Inquiétude au sujet de l'immigration espagnole

L'aspect d'Oran se ressent de l'histoire de cette curieuse cité. Pendant trois siècles, les Espagnols, ces entreprenants et ambitieux voisins, s'y sont établis ; ils avaient installé une garnison dans la forteresse et dans le Château-Neuf, un gouverneur dans le palais des anciens beys, et aux portes de la ville un bagne où l'inquisition envoyait les criminels d'État échappés au bûcher. On retrouve partout des maisons construites à la mode espagnole, et les enfants des provinces de Valence et de Murcie, qui forment encore aujourd'hui le gros de la population, s'y trouvent tout à fait à l'aise. Sur 30,000 habitants que renferme Oran, la moitié environ est d'origine castillane. On retrouve les Espagnols dans toutes les positions sociales, dans les métiers les plus divers. Les grandes famines de 1873 et de 1874, qui ont rendu beaucoup de provinces espagnoles inhabitables, puisque l'on ne saurait demeurer là où le pain manque, ont stimulé l'émigration. Par le beau temps, les grandes barques effectuent en quelques heures la traversée de la province de Valence à la côte oranaise.

Les malheureux paysans, ruinés, manquant de tout, hâves et décharnés, arrivaient en grand nombre. Le gouvernement espagnol lui-même, ne trouvant pas à nourrir ses nationaux, préférait les exporter et il nolisait des bateaux à vapeur sur lesquels on embarquait les émigrants, qui grossissaient le nombre de leurs compatriotes en quête de fortune ou tout au moins du pain quotidien sur la terre française de l'Afrique. Un moment, cette invasion a causé de vives alarmes dans la colonie. On se demandait si tant d'étrangers, arrivant dans de pénibles conditions, ne constitueraient pas un embarras au point de vue social et un danger au point de vue politique. La sûreté publique paraissait à beaucoup mise sérieusement en péril par ces nouveaux venus, aux dents longues, qui, poussés par la faim et le désespoir, demanderaient peut-être au crime les ressources qu'ils ne pourraient pas trouver de façon honnête. Ensuite que deviendrait la domination de la France entre le monde hostile des Arabes et les émigrants espagnols, qui apportaient leur langue, leurs goûts et leurs tendances politiques ?

L'alarme fut vive, mais on s'inquiétait bien davantage à Alger qu'à Oran même, et finalement, tout s'est arrangé pour le mieux. Les émigrés espagnols, sobres et bons agriculteurs, sont devenus d'utiles auxiliaires de la colonisation. Ils ont en partie remplacé l'élément indigène pour les travaux modestes et même infimes ; d'autre part, ils ont livré à la culture des terres jusque-là en friche. Le développement de la culture de l'alfa, cette plante précieuse que l'industrie trouve moyen d'employer de tant de façons diverses, coïncidant avec la pacifique invasion espagnole, a créé d'utiles débouchés à l'activité des nouveaux venus. Aujourd'hui les hauts plateaux auxquels on arrive par une ligne de chemin de fer qui gravit presque les montagnes à pic, a beaucoup contribué à résoudre la question dans le sens du repos et du travail. Et quant au point de vue de la nationalité, rien n'est à craindre.

Les Espagnols établis à Oran et dans les environs deviennent, au bout de quelques années, non pas Français, mais Algériens. La colonie est pour eux la véritable patrie, ainsi que pour leurs enfants. Au surplus, d'après une convention conclue, en 1862, entre la France et l'Espagne, les Espagnols habitant l'Algérie ont la faculté de satisfaire à la loi du recrutement dans les régiments de l'armée française d'Afrique. Cet amalgame de jeunes Espagnols et de jeunes Français à l'ombre du drapeau tricolore produit les meilleurs effets. Bref, cette grosse question de l'invasion espagnole ne cause plus de grands tracas.

En Algérie.Trois mois de vacances, par F. Kohn-Abrest Kohn-Abrest, F. 1884. (extrait pages 65 à 69)
Source: gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LK8-1333

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Mis en ligne le 20 décembre 2011

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