La révolte des généraux

LE PUTSCH D'ALGER DU 21 AU 26 AVRIL 1961

" ...Or, l'armée est l'instrument de l'Etat. Quand elle se sent maniée par un Etat hésitant, tâtonnant, ses difficultés morales sont beaucoup plus grandes...".
Charles De Gaulle, allocution à l'Ecole militaire de St. Cyr Coëtquidan, le 02.08.1956.

: " Nous ne pouvons pas, on ne peut pas demander à l'armée française des sacrifices, et, en même temps, mener une politique qui annihile ces sacrifices. Quand ii y a divergence entre les efforts demandés à l'armée et d'autre part la politique, par contradiction ou incertitude, le pays perd son armée ou l'armée se révolte contre un pouvoir qui ne sait ce qu'il veut... ".
M. Debré, Premier Ministre, à l'Assemblée Nationale, le 09.06.1959

Après la semaine des "Barricades" en janvier 1960, l'état d'esprit de la hiérarchie militaire en Algérie passe de la perplexité au désappointement.
La 2éme "tournée des popotes" de Charles de Gaulle, du 3 au 5 mars 1960 conforte ce sentiment, tout comme le remplacement du général CHALLE, commandant en chef en Algérie, par le général CREPIN réputé plus souple.

A l'automne 1960, Paul DELOUVRIER Délégué Général du Gouvernement en Algérie, est remplacé par jean MORIN, gaulliste. A la fin de l'année a lieu le référendum sur la politique algérienne. Les résultats de la consultation du 8 janvier 1961, montrent qu'en Algérie, l'armée influence encore une partie des musulmans, les européens repoussant en bloc la proposition de Charles de Gaulle.
En France, une majorité de métropolitains approuvent cette politique.

De GAULLE estime :
" Avoir repris en main l'armée.
" Retiré leurs illusions aux européens d'Algérie.
" Démontré sa bonne foi aux musulmans.

Pourtant, un certain nombre de chefs militaires n'ont pas renoncé à renverser le cours de l'histoire. Mutés en métropole mis plus ou moins au placard, ils conservent leur liberté d'action. SALAN est à Madrid, JOUHAUD s'est retiré chez lui en Oranie, FAURE et ZELLER sont à la retraite en France, CHALLE a pris une retraite anticipée. Ce sont surtout les colonels ARGOUD et LACHEROY qui décident CHALLE à faire quelque chose, SALAN et ZELLER sont déjà dans "le coup".
Pour rassurer CHALLE et tous ceux qui commandent en Algérie, l'affaire sera menée uniquement par les militaires.

Mais le scénario est plutôt mal ficelé :

- Est-ce qu'il y aura un ralliement massif des musulmans ? Rien n'est moins sûr.....
- Quelle va être la réaction de Charles de Gaulle ? Va t-il être désemparé ?
- L'opinion en métropole va-t-elle être favorable ?
- Quelle va être la réaction des appelés du contingent, sachant qu'ils sont de moins en moins motivés pour continuer cette guerre, dans leur grande majorité. Ce sont toutes ces raisons qui font que CHALLE hésite jusqu'au bout, mais, après avoir appris que les pourparlers d'Evian avec le FLN, ont commencé le 30 mars et que Charles de Gaulle confirme les choix définitifs (évocation d'un état algérien souverain) dans sa conférence de presse du 11 avril, il donne son accord le 12 au groupe des militaires impliqués dans le projet de putsch.

