L'historien marseillais Jean-Jacques Jordi publie la liste complète des " disparus civils européens ".

Voici " le dernier tabou de la guerre d'Algérie " levé.
Le résultat des recherches d'un historien -Jean-Jacques Jordi, Marseillais, spécialiste incontournable de la question pied-noire - sur le nombre de " disparus civils européens de la guerre d'Algérie ". Il en ressort un chiffre, très attendu : 1583, soit le nombre total de civils européens enlevés entre 1955 et fin 1962, jamais retrouvés et présumés décédés.
Jean-Jacques Jordi publie la liste complète qui inclut les Français musulmans 1583, soit bien en deçà des estimations des associations de rapatriés (jusqu'a 25 000). C'est même inférieur au pointage effectué par les ministères, en l'absence de véritable bilan officiel : 2230.

QUI ORGANISE LES RAFLES ?
Tout le monde. D'abord les indépendantistes algériens. Le Front (FLN) et i'Armée de libération nationale (ALN) " érigent le terrorisme en seule alternative à la présence française ". Face a une armée coloniale nombreuse et bien armée, il faut faire pression sur les populations.
De véritables rafles d'Européens sont organisées au printemps et pendant l'été 1962, notamment dans les grandes villes comme Alger ou Oran. L'Organisation armée secrète (OAS) kidnappe et tue, elle aussi. Les barbouzes gaullistes du Mouvement pour la coopération (MPC) et les services spéciaux de la " mission C " pratiquent les mêmes méthodes.

QUI EST VISE ?
Tout le monde. D'abord des civils musulmans 13 300 disparitions au 19 mars 1962. Considérés comme des traitres par l'ALN ou parce qu'ils ont le malheur de traverser un territoire contrôlé par l'Organisation armée secrète. Deuxième cible : les civils européens. Ultras " Algérie Française " et militants indépendantistes sont eux aussi visés.

POURQUOI LES CIVILS EUROPEENS ?
La plupart des "civils européens, enlevés n'ont aucune activité politique. Le sentiment d'être abandonnés par les autorités françaises les pousse à sympathiser avec l'OAS, rarement a s'impliquer dans les actions terroristes.
Leur, principale faute : avoir cru que la présence prolongée de l'armée française leur garantirait le respect des accords d'Evian, un texte les protégeant de toutes représailles. C'est sous couvert de lutte contre l'Organisation qu'ils sont enlevés et, la plupart du temps, exécutés.
Des campagnes d'enlèvements coordonnées par le FLN visent aussi a accélérer leur départ. Les motifs ne sont pas tous politiques : leurs biens sont convoités. Certains sont échangés contre rançon. A Oran, 4 millions de francs sont demandés a la famille de Marius Piffault qui ne peut payer. Et ne le reverra jamais.

QUE DEVIENNENT-ILS ?
Ils disparaissent à jamais dans leur immense majorité.
Parfois, leurs cadavres sont enfouis dans des charniers qui officiellement ne sont pas reconnus. Le FLN a de commun avec l'armée française qu'il torture.
Le 22, rue Leperlier à Alger est l'équivalent de la ferme Ameziane de Constantine. Et dans les deux cas, la réponse est la même : le déni officiel. Jordi ajoute les cas de femmes enfermées dans des bordels, des victimes de transfusions sanguines forcées. Les plus " chanceux " sont arrêtés par des forces de l'ordre et conduits dans des camps de détention, parfois pour y réaliser des travaux pénibles. Les libérations sont rares.

QUEL EST LE CONTEXTE DE L'EPOQUE ?
Un climat de terreur patiemment organise par les poseurs de bombes du FLN et les commandos de l'OAS. Au printemps 1962, l'Algérie c'est 62 morts à Alger le 2 mai, dans l'explosion d'une voiture piégée par l`armée secrète suivie le 14 du mitraillage des cafés et restaurants fréquentés par les Européens : 24 morts. Pour le mois de janvier, 555 morts dans les villes dont 220 Européens, a partager dans un décombre macabre entre les deux camps. A Oran, les deux communautés sont barricadées dans leurs quartiers. Franchir la ligne de démarcation c'est mourir à coup sur.

LE TRAVAIL DE JORDI EST-IL HONNETE ?*
L'historien provençal, lui-même pied-noir, insiste dans cet ouvrage sur le rôle majeur du FLN dans cette vague massive d'enlèvements de civils européens sans toujours rappeler que la France a trop tardé a se retirer d'un pays, l'un des derniers en Afrique à avoir obtenu son indépendance.
Mais il assoit chacune de ses conclusions sur de nombreux documents d'époque, ne dédouane jamais l'OAS de ses responsabilités et n'hésite pas à critiquer la démarche des associations qui ont érigé à Perpignan un mur des disparus très fortement connoté Algérie française, même si " des familles de disparus " y voient " la seule reconnaissance de leur drame pointant du doigt l'absence d'une politique mémorielle nationale de la part des gouvernements depuis 1962 ". Il tient son engagement : travailler " hors des postures idéologiques " . Pour Jean-Jacques Jordi, " que la raison d'état l'ait emporté sur quelques milliers de vies, cela n'est pas propre à la guerre d'Algérie, au moins faut-il le reconnaître et l'écrire ". Pour qu'aucun individu ne passe par les pertes et profits de l'histoire.

