Les pieds-noirs ont-ils été abandonnés par la France ?

Après l'indépendance de l'Algérie, de nombreux pieds-noirs ont été victimes d'enlèvement.
Une question longtemps occultée par les deux États.

Au lendemain de l'interpellation des candidats à la présidentielle par l'association Jeune Pied-Noir, la question épineuse, inconfortable, est à poser de nouveau. On peut d'ailleurs s'étonner du peu d'ouvrages consacrés au sujet, ces derniers se concentrant surtout sur le massacre d'Oran (5 juillet 1962) qui aurait fait 700 morts européens et une centaine de victimes musulmanes.

De l'indépendance de l'Algérie, en juillet 1962, à la fin 1962, 4 000 Européens ont été enlevés par des éléments algériens, plus ou moins proches du FLN. Le bilan des disparus divise : le Mémorial national des disparus en Algérie, inauguré en 2007 à Perpignan, mentionne 2 670 noms, mais l'historien Jean-Jacques Jordi, dans son dernier livre, Un silence d'État, qui décrit de nombreux cas de sévices, de tortures et de rapts, conteste ce chiffre, qu'il révise à la baisse, après consultation de différents fonds d'archives.

Une certitude : le gouvernement français était au courant des enlèvements. Comme le rappelle Jordi, dès le 17 juillet 1962, le général de Gaulle, en plein conseil des ministres, s'alarme de ces violences : " Si les enlèvements continuaient, il faudrait prendre des dispositions. " Mais le gouvernement laisse filer et ne mène aucune enquête, préférant, au cours des mois qui suivent, mettre en place un cadre juridique pour dédommager les ayants droit des victimes civiles des événements d'Algérie.
En août 1962, écrit Jordi, " l'armée française reçoit l'ordre de ne plus aller chercher les Français isolés ni de les protéger, comme le droit français les y autorise ".

Les disparus gênent

Jeanneney, ambassadeur de France en Algérie, proteste très tôt auprès du gouvernement algérien, au nom des accords d'Évian, qui prévoient, entre autres, la liberté et la sécurité des Français sur le nouveau territoire algérien. En vain. En décembre, des rencontres franco-algériennes ont lieu à Paris. On évoque le sort des disparus.
La France émet le principe d'une commission mixte franco-algérienne chargée des personnes disparues, mais l'Algérie botte en touche. Malgré de nombreux articles de presse, des membres du gouvernement français minimisent le bilan. Et la France laisse le soin au Comité international de la Croix-Rouge de mener l'enquête sur place en 1963. On en est aux prémices de la coopération avec l'État algérien : les disparus sont une gêne dans les relations entre les deux États.
Le problème est donc évacué, même si le pape Paul VI s'émeut encore de la situation en 1965.

Longtemps, la question a été politisée : s'inquiéter des disparus, remuer le spectre de ce silence de l'État français, revenait à faire l'apologie de l'OAS, car, selon le FLN, les victimes européennes étaient toutes membres de l'organisation illégale, qui pratiquait elle-même une politique de terreur. OEil pour oeil, dent pour dent.
C'est en partie vrai. Mais la violence algérienne s'est abattue aussi à l'aveugle, sur des femmes, des enfants, des familles entières.
Après les années 2000, l'État français a entrebâillé la porte sur cette question : il a créé la Mission interministérielle aux rapatriés (MIR), qui, après interpellation du ministère des Affaires étrangères et de ses archives, a permis en 2003 la diffusion du rapport de la Croix-Rouge, resté jusque-là secret, et la consultation des dossiers nominatifs des disparus.
La Direction des archives du ministère a publié en 2004 une liste de 3 781 noms. Un nouveau rapport est remis à la MIR par le général Maurice Faivre. Une liste révisée de 2 230 personnes est établie. Liste officieuse. C'est dans la lignée de ce mouvement de reconnaissance que le Mémorial de Perpignan est inauguré.
Mais les pieds-noirs, en 2012, veulent aller plus loin et demandent une prise de position officielle de l'État français, comme ce fut le cas en 1995 pour la politique de déportation des juifs français.

À lire : Jean-Jacques Jordi. Un silence d'État, les disparus civils européens de la guerre d'Algérie. Éditions Soteca.

François-Guillaume Lorrain
Le Point.fr - Publié le 25/01/2012 à 12:25 - Modifié le 01/02/2012 à 11:30
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Mis en ligne le 14 juin 2014

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