La date retenue du soulèvement est fixée au 20 avril. Les chefs rebelles regagnent Alger en profitant des sympathies conservées dans l'armée de l'air. Ils se retrouvent à Alger le 20 au matin (sauf SALAN retardé) (1) et installent leur P.C à la villa des Tagarins.
Les unités sûres ne sont pas nombreuses, mais ce ne sont que des troupes d'élite : 1er REP, 1er, 14éme et 18éme RCP, le 27éme Dragons, le GCPA (commandos de l'air)....etc

Le Délégué Général Jean MORIN et le général GAMBIEZ (2) ne sont pas inquiets, cela fait moult fois qu'on leur annonce qu'un complot se prépare.......
Le 22 avril (samedi ndlr) à 7h du matin, Radio-Alger annonce l'incroyable : L'armée vient de prendre le contrôle de l'Algérie. Au cours de la nuit du 21 au 22, légionnaires et parachutistes ont investi les centres névralgiques d'Alger :

La Délégation Générale, le P.C de l'Etat-Major Interarmes au Quartier Rignot, le Corps d'Armées d'Alger à la caserne Pélissier, le Palais d'été, l'aéroport de Maison-Blanche, l'immeuble de Radio-Alger, l'AFP, les Télécommunications sont coupées avec la métropole, enfin la station de TV à Ouled-Fayet (c'est là qu'aura lieu la seule fusillade, le soldat Pierre Brillant (maréchal des logis chef, ndlr), de garde, résiste et est abattu par les parachutistes).Ce sera le seul mort de l'insurrection ndlr.
MORIN, GAMBIEZ et toutes les personnalités qui comptent et qui refusent de se rallier, sont embastillés. Les gendarmes, les CRS ainsi que les éléments militaires peu sûrs se laissent désarmer. A 3h du matin, Alger est tombé. Au siège de l'Etat-Major, CHALLE, JOUHAUD et ZELLER ont pris les rênes, leur intention : "Tenir le serment de l'armée de garder l'Algérie, pour que nos morts ne soient pas morts pour rien !".

C'est contre ce qu'ils nomment "Un gouvernement d'abandon" que se lèvent les putschistes. Par radio, France V rebaptisé Radio-France, diffuse un message du nouvel Etat-Major :
" L'armée s'est assurée le contrôle du territoire algéro-saharien, l'opération s'est déroulée conformément au plan prévu, dans l'ordre, sans un coup de feu (inexact, voir plus haut)".
Dans la matinée, CHALLE fait une déclaration à la radio : "Je suis à Alger avec ZELLER et JOUHAUD et en liaison avec le Général SALAN, pour tenir notre serment, le serment de l'armée de garder l'Algérie, pour que nos morts ne soient pas morts pour rien. Un gouvernement d'abandon s'apprête à livrer les départements d'Algérie à la rébellion. Voulez-vous que Mers-El-Kébir et Alger soient demain des bases soviétiques ? Je sais quels sont votre courage, votre fierté et votre discipline. L'armée ne faillira pas à sa mission et les ordres que je vous donnerai n'auront pas d'autre but."

Les algérois sont invités par radio à venir au Forum le lendemain 23 avril, afin de rencontrer les nouvelles autorités (SALAN arrive d'Espagne ce même jour). Tôt dans la ville, les drapeaux sortent aux fenêtres, les voitures pavoisent dans un concert d'avertisseurs, même scénario à Oran à partir de 7h du matin, où tous les édifices publics sont investis

Au soir du 22 avril, CHALLE peut s'estimer assez satisfait.
A ALGER, il dispose des forces suivantes :
1er REP, 1er REC, 14éme et 18éme RCP, le GCPA (commandos de l'air), le 27éme DRAGONS et le 5éme ETRANGER, le GCPRS (composé de paras et de harkis).
A ORAN, où il a envoyé GARDY (ancien inspecteur de la Légion) :
2éme et 5éme RCI, 13éme DBLE, ½ Brigade de FUSILLIERS MARINS, 1er CUIRASSIERS et 6éme RCA stationné à Mostaganem. A CONSTANTINE, 9éme RCP, 13éme DRAGONS, 2éme et 6éme RPIMA.

En revanche, il y a des grosses difficultés, à savoir :
A l'Amirauté à ALGER, l'Amiral QUERVILLE refuse de se rallier et s'enfuit par bateau vers Mers-El-Kébir, le Général BIGOT Chef de la 5eme Région Aérienne, s'est tout de suite rallié à CHALLE, mais dans son ensemble, l'armée de l'air ne suit pas, les avions décollent et rejoignent la métropole......

