La France et le G.P.R.A.

La situation du G.P.R.A., aux yeux de la France, peut se définir dans le présent, c'est-à-dire par rapport à une situation dans laquelle la France continue à exercer sa souveraineté en Algérie, et dans l'avenir, par rapport à la situation future de l'Algérie. Il va de soi que l'évolution de la politique française sur ce point n'a pas été sans se traduire par quelque changement d'attitude à l'égard de " l'organisation extérieure de la rébellion "; le gouvernement est cependant demeuré plus réticent à l'égard du G.P.R.A. qu'à l'égard de l'Algérie indépendante, de sorte que deux étapes seulement nous paraissent avoir marqué son attitude, l'étape des illusions, qui s'est épanouie à Melun, l'étape des équivoques, qui est née à Evian.

Melun, ou les illusions

Au départ, l'attitude du gouvernement français à l'égard du G.P.R.A. est très claire : les hommes qui le composent sont, comme tous les Algériens, des nationaux français, soumis comme tels à la loi française. Il en résulte que, pour le présent, ces hommes qui ont choisi de lutter contre l'ordre établi sont des rebelles, relevant de la loi pénale française, et que, pour l'avenir, on peut seulement envisager que, la rébellion ayant pris fin, ils retrouvent leur place de citoyens dans la communauté française. Cette position a duré jusqu'au début de 1961; nous allons voir qu'elle n'a été affectée ni par l'offre de " paix des braves ", ni par la politique d'autodétermination, ni même par les pourparlers de Melun : au fur et à mesure que des perspectives d'indépendance étaient ouvertes à l'Algérie, elle devenait pourtant de plus en plus illusoire.

a) Le 23 octobre 1958, dans une conférence de presse, le général de Gaulle offrait aux rebelles " la paix des braves " :

" Que ceux qui ont ouvert le feu le cessent et qu'ils retournent, sans humiliation, à leur famille et à leur travail... quant à l'organisation extérieure... qui, du dehors, s'efforce de diriger la lutte, je répète tout haut ce que j'ai déjà fait savoir. Si des délégués étaient désignés pour venir régler avec l'autorité la fin des hostilités, ils n'auraient qu'à s'adresser à l'Ambassade de France à Tunis ou à Rabat, l'une ou l'autre assurerait leur transport vers la métropole. Là une sécurité entière leur serait assurée et je leur garantis la liberté de repartir ".

Certains ont voulu, bien hâtivement, en tirer une reconnaissance de belligérance ; mais le fait qu'un pardon est promis et que des garanties sont assurées ne soustrait nullement les rebelles à l'application de la loi interne française, ce qui serait le critère de la belligérance ; les termes employés (" l'autorité ", " la métropole ") la procédure offerte (le transport organisé par Paris) prouvent justement le contraire. La " paix des braves " s'apparentait tout simplement à la tradition musulmane de l'aman, à la grâce accordée à ceux qui se rendent pendant le combat.

b) L'autodétermination, en ouvrant les perspectives d'un Etat algérien, pouvait impartir au G.P.R.A. un rôle nouveau, au moins pour l'avenir. Il n'en fut rien. Les trois termes de l'option sont proposés " aux Algériens en tant qu'individus ". Les rebelles n'y ont leur place qu'en qualité de citoyens, une fois qu'ils seront rentrés dans la légalité en cessant le combat :

" Si les insurgés craignent qu'en cessant la lutte ils ne soient livrés à la justice, il ne tient qu'à eux de régler avec les autorités les conditions de leur libre retour, comme je l'ai proposé en offrant la paix des braves. Si les hommes qui constituent l'organisation politique du soulèvement entendent n'être pas exclus des débats, puis des scrutins, enfin des institutions qui régleront le sort de l'Algérie et assureront sa vie politique, j'affirme qu'ils auront, comme tous les autres, et ni plus ni moins, l'audience, la part, la place, que leur accorderont les suffrages des citoyens. Pourquoi donc les combats odieux et les combats fratricides qui ensanglantent encore l'Algérie continueraient-ils désormais ? " A moins que ne soient à l'œuvre un groupe de meneurs ambitieux résolus à établir par la force et par la terreur leur dictature totalitaire et croyant pouvoir obtenir qu'un jour la République leur accorde le privilège de traiter avec eux du destin de l'Algérie, les bâtissant par là même comme gouvernement algérien. Il n'y a aucune chance que la France se prête à un pareil arbitraire. Le sort des Algériens appartient aux Algériens, non point comme le leur imposeraient le couteau et la mitraillette, mais suivant la volonté qu'ils exprimeront légitimement par le suffrage universel. "

