" Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle, s'il n'a l'âme et le cœur et la voix de Néron " (Lamartine)
" La France se doit de protéger ses enfants de l'autre côté de la Méditerranée, elle le fait et elle le fera ... " Charles De Gaulle, Le 21 septembre 1961, à Villefranche de Rouergue.
Ce jour là, le journal " Le Monde " avait titré :
Pourtant à trois reprises sur les ondes de la radio, M. Souiah, le Préfet d'Oran, avait déclaré : " Nous ne pouvons tolérer de pareils actes criminels à un moment où il est demandé une mobilisation générale de toutes les énergies saines ". Comme la veille, il rejeta la responsabilité de l'émeute sur des éléments provocateurs, mais à aucun moment il ne fit allusion à la défunte OAS. La rancœur de Katz était sans bornes. Mais le préfet n'en resta pas là. Pour mieux se faire comprendre, il donna l'ordre de désarmement aux éléments incontrôlés, annonçant des mesures très sévères à cet effet. Le coup de grâce était assené au " boucher d'Oran " qui, dit-on, faillit manger son képi.
Le préfet, lui, un chef de la rébellion venait de confirmer devant la presse internationale que les " éléments incontrôlés " n'étaient pas le fait d'irréductibles de l'OAS... alors qu'il lui aurait été facile de le laisser croire à l'opinion. De plus, si la presse française, dans son ensemble (hormis le journal L'Aurore), continuait de mentir sur les événements du 5 Juillet, les Arabes eux-mêmes, pris d'un certain sentiment de culpabilité - et peut-être de honte - se livrèrent à quelques déclarations. C'est ainsi que dans " L'Echo d'Oran " du 9 Juillet, page 6, le Docteur Mustapha Naid, directeur du Centre Hospitalier d'Oran, parlait déjà de 101 morts européens et de 145 blessés, sans compter les disparus. On était encore très loin du compte mais on y venait peu à peu...
Le mardi 10 Juillet sera un jour noir pour le " boucher d'Oran ". Tous les journalistes présents furent conviés à une conférence de presse du capitaine Bakhti, le responsable de la zone autonome d'Oran. Il s'agissait de faire la lumière sur les récents événements.
Quelques minutes plus tard, les journalistes prirent la direction de Pont-albin, un petit village situé à une dizaine de kilomètres d'Oran où étaient installés les détachements de l'ALN. Là, le capitaine Bakhti leur présenta les deux cents meurtriers qui, expliqua t-il, composaient un gang d'assassins de la pire espèce dans les faubourgs du Petit Lac, de Victor Hugo et de Lamur. Ce furent - aux dires de l'officier - eux qui provoquèrent le massacre.
A leur tête, se trouvait un assassin notoire - une bête sanguinaire - : Moueden, dit Attou, connu pour son caractère particulièrement violent et sauvage et sa cruauté qui lui procurait une indicible jouissance. Pourtant, un premier coup de théâtre sema le trouble parmi ceux qui avaient travaillé sur le sujet.
Le 6 Juillet 1972, le journal " RIVAROL " révélait sous la plume du Docteur Jaques Couniot, que " le dit, Attou, se portait comme un charme et qu'il était même (ça ne s'inventerait pas) employé aux Abattoirs municipaux d'Oran ", ajoutant même à l'adresse d'Attou : " Un homme, vous le voyez, dont la vocation est indéracinable "...
Les choses en seraient restées là s'il n'y avait pas eu, en 2002, la parution d'un ouvrage remarquable intitulé " Fors l'Honneur ", qui contait la guérilla OAS à Oran en 1961/62 et dont l'auteur n'était autre que Claude Micheletti, responsable du Renseignement au sein de l'Organisation oranaise.
Second coup de théâtre : P. 215, nous apprenions avec stupéfaction que le sinistre Attou ne pouvait être, le 5 juillet, à la tête des tueurs dès lors qu'il avait été abattu quelques semaines plus tôt par un commando de l'OAS. Faisant preuve d'un scepticisme bien légitime après 40 ans de désinformation, je m'en ouvrais directement à l'auteur qui, avec compréhension, m'apporta les éléments qu'il était le seul à détenir.
De plus, à l'appui de ses explications verbales, il me fit parvenir, pour exploitation, une liasse de documents originaux " top secrets ", émanant de sources officielles de l'époque, notamment du FLN/ALN et de la gendarmerie " blanche ". Ainsi, malgré le grotesque de cette mise en scène qui consista à faire endosser à un mort la responsabilité exclusive du génocide du 5 juillet, avalisée en cela par un général Français, il fut officiellement confirmé qu'aucun Européen ne fut à l'origine de l'émeute sanglante.
