la sagesse populaire. Mais le commandement fut beaucoup moins indulgent sur la question des viols.

Combattant au sein du Corps Franc d'Afrique en Tunisie, Georges Elgozy a laissé un témoignage cru et brutal des faits dont il fut témoin : " plusieurs fois par semaine, l'état-major du Corps-Franc est saisi de plaintes civiles à l'égard de tabors qui se livrent à des rapines et des pillages, au vu et au su de leurs officiers. (…) Les affaires de viol furent encore plus délicates à trancher. Non sans pertinence, un sous-officier de tabors m'expliquait qu'il valait mieux laisser derrière soi des bâtards que des cadavres ".

Si au sein de la hiérarchie on ferme les yeux en Tunisie, cela devient plus difficile en Italie et en Allemagne. Il en va de la discipline de la troupe, peut-être aussi de l'ordre colonial, et l'ordre sexuel en fait partie. Celui-ci repose en partie sur le prestige des Européens, or le viol d'Européennes, au- delà du crime en lui-même, constitue une remise en cause dangereuse. Cette violence est d'autant plus à sanctionner que les Musulmans ont déjà rencontré bon accueil en France et que cela risque aux yeux de la hiérarchie d'influencer défavorablement leur état d'esprit. Voilà ce que rapporte un rapport du 2ème bureau : " Leurs succès auprès d'un grand nombre de femmes auraient tendance à les griser, l'attitude excessivement généreuse de ces femmes ne manquera pas d'augmenter leur mécontentement et leurs prétentions dès leur retour en Afrique du Nord ". Ajoutons à cela qu'il s'agit de ne pas donner prises aux allégations de la propagande nazie qui présentent les troupes coloniales comme un ramassis de sauvages sans foi ni loi. Il y a donc des exécutions capitales qui provoquent un malaise général parmi les soldats et les officiers de la 1ère armée, deux goumiers sont ainsi passés par les armes à Obertal le 16 avril 1945. De leur côté, les civils allemands, abreuvés de propagande raciste, sont terrifiés à la nouvelle de l'arrivée des troupes françaises. Auteur d'un ouvrage passionnant sur l'occupation française en Allemagne, Marc Hillel a collecté nombre de témoignages sur la peur que les troupes coloniales, et les goumiers en particulier, inspiraient : " Ce n'était pas des blancs mais des Marocains (…) Ils tiraient en l'air pour nous effrayer et pour nous c'était la panique. A tel point que les parents cachaient leurs enfants, les petites filles surtout. (…) Des hommes à cheval qui n'arrêtaient pas de tirer, rien que des hommes à cheval ". Les officiers français font les mêmes constatations : " Le fait est qu'avec leurs manteaux Chleuh, leurs visages de bronze illuminés par l'ardeur des combats, leurs cris gutturaux, ils sont impressionnants. (…) J'ai vu dans des caves des femmes suffoquées de terreur en voyant entrer un goumier. (…) Mais ces tabors se conduisent d'une façon très convenable. D'ailleurs, si le Marocain est terrible dans le combat, il se laisse vite apprivoiser ".

Si les goumiers ont frappé l'imagination, ils ne furent pas les seuls coupables. Parmi les troupes françaises, les métropolitains ne furent pas en reste, ex FFI intégrés dans l'armée régulière, prisonniers libérés de toutes nationalités, en particulier les Soviétiques qui avaient des comptes à régler. Des Alsaciens organisent même des coups de main dans le pays de Bade en traversant le Rhin en bateau.

Il serait triste d'achever cet article sur un tel tableau. A côté des horreurs de la guerre, les goumiers ont pu faire preuve d'un étonnant sens de l'humanité, montrant que l'honneur n'était pas un vain mot chez ces guerriers. " Un blessé tu ne dois pas le toucher car il souffre. Un prisonnier, c'est comme la femme, il te fait plus la guerre… ".Terminons plutôt sur cette anecdote qui montre qu'il ne faut jamais sacrifier aux schémas simplistes :
" Des goumiers s'étaient, paraît-il, introduits par effraction dans une maison où ils avaient fait un véritable carnage. Par souci de la dignité de nos armes, elle fut cernée. J'entrai après avoir demandé l'autorisation à une bonne grosse qui semblait ne pas avoir souffert des restrictions et je trouvai à la cuisine quatre Chleuh assis devant le fourneau familial, en train de faire chauffer du lait échangé contre du chocolat et de la pâte de fruit. Nos Asker étaient bien tranquilles et ne s'occupaient même pas des enfants en rang d'oignons dont le plus petit se curait le nez avec attendrissement. "

Soldats d'élite, les goumiers n'ont pas eu à rougir de s'être battus sous notre drapeau. Fidèles à leurs traditions, adversaires valeureux puis combattants d'une loyauté à toute épreuve, membres d'unités parmi les plus décorées de l'armée française, ils ne sont pas des victimes de l'histoire mais des acteurs dont le rôle mérite d'être rappelé et salué. Leurs officiers l'ont fait en leur temps, qu'il me soit permis ici de leur rendre hommage à mon tour. Zîdou l'gouddem ! (en avant !)


" L'offrande ", un goumier rapporte à son officier une part de son butin. On notera en arrière-plan la présence d'un chasseur de chars (Tank Destroyer) M10 dont plusieurs régiments de l'armée d'Afrique étaient dotés (7 ème et 8 ème R.C.A par ex.). Cette scène prise sur le vif montre la proximité qui pouvait unir les officiers à leurs hommes mais rappelle également que les goumiers, à l'instar de toute troupe en campagne, n'hésitaient pas à vivre sur le pays où ils se battaient. Aquarelle de Siss, collection particulière.


Goumier en tenue de combat sur le front italien : tenue traditionnelle complétée par un équipement américain : casque modèle 1917, cartouchière en toile. Les sandales en cuir furent vite remplacées par des brodequins pour faire face à la neige et à l'humidité.


(…) Dans cet équipage, nos goumiers ne font pas figure de vainqueurs. Des hommes trainent, comme les Boches fuyards, des voiturettes sur lesquelles sont arrimés leurs bardas ; d'autres sont à cheval sans sellerie ; d'autres vont à vélo zigzaguant sur la chaussée (…) Chaque soir on supprime voitures et bicyclettes, mais une heure après leur départ tout est à recommencer " (J.Augarde,Tabor). Collection particulière.

Frédéric Harymbat.
Auteur de l'ouvrage : " Les Européens, d'Afrique du Nord dans les armées de la libération française (1942-1945).
Avec son aimable autorisation.

Retour en haut de la page

Retour au menu "Engagement"


Mis en ligne le 13 août 2016

Entrée  - Introduction  -   Périodes-raisons  -   Qui étaient-ils?  -   Les composantes  - L'attente  -   Le départ  -  L'accueil  -  Et après ? - Les accords d'Evian - L'indemnisation - Girouettes  -  Motif ?  -  En savoir plus  -  Lu dans la presse  -