On ne peut pas refuser plus explicitement au G.P.R.A. tout caractère représentatif.

c) Melun. Dans un discours du 14 juin 1960, le président de la République avait lancé un nouvel appel aux rebelles :

" Je me tourne vers les dirigeants de l'insurrection... nous les attendons ici pour trouver avec eux une fin honorable aux combats... régler la destination des armes, assurer le sort des combattants. "

Quelques jours après, l'offre était acceptée par le G.P.R.A. qui publiait, le 20 juin, le communiqué suivant :
" Désireux de mettre fin au conflit et de régler définitivement le problème, le G.P.R.A. décide d'envoyer une délégation présidée par M. Ferhat Abbas pour rencontrer le général de Gaulle.
Il dépêche un responsable à Paris pour organiser les modalités du voyage. "

Un incident, symptomatique de l'état d'esprit des deux parties, allait retarder l'arrivée à Paris de la prédélégation F.L.N. : celle-ci refusait d'utiliser l'avion militaire français envoyé à Tunis pour la chercher, exigeant d'être consultée sur les modalités de son voyage. C'est finalement par l'avion régulier de Tunis-Air que les deux émissaires F.L.N. arrivèrent à Orly le samedi 25 juin. Ils furent aussitôt conduits en hélicoptère à Melun; c'est là, dans les locaux de la préfecture, isolés du monde extérieur, que se déroulèrent les entretiens menés, du côté français, par le secrétaire d'Etat aux Affaires algériennes, M. Roger Morris, et par un officier général, le général de Gastines.

Le 29 juin, à 16 h 20, était publié à Paris le communiqué officiel suivant :

" Au cours des entretiens qui ont eu lieu à la préfecture de Melun du samedi 25 au mercredi 29 juin, les représentants du gouvernement ont fait connaître aux émissaires de l'organisation extérieure de la rébellion algérienne les conditions dans lesquelles pourraient être organisés les pourparlers en vue, conformément aux propositions faites par le général de Gaulle, de trouver une fin honorable aux combats qui se trament encore, de régler la destination des armes et d'assurer le sort des combattants. Les entretiens préliminaires étant maintenant terminés, les émissaires doivent repartir incessamment pour Tunis. "

Ils quittaient en effet Paris, par Tunis-Air, le vendredi 1er juillet à 15 h 30. L'entrevue avait échoué. Certains auteurs, proches des milieux du G.P.R.A. (1) estiment " modestement ", que la tentative de négociation de Melun équivaut à une reconnaissance de l'état de belligérance en Algérie par le gouvernement français. Nous sommes persuadés qu'il n'en est rien (et nous verrons que même après Evian il est difficile de le soutenir) (2).

La position du gouvernement français, selon laquelle les hommes du G.P.R.A. se sont, par leur lutte, mis hors la loi et ne peuvent prendre part à l'avenir de l'Algérie qu'après avoir réintégré la légalité française par la cessation des combats, n'a pas varié avant, pendant et après Melun.
Deux considérations le prouvent : En premier lieu les entretiens ont exclusivement porté sur le cessez-le-feu. Et il en a été ainsi parce que le cessez-le-feu était, dans l'esprit du gouvernement français, la condition nécessaire pour que le F.L.N. rentre dans la légalité. C'est dire que ses hommes sont toujours considérés comme relevant de la législation interne et ne représentant qu'eux-mêmes.
Faut-il, à l'appui de notre raisonnement, citer le Premier Ministre ? Il dit à Constantine, le 3 octobre 1960 :

" Comment parler d'avenir politique tant que durent les attentats ? Comment reconnaître à une fraction le droit de parler au nom de l'Algérie entière ? " L'organisation extérieure qui dirige la rébellion ne l'a pas entendu ainsi. Sans doute, ses premiers émissaires sont- ils venus à Melun en juin dernier, mais ils y sont venus avec l'intention apparente d'obtenir : que le cessez-le-feu soit subordonné à des conditions politiques préalables; que l'organisation qui les avait envoyés soit, en fait, reconnue comme la représentation unique de l'Algérie; que même leurs chefs puissent prendre directement contact avec le général de Gaulle sans qu'aient cessé auparavant les combats et les attentats. D'où la suspension de pourparlers. D'où de la part de la rébellion, la continuation des meurtres. "
(On remarquera que le terme de " meurtres " appliqué aux méthodes de combat du F.L.N. relève exclusivement du droit pénal.)