La majeure partie des officiers d'état-major, ne sont pas chauds pour se rallier.
A ORAN, bien que CHALLE ait envoyé le Général GARDY en mission, le Général de POUILLY chef du CA d'ORAN, se réfugie à TLEMCEN, sur les conseils de Louis JOXE et du Général OLIE en visite dans le secteur.
Le Colonel BROTHIER de la Légion à Bel-Abbés, refuse de se rallier (3).
A CONSTANTINE, le Général GOURAUD change d'avis toutes les heures, CHALLE envoie ZELLER pour le convaincre, ce n'est que lorsque les unités ralliées à CHALLE se déploient en ville que GOURAUD se rallie à contrecœur.
Le 3éme RPIMA, jadis commandé par BIGEARD refuse de se rallier, SETIF, BATNA, BONE et TEBESSA ne se rallient pas.

Et les algérois sont au Forum le 23 avril. Dans quelques instants, CHALLE va s'adresser à la foule, les autres Généraux à la suite, dont le Général Edmond JOUHAUD, enfant de l'Oranie.


La foule est enthousiaste, plus de 100.000 personnes sur l'esplanade du Forum........
Le service d'ordre à du mal à contenir la joie de la foule.

De son côté, le Pouvoir à Paris réagit dés le 22 avril. Pierre MESSMER, le Ministre des armées, ordonne de s'opposer à la révolte par tous les moyens. Louis JOXE, dépêché sur place à ORAN, s'assure du loyalisme de nombreux cadres. A PARIS, Roger FREY ministre de l'intérieur, brise dans l'œuf l'antenne parisienne de la conjuration, par une série d'arrestations.

Lors d'un conseil extraordinaire qui se tient dans l'après-midi du 22 avril, de GAULLE a cette phrase "ce qui est grave dans cette affaire, c'est qu'elle n'est pas sérieuse !". Il n'apprécie pas la mascarade organisée par André MALRAUX et Michel DEBRE,(4) qui rameutent la population de PARIS.

En Algérie, la masse des appelés du contingent est majoritairement hostile au putsch, qui, s'il réussit risque de prolonger la guerre. Sur Radio Monte -Carlo, que l'on capte en Algérie, de GAULLE annonce qu'il va parler le 23 à 20h. Dans tous les cantonnements, les postes transistor sont allumés.......

"Un quarteron de Généraux en retraite.......au savoir-faire expéditif et limité...... j'ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés pour barrer la route à ces hommes là, en attendant de les réduire.....".
En Algérie, l'effet de l'allocution est désastreux pour les "rebelles".
Dans certaines casernes ou cantonnements, on signale des refus d'obéissance d'appelés aux officiers favorables au putsch. On signale un début de mutinerie à BLIDA ou flotte un drapeau rouge.....

Le Lundi 24 avril, CHALLE renonce, il ne veut pas faire couler le sang.

Alors que la métropole s'attend à un lancer de paras, annoncé par DEBRE, l'Algérie se retrouve coupée du monde. La journée du Lundi 24 avril se passe en ultimes atermoiements. Alors que CHALLE jette l'éponge, JOUHAUD, SALAN, SUSINI et d'autres, veulent continuer et lancent un appel aux européens.
Les 4 Généraux se font acclamer une dernière fois sur le Forum, le Mardi 25 avril.
Mercredi 26 avril, les unités légionnaires et parachutistes commencent à évacuer ALGER, ORAN et CONSTANTINE et rentrent dans leurs cantonnements.

CHALLE et DENOIX DE SAINT MARC se rendent, ZELLER quelques jours plus tard, les autres choisissent la clandestinité avec l'aide de l'OAS qui vient de naître.
Ce même jour, des unités "loyalistes" réoccupent les édifices publics d'ALGER, ORAN et CONSTANTINE

Le 1er REP va quitter ZERALDA pour toujours en chantant la chanson d'Edith Piaf :
" Non ! Rien de rien, je ne regrette rien, ni le bien qu'on m'a fait, ni le mal tout ça m'est bien égal !........."
La population de ZERALDA dit ADIEU au 1er REP qui regagne SIDI-BEL-ABBES, où il va être dissous


Epilogue.........l'épuration commence !