Un journaliste demanda au capitaine Bakhti pourquoi le gouvernement français tenait-il tellement à faire rejeter la responsabilité du massacre sur des éléments de l'OAS qui n'existait pourtant plus. L'officier répondit dans un sourire amusé que le gouvernement et ceux qui le servaient - sous entendu, le général Katz - détenaient, seuls, la responsabilité de leurs propos... ce qui fit dire tout haut à un journaliste Pied-Noir, à rencontre de ses confrères : D'après certaines "mauvaises langues" de l'entourage de Katz, il paraîtrait que le valeureux général n'en dormit point de la nuit...
Ces morts, les Français ne les ont guère pleurés. Il est vrai qu'ils ne surent pas grand chose de leur fin tant les organes d'information, et les responsables politiques, heureux d'avoir retrouvé " enfin " la paix, se gardèrent bien d'assombrir les multiples réjouissances. Après tout, il ne s'agissait là que de victimes Pieds-Noirs, de colonialistes et de sueurs de burnous. On leur avait tant répété durant sept ans que la guerre d'Algérie n'était rien d'autre que la révolte des pauvres indigènes opprimés contre les " gros colons ", qu'ils ne pouvaient éprouver la moindre compassion à l'égard de ce million de nantis européens. Ils méritaient leur sort, voilà tout !... |
Liste des unités présentes à Oran, et à proximité, le 5 juillet 1962.
Secteur Oran Ville
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Les massacres du 5 juillet 1962 à Oran
Selon l'étude menée par Jean Monneret (1), les causes de ce drame sont à imputer, pour une large part, aux mesures contradictoires prises par le Gouvernement avant et pendant la tragédie. En Algérie en effet, au cours de la période qui suit le cessez-le-feu, les autorités civiles et militaires lancent une campagne destinée à rassurer les populations françaises sur le sort qui les attend après la sécession.
Les supports de ces messages sont multiples : Même le général Joseph Katz, commandant le corps d'armée d'Oran, qui exécutera à la lettre les directives contradictoires qu'il recevra de Paris le 5 juillet, lance des appels au calme dont voici un spécimen (2): À l'opposé de ces recommandations, lors du conseil des ministres du 24 mai 1962, le général de Gaulle donne personnellement les instructions suivantes à son gouvernement (3): En Algérie, le référendum sur l'autodétermination des Algériens a lieu le 1er juillet 1962 et la France, entérinant les résultats favorables à l'indépendance le lendemain, le pays est indépendant à partir du 2 juillet.
À son arrivée à Alger le 3 juillet, le gouvernement issu du G.P.R.A. (5) choisit le 5 juillet, date anniversaire de la prise d'Alger par les troupes françaises en 1830, pour célébrer la sécession ; il prévoit de grandes manifestations dans toute l'Algérie. À cette date, cent mille Français résident encore à Oran où, vers onze heures, une foule composée de civils autochtones, encadrée par des membres de l'A.L.N. et des A.T.O.(6), envahit la ville européenne ; aucun service d'ordre, français ou algérien, n'est présent. |
Claude Milhe-Poutingon, lieutenant pilote de T. 6 (7) à l'époque, vétéran de Saïda (qui a activement opéré au profit du commando musulman), rapporte ce qui suit (8) : >Le nombre exact des victimes de cette journée n'est pas connu ; selon les différentes sources, il varie de la centaine à trois mille. Là encore, il est sage de laisser aux historiens le temps d'établir la vérité, si tant est qu'ils le puissent un jour ; actuellement, leurs travaux permettent de penser que ce chiffre sera d'au moins plusieurs centaines.
Ces débordements sont à imputer, pour une large part, à l'absence de service d'ordre, tant algérien que français. Il apparaît que des initiatives de bonne volonté se manifestent en début d'après-midi de la part de la police, des A.T.O. et de l'A.L.N., mais elles ont peu d'effet, ces forces étant divisées et inorganisées.
L'armée française, à l'intérieur de ses cantonnements, a les mains liées par les consignes qu'elle a reçues. Par les détachements stationnés en ville, les aéronefs (pipers, hélicoptères) qui la survolent et diverses sources émanant de témoins, l'état-major du Corps d'armée et le Gouvernement sont informés en direct de la situation, mais Paris maintient ses instructions et ordonne de laisser le maintien de l'ordre aux mains des nouvelles autorités. Les actions les plus spectaculaires, qui permettront de sauver des centaines de vies humaines, seront accomplies, à l'encontre des consignes reçues, dans le centre de la ville, aux risques et périls de leurs décideurs; elles sont au nombre de cinq, dont une à la gare centrale avec ouverture offensive du feu et une à la préfecture; cette dernière sera l'œuvre du capitaine Rabah Khellif, et voici le récit qu' il en fait (9): Le capitaine Khellif, qui sera sauvé par ses hommes d'une mort par lynchage alors qu'il s'était momentanément éloigné d'eux pour parlementer avec des meneurs du F.L.N., explique comment, manu militari, il libère tous ces gens puis il poursuit : Qui sont ces autochtones qui portent secours à des Français pris au piège ? Ce sont des voisins, de simples connaissances, des camarades d'école, des amis d'enfance, des subordonnés, des ouvriers ou de simples passants ; ils avertissent, cachent, transportent en lieu sûr… Certains paieront de leur vie ce geste humanitaire. Nombreux sont aussi les djounoud de l' A.L.N. et les A.T.O. qui, contrairement à certains de leurs camarades, s'interposent pour libérer des personnes appréhendées.