C'est le même Premier Ministre qui déclare, à la tribune de l'Assemblée Nationale, le 7 décembre 1960 :

" Une seule condition préalable a été fixée - et ne peut pas ne pas être fixée : que cessent les embuscades et que cessent les attentats. On ne saurait parler avenir politique de l'Algérie avec les représentants d'une organisation tant que ceux-ci organisent et commandent, aussi bien en Algérie qu'en métropole, des actes qui sont en majeure partie des actes de terrorisme. " " Si les pourparlers de Melun n'ont pas eu de suite, c'est parce que les dirigeants de la rébellion ont envoyé des émissaires pour tout autre chose que la discussion au sujet du cessez-le-feu. "

Mais nous citerons surtout le chef de l'Etat qui, dans sa conférence de presse du 5 septembre 1960, expliquait ainsi l'échec de Melun :
" Qui peut croire que la France, sous le prétexte d'ailleurs fallacieux d'arrêter les meurtres, en viendrait à traiter avec les seuls insurgés, avec la seule organisation extérieure de la rébellion, à traiter de tout l'avenir politique de l'Algérie ? A les bâtir comme étant la représentation unique de l'Algérie tout entière ? Bref, à admettre que le droit de la mitraillette l'emporte d'avance sur celui du suffrage ?
" Dans quel monde étrange peuvent bien vivre les gens qui se figurent qu'au cœur de Paris, la libre circulation dans la rue, les réceptions dans les ambassades, les conférences de presse, les déclarations à la radio, pourraient être consenties à l'organisation extérieure de la rébellion tant que des actes meurtriers continuent d'être organisés dans l'Algérie et la métropole ? " Et pour qui me prennent-ils moi, tous ceux qui s'imaginent que je pourrais conférer avec les chefs de la rébellion tant que les meurtriers continuent... ? "
(C'est pourtant bien ce qui fut la réalité 9 mois plus tard. Le 15 mars 1961, un communiqué du conseil des ministres français annonçait l'ouverture prochaine des pourparlersd'Evian. ndlr)

Ainsi, les entretiens n'ont porté que sur le cessez-le-feu, c'est-à-dire sur la condition de la réintroduction des rebelles dans la vie nationale. Mais, dira-t-on, ces négociations prouvent au moins que le gouvernement reconnaît que les rebelles sont sortis de cette vie nationale, que, dans le présent, ils ne relèvent plus de la législation interne française ?
La réponse est facile et nous est donnée par le G.P.R.A. lui même : dans un communiqué du 4 juillet, il fit savoir qu'il déplorait que le gouvernement français ait entendu imposer unilatéralement ses conditions, qu'il estimait qu'une rencontre entre les deux parties ne pouvait être fructueuse que si ses modalités résultaient d'un accord délibéré entre elles, et que faute de pouvoir l'obtenir, il renonçait à l'envoi de sa délégation. Ainsi, de l'aveu même du F.L.N., il n'y a pas eu à Melun de véritables négociations. Le gouvernement français a " fait connaître " à ses interlocuteurs ses " conditions ", selon ses propres termes (voir le communiqué du 29 juin précité), et il a refusé que l'ordre du jour déborde celui qu'il avait fixé. Prêt à accorder aux rebelles " l'aman " s'ils se rendaient, il leur a demandé s'ils acceptaient de se rendre. Tel est, schématisé, le sens de l'entrevue de Melun.
L'entrevue d'Evian allait être très différente, et sa signification beaucoup moins nette.
M. le Professeur Jean Charpentier
La France et le G.P.R.A. In: Annuaire français de droit international, volume 7, 1961. pp. 855-870. doi : 10.3406/afdi.1961.1126
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1961_num_7_1_1126

(1) Bedjaoui : La révolution algérienne et le droit, p. 182.
(2) Nous rejoignons d'ailleurs la position soutenue par M. Floky dans son article « Algérie algérienne et droit international » A.F.D.I., 1960, p. 990.

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Mis en ligne le 24 janv 2011

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