Principales unités dissoutes :
Le 1er REP du Commandant Hélie DENOIX DE ST MARC, les 14éme et 18éme RCP des Colonels LECOMTE et MASSELOT et le GCPA (cdos de l'air) du Lt-Colonel EMERY. Un peu plus tard, les 10éme et 25éme DP...... (à la demande de Charles De Gaulle, toutes les unités ayant participé au putsch, n'ont pas été dissoutes, pour l'exemple il fallait frapper les plus emblématiques).

Se retrouvent en prison :

Les Généraux CHALLE, ZELLER, GOURAUD, BIGOT, NICOT et PETIT.
Les Chefs de Corps et Colonels CHAPELLE du 1er REC, LECOMTE du 14éme RCP, MASSELOT du 18éme RCP, le Lt-Colonel EMERY du GCPA, BRECHIGNAC de la 2éme DP, Commandants DENOIX DE ST MARC du 1er REP et ROBIN (pn) du GCPRG.
Arrêtés en Europe :

Les Généraux ALLARD, ancien Commandant en Chef en Algérie, GROUT de BEAUFORT et FAURE ancien patron de la Kabylie et le Colonel DUFOUR ancien de la Légion.
Mandats d'arrêt lancés contre :

Les Généraux SALAN, JOUHAUD et GARDY, les Colonels GODARD, LACHEROY, BROIZAT, GARDES et ARGOUD.
Les Généraux OLIE, Chef d'Etat-Major des armées, de POUILLY, Commandant la place d'ORAN et GRACIEUX, inspecteur des Troupes Aéroportées, restés loyalistes, démissionnent par solidarité.
Pour clore cette liste, ajoutons que :

220 officiers sont arrêtés, 114 passent en justice et 83 sont condamnés.
Environ 1000 officiers qui n'avaient pas participé au putsch, démissionnent de l'armée, par solidarité.
Jamais, de mémoire d'homme dans l'Histoire de France, l'armée du pays n'avait subi une telle hécatombe !

" L'histoire dira peut-être que leur crime fut moins grave que le nôtre. "
Général de Pouilly, commandant en chef de la région d'Oran qui a refusé de se joindre au général Challe.

Un exemple "COMMANDOS PARACHUTISTES DE L'AIR"

Le GCPA 00/541 basé à La REGHAÏA a participé au putsch, sous l'impulsion de son chef, le Lt-Colonel EMERY (qui a succédé au Colonel COULET en Janvier 1960). Mais au 21 avril, il ne dispose que de 2 compagnies dans l'Algérois, les commandos 20 et 40, en effet le Commando 10 est en opération dans le sud de BERROUAGHIA, le 30 dans la région de BOUGIE et le 50 dans la zone de Colomb-Béchar.
Bien que seules 2 compagnies sur 5, soient impliquées dans le putsch, le Général JACQUART, 2éme sous-chef de l'état-major de l'armée de l'air, signe à PARIS le 29 avril l'instruction n°1709 EMAA "portant dissolution du GCPA 00/541".
En même temps, une réunion tumultueuse, se tient à la base de REGHAÏA, finalement cette décision de dissolution totale est rapportée.

Le 3 mai 1961, le Colonel FAVRE, de l'état-major de l'armée de l'air, signe à PARIS l'instruction n°1727/EMAA "portant création de 2 compagnies CPA". Le GCPA 00/541 ayant été dissous, ces 2 unités sont mises à la disposition de la 5éme région aérienne (Algérie).
Le général commandant la 5éme RA, crée le 1er mai :
les CPA 30/541 et 50/541, qui seront basés à REGAHÏA - BA 146, ces 2 CPA comptent les rescapés : 5 officiers, 33 sous-officiers et 100 hommes de troupe.

Courant mai, le CPA 30 est toujours dans la région de BOUGIE et le 50 à COLOMB-BECHAR, mais tout le monde est au courant de ce qui s'est passé à ALGER et PARIS.