Du fait de son ignorance des réalités, la majorité de l'opinion publique française impute la responsabilité des massacres à l'O.A.S. qu'elle accuse d'avoir ouvert le feu sur une foule autochtone pacifique, ce qui aurait déclenché des représailles en retour, cette version des faits étant partagée jusqu' en haut lieu.
Citons à titre d'exemple le ministre Jean-Pierre Chevènement qui, au cours d'un débat télévisé sur l'Algérie (en présence d'une délégation algérienne fort vindicative), à propos des massacres du 5 juillet 1962, répondra de bonne foi : " Il y avait l'O.A.S… " à l'animateur qui le questionnait sur cette affaire.
Cette version des événements n'est pas crédible pour trois raisons : |
1. Jean Monneret, La phase finale de la guerre d' Algérie, op. cit., pages 240 à 246. 2. Georges Fleury, Histoire secrète de l'O.A.S., op. cit., page 912. 3. Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, op. cit., page 250. 4. Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, op. cit., pages 264 à 267. 5. GPRA : Gouvernement Provisoire de la République Algérienne. 6. A.T.O. : auxiliaire temporaire occasionnel - Un corps de police autochtone composé de plusieurs milliers d'A.T.O. est, conjointement avec la force locale, mis à la disposition de l'exécutif provisoire. Sur le plan logistique, cet organisme est soutenu par les services français qui l'équipent et l'approvisionnent en fonds, armes, matériel, munitions, carburants… Étant toutefois, dès sa formation, pris en main par les réseaux F.L.N. locaux qui en sélectionnent et désignent tous les membres, tout au long de sa brève existence, il échappera à l'autorité de l' exécutif provisoire. Habilitée à intervenir dans les quartiers européens, cette " police " jouera, en liaison avec nos propres forces, un rôle actif dans la lutte contre l'O.A.S. et les partisans de l'Algérie française. Son action sera cependant entachée de nombreux actes relevant du terrorisme : enlèvements, assassinats, mitraillages en pleine rue de passants et de voitures, ouverture du feu sur les forces de l'ordre avec mort d'un officier, vols, pillages… Cette conduite lui vaudra, avant même la sécession, d'être désarmée par les autorités françaises. 7. T.6 (dit Texan) - Avion d'appui au sol armé de quatre mitrailleuses et de six roquettes. 8. Entretien avec l'auteur le 20 février 2005. 9. Mohand Hamoumou, Le Livre Blanc de l'armée française en Algérie, Paris, Contretemps, 2001, page 171. 10. Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, op. cit., page 273. |
C'était le carnage aveugle et cruel, accompagné de scènes de pillages immondes. Chacun a tenté de gagner le port comme il à pu et chacun au risque de sa vie pour prendre d'assaut des cargos ou des paquebots battant pavillon tricolore. Même sur le court chemin de la délivrance, la mort fauchait des innocents. " Le cargo Amalthée est arrivé avec cent vingt-sept passagers affolés, sans ressources, tremblant encore au souvenir des scènes d'horreur qu'ils avaient vécues. Le paquebot Sidi-Ferruch est arrivé avec mille cent personnes parmi lesquelles des blessés, des femmes et des hommes portant des traces de coups et de tortures. Une femme a montré la cicatrice laissée a son bras par la " succion buccale " de son sang opérée à même la chair, après blessure faite dans un ignoble martyre. Pendant ce temps, son mari était froidement mis a mort. Un brave homme, accompagné de sa fille, a raconté l'horrible adieu qu'il a dû faire a son foyer et a son épouse. Cette malheureuse a été abattue et il a fallu que le mari et l'enfant partent sans s'approcher du cadavre étendu sur le trottoir. Et, suprême raffinement de cruauté, la fille a été dépouillée de son sac et de ses effets au moment ou elle était autorisée a s'éloigner. Des jeunes gens montraient les blessures qu'ils s'étaient faites en sautant des fenêtres pour échapper aux brutes sanguinaires, et ils confirmaient que, dans l'après-midi du jeudi, les détails concordant, on dénombrait cent vingt sept morts et quatre vingt quinze blessés européens. C'est avec le cœur meurtri qu'on entend un officier parler en ces termes : Quand nos soldats le peuvent, ils donnent abri aux victimes pourchassées. Mais n'ayant pas l'ordre de tirer et de s'opposer par les armes aux attaques du F.L.N. ou de l'A.L.N., ils demeurent impuissants, accablés, la rage au cœur, même lorsqu'on leur crie : " Français, sauvez-nous ! " (Dépêche Le Méridional.) |
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Mis en ligne le 05 juillet 2011