*Note de la Rédaction : Il est tout de même curieux que le journaliste se pose la question : " LE TRAVAIL DE JORDI EST-IL HONNETE ? ".
En sous entendant que le fait d'être " Pieds-Noirs ", et d'aborder ce sujet que personne ne désire approfondir, en fait un suspect coupable de manipulation orientée. Cette inquiétude serait judicieuse et noble de sa part si tous les Historiens, qui, depuis des lustres font leur fond de commerce de la guerre d'Algérie, étaient soumis à la même réserve.
Hors, nul n'a jamais mis en cause l'honnêteté de Benjamin Stora, ancien militant trotskyste, omniprésent sur les médias où sa parole est considérée comme étant la seule crédible sur le sujet ; Jean Luc Einaudi " historien " de gauche dont les affirmations sur le 17 octobre 1961 ne sont soumises à aucunes contradictions journalistiques officielles ; Charles-Robert Ageron spécialiste de l'Algérie coloniale, qualifié de " grand historien ", lui aussi de gauche bien que non encarté, dont la vision manichéenne fait office de référence ; ou de Mohamed Harbi ancien membre du FLN, dont les travaux ne souffrent d'aucun doute et qui n'est soumis à aucune interrogation pour certifier sa sincérité.
Le fait que l'on puisse connaitre les tendances politiques d'un historien est inquiétante. Il devrait être d'une neutralité exemplaire, ou du moins tenter de s'en approcher le plus possible, afin de n'écarter aucun aspect de ses investigations. L'Histoire est une réalité pour laquelle les spécialistes, me semble-t-il, devraient passer au dessus des sentiments et des sensibilités afin d'apporter une vérité aussi proche que possible, compte tenu des archives consultables et de faits incontournables.
Mais je ne suis pas Docteur en Histoire...

Viviane : " Mon père est sorti voir ce qui se passait "

Oran, 5 juillet 1962. Depuis les premières heures de la matinée, Joseph Pinto, 58 ans, agent commercial, voit des foules entières passer sous les fenêtres de son modeste appartement de la rue du Cirque. Ils se dirigent vers les grands boulevards pour une manifestation patriotique.
Dans l'Algérie indépendante, les interdits qui pendant des mois empêchaient les Européens de passer dans les quartiers arabes, et réciproquement, sont tombés. La tension reste vive mais la veille encore, l'armée française, par haut-parleurs, incitait les 70000 compatriotes restés sur place a reprendre le cours d'une vie normale.
Joseph n'y tient plus. " Mon père est sorti voir ce qui se passait ". Viviane, 18 ans, est une bouillante jeune fille, habituée a rentrer, ses beaux yeux rougis par les gaz lacrymogènes, des manifestations de soutien a l'Algérie française. Dans un foyer ou la politique n'est jamais entrée, sa mère, née de l'autre coté de la Méditerranée, l'appelle la " passionaria ", en référence a une grande militante qui défendait, elle, la République contre le franquisme dans son Espagne natale. A Oran, les Espagnols sont innombrables, andalous, catalans ou basques comme la famille du copain de Viviane Charles-Henri Ezagouri, son futur mari. Ce matin du 5 juillet, c'est elle, la mère, probablement la plus inquiète. Mais elle ne peut empêcher Viviane de sortir à son tour.
Rapidement on l'arrête, la place en file indienne, la plaque contre un mur. Elle pleure, elle tremble, de colère, de peur et d'incompréhension. Un cadre de l'Armée de libération nationale passe: "Toi, tu rentres chez toi ! "

"une vague de démence"
Elle ne sait pas encore qu'Oran vient de basculer dans un véritable carnage. Dans son livre, Jean-Jacques Jordi dresse une liste de 265 disparus en une journée, comme si "une vague de démence" pour reprendre l'expression d'un témoin, avait submergé la ville. Commence l'attente. 'Notre voisine avait le téléphone. Nous avons appelé un cousin de Marseille pour le tenir au courant."
Apres 17 heures, les soldats français, invisibles depuis le matin, reprennent les haut-parleurs pour "nous dire qu'ils étaient là, pour nous protéger". La famille Pinto reste terrée chez elle pendant deux jours. Le 5 juillet, elle se rend a la morgue. Pas de corps à lui montrer mais une pile de photos de cadavres relevés sur le macadam. Son père ne fait pas partie du lot, Le 6 août, grâce à des billets obtenus auprès de l'ambassade de France Viviane, sa mère et son frère prennent le bateau pour Marseille. Ils s'épuisent en démarches vaines. Joseph Pinto n'a jamais été retrouvé. Jusqu'à ce que le ministère des Affaires étrangères leur envoie en 2004 copie d'une archive de la Croix-Rouge. Son père a été " probablement égorgé ".
Mais le cadavre identifié par un "témoin anonyme " n'est probablement pas le bon. Sa famille pense plutôt que ses restes gisent avec beaucoup d'autres dans le secteur du Petit-Lac, hors du cimetière militaire où les tombes bien rangées permettent aux proches des soldats tués de faire leur deuil.
Les membres de l'association qu'elle a créée (1) doivent a la fois porter le poids de cette peine et trouver leur place dans la mémoire nationale. Son collectif ne veut qu'une chose : que la France reconnaisse officiellement qu'elle a consigné ses soldats dans ses casernes pendant que des centaines de ses ressortissants étaient assassinés.
P.MG. La Provence 5 novembre 2011

(1) Association des familles de disparus du 5 juillet 62 à Oran.

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Mis en ligne le 09 nov 2011

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