Le 6 mai 1961, 68 hommes du CPA 30 refusent de partir en opération. 4 d'entre eux sont incarcérés à EL-KSEUR dans des locaux disciplinaires.
Tous sont profondément marqués par les événements d'ALGER. Avec l'ensemble des troupes de réserve générales, ils constituent le fer de lance de l'armée française en Algérie. Ils sont transportés d'un secteur à l'autre, sans cesse, pour combattre les rebelles. Depuis 1956, nombreux sont leurs camarades qui ont perdu la vie dans des accrochages répétés. Ils ont le sentiment d'avoir gagné cette guerre et, tout occupés à le faire, ont peu ou mal suivi la politique du gouvernement.
Pour eux, CHALLE a échoué, l'Algérie va devenir indépendante, pourquoi continuer à guerroyer et risquer d'êtres tués pour rien !

Suite au refus d'une partie du CPA 30 de prendre part aux opérations, cette compagnie est dissoute définitivement le 15 mai. Instruction n°1882/EMAA.

Le CPA 50 remonte du Sud Oranais par camion vers le 20 mai ? Rejoint la base arrière sise à La Sénia, mais le commandant de la base refuse de les laisser rentrer, on les considère comme des pestiférés....Ce sont des habitants d'ARZEW qui vont les héberger, sur un terrain prêté par M. MALDONADO et les commerçants de la ville leur feront largement crédit, en attendant qu'ils perçoivent leur solde. Le CPA 50 continuera d'aller en opérations jusqu'en mars 62.

D'après une synthèse de GUY AMAND, photos du service cinematographique des armées et historia magazine 1973
Bibliographie : HISTORIA 1973, Guerre d'Algérie ed. Edibys, Archives Armée -ECPAD
archives GCPA, Histoire des commandos paras de l'air de P. Gmeline et H.Ferraud

Notes de la rédaction :

Il est évident que survoler ces quatre jours en une simple page, consiste à des raccourcis et à ignorer des faits qui bien que secondaires, ont contribué à l'évolution de cette épisode complexe. Cependant pour essayer de compléter ce résumé il est utile de préciser quelques points :
(1) Salan retardé ? En réalité, Salan ex-commandant en chef en Algérie, fut tenu à l'écart du déclenchement des opérations. Il n'arrivera à Alger que le dimanche 23 avril dans la matinée en compagnie du capitaine Jean Ferrandi et de Jean Jacques Susini président de l'Association générale des étudiants d'Algérie.

(2) Le général GAMBIEZ (surnommé "Nimbus" : Arrêté au début des opérations par le lieutenant Durand-Ruel. Cette arrestation donna lieu à un dialogue savoureux :
Gambiez : " De mon temps, les lieutenants n'arrêtaient pas les généraux. "
Durand-Ruel : " De votre temps, les généraux ne bradaient pas l'empire ! " (ou " l'Algérie française " selon les sources)

(3) Le Colonel BROTHIER (chef de corps du 1er REP) refuse de se rallier : Apparemment favorable à rallier les généraux, le colonel se fera " porter pâle " au dernier moment. Il ne réapparaitra que le mardi 25 avril, à Sidi Bel Abbès, maison mère de la Légion étrangère. Il avouera avoir été assailli au dernier moment par des troubles de conscience et s’être retiré pour prier.

(4) Le dimanche 23 avril, Michel Debré, premier ministre ferme les aéroports et avertit la population qu’elle risque de subir une attaque aérienne. Il lance à 23 h 45, à la télévision française relayée par la radio, un appel pathétique : " " De nombreux renseignements, précis et concordants, nous informent d'une très prochaine action militaire en métropole. Des avions sont prêts à lancer ou à déposer des parachutistes sur divers aérodromes afin de préparer une prise du pouvoir... Les vols et les atterrissages sont interdits sur tous les aérodromes de la région parisienne à partir de minuit. Dès que les sirènes retentiront, allez-y, à pied (à cheval rajoutèrent les chansonniers ndlr), ou en voiture, convaincre des soldats trompés de leur lourde erreur. Il faut que le bon sens vienne de l’âme populaire... "
Le lendemain matin, des volontaires, anciens de la France libre et jeunes gaullistes de gauche (UDT), énarques du club Jean-Moulin, gaullistes de toujours, médecins, avocats, journalistes enfilent des uniformes neufs et se rassemblèrent dès le lundi matin à Paris, au Petit Palais, pour soutenir militairement de Gaulle. Les syndicats décident pour le lendemain une grève générale d'une heure, qui sera massivement suivie. Des chars se positionnent autour de l'Assemblée Nationale.
Les généraux d'Alger n'avaient pas l'intention de larguer des paras sur Paris, mais le souvenir du plan "Résurrection" mis au point en mai 1958 était toujours présent.

Putsch d'Alger, une manip du Général ?
1961. Pour l'historien Pierre Abramovici, l'affaire a été largement exploitée par l'exécutif.

Le 23 avril 1961, à 20 heures, le général de Gaulle s'exprime à la télévision : "Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en Algérie sous la forme d'un pronunciamiento militaire..." On garde tous en mémoire la suite, fameuse, sur le "quarteron de généraux en retraite", formule gaullienne ponctuée par un appel final et dramatique : "Françaises, Français, aidez-moi !" L'historien Pierre Abramovici, dans "Le putsch des généraux. De Gaulle contre l'armée", avance une thèse audacieuse : prévu de longue date par le gouvernement, le putsch des généraux aurait été utilisé par celui-ci, puis retourné en sa faveur lors d'un "second putsch", cette fois médiatique. Une "manipulation" qu'Abramovici qualifie de "péché originel de la Ve République".

Le Point : Plus que d'un putsch des généraux, il s'agirait donc d'un putsch du Général ?
Pierre Abramovici : Que nous a-t-on appris, répété, sur cet événement ? En Algérie, le 20 avril 1961, des généraux ont essayé de prendre le pouvoir. Le 23 avril, à 20 heures, le général de Gaulle, à la télévision, a appelé les Français à la rescousse. Le même jour, à 23 h 45, toujours à la télé, Michel Debré, Premier ministre, a exhorté les Français à "aller à pied ou en voiture" pour dissuader les soldats de se rallier au putsch, qui menacerait de gagner aussi la France. D'énormes manifestations de gauche comme de droite se sont alors déroulées dans un Paris en quasi-état de siège et les appelés, convaincus par le discours du général de Gaulle, ont fait échouer le putsch en Algérie.
Or tout cela est une légende. Lorsque de Gaulle prend la parole, il sait déjà que le complot a échoué. Quand Debré évoque "des renseignements nombreux, précis et concordants" qui permettent de croire à une action militaire en France, il sait que c'est faux. Il dramatise la situation pour permettre à de Gaulle de faire passer l'article 16 et de renforcer la "monarchie républicaine". En réalité, le putsch des généraux est une opération politique anticipée depuis longtemps par le gouvernement, qui l'a laissé venir, sachant qu'il était sans danger, pour le retourner en sa faveur, casser définitivement l'armée et créer des conditions favorables à un renforcement de l'exécutif.

Pourquoi cette manipulation ?
Quand de Gaulle prend le pouvoir en 1958, il trouve face à lui l'armée d'Algérie : une armée coloniale, qui a été pétainiste et qui a presque tous les pouvoirs. Or de Gaulle a pour projet de construire une armée moderne, nucléaire, technique, qui obéisse à l'exécutif. Que fait-il lorsqu'il arrive à la tête de l'Etat ? Il mute ou remplace tous les militaires qui se sont mobilisés pour lui en 1958. Mais l'armée reste puissante. Il faut donc un prétexte pour l'affaiblir, estime la garde gaulliste, composée de Foccart, Chaban-Delmas, Roger Frey.
Fin 1959, alors que de Gaulle poursuit sa politique de décolonisation, l'armée comprend qu'elle a été trahie. Et si, lors de la "semaine des barricades", en décembre 1960, de Gaulle ordonne aux militaires de ne pas soutenir les pieds-noirs, ils obéissent à contrecœur. A cette occasion, le Général veut déjà faire usage de l'article 16 pour avoir les pleins pouvoirs. Or le président du Conseil constitutionnel, Léon Noël, lui répond que c'est impossible : quoi qu'il se passe en Algérie, les institutions en France ne sont pas menacées.

On aurait donc incité les généraux à aller jusqu'au putsch pour créer en France une situation qui permette à de Gaulle de recourir à l'article 16 (1) ?
Exactement. Il y a également une raison politique. En 1961, les gaullistes ne pèsent pas encore très lourd à l'Assemblée. Le putsch va permettre un consensus populaire autour de la personne de De Gaulle. Pour cela, on pousse à bout les généraux, on les amène vers un piège. La légende du 20 avril, c'est Jean Lacouture qui l'a écrite : de Gaulle est à la Comédie-Française avec Senghor, il assiste à "Britannicus", va se coucher, est réveillé à 2 heures du matin.
C'est une mise en scène. A Paris, on connaît le jour, l'heure du déclenchement du putsch, le nom des responsables et des unités - à peine 1 000 hommes sur 360 000, car, depuis un an et demi, on les a mis sur écoutes, on les surveille. Il n'y a jamais eu de surprise et de Gaulle est mis au courant à la Comédie-Française, où Maurice Papon, préfet de police, s'est fait installer un bureau pour la soirée. Dès la nuit du 21, on arrête à Paris les militaires alliés aux putschistes. On déjoue toutes les tentatives, dérisoires, de coups de main en France, mais le gouvernement fait comme si le putsch était vraiment en train de menacer le pays. Moins il s'en passe, plus on dramatise des faits inexistants.
On sait également qu'en Algérie le complot, strictement militaire, piétine, car le gouvernement a mis en place tous les garde-fous. Autre preuve qu'on avait tout prévu : les fameux transistors sur lesquels les appelés vont écouter le discours du Général. Cela fait un an et demi que le gouvernement les vend à bas prix aux unités. Des transistors qui reçoivent surtout RMC, explicitement mobilisée pour relayer les messages du gouvernement.

Le putsch, pour vous, est donc un remake où de Gaulle rejoue la carte de l'homme providentiel ?
Et cela marche. Après le discours du Général à 20 heures, les gaullistes se demandent comment mobiliser davantage les foules. D'où le second discours de Debré à 23h 45, improvisé sur un coin de table avec Constantin Melnik, qui va provoquer un électrochoc dans la population et les médias, alors qu'on sait déjà que les militaires ne vont rien tenter. Pour la première fois, la télé va émettre sans interruption pendant trois jours, diffusant fausse nouvelle sur fausse nouvelle : le suicide de Salan, des coups de canon à Mers el-Kébir, relayée par France-Soir. On est dans une atmosphère de psychodrame hallucinant. On fait tourner quelques vieux chars dans Paris, en faisant croire avec les images que de gros moyens sont déployés. Or le putsch s'est terminé la veille. Le gouvernement l'a appris par l'adjoint du général Challe, qui s'est rendu : ce n'est autre que le colonel de Boissieu, cousin du gendre de De Gaulle. Mais les forces de gauche, près de 1 million de personnes, vont aller dans la rue pour soutenir de Gaulle. Avant de se rendre compte qu'elles ont été manipulées. Et le 25 avril, l'article 16 est promulgué à l'Assemblée. De Gaulle a réussi là où il avait échoué en 1958, rassembler les forces de droite comme de gauche. Il songe déjà au référendum de 1962 sur l'élection au suffrage universel.

Pierre Abramovici - Le Point - Publié le 10/03/2011 - Propos recueillis par François-Guillaume Lorrain

(1) Ndlr Article 16 :
« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel (…) »

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Mis en ligne le 15 avril 2012 - Modifié le 12 décembre 2013

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