Les accords d'Evian et les principes de la coopération
franco-algérienne

Ce qu'il est convenu d'appeler les " Accords d'Evian " intervenus le 18 mars 1962 entre les représentants du Gouvernement français (1) et les représentants du Front national de libération algérien (F.L.N.) (2) visait trois objectifs: le cessez-le-feu, l'indépendance et la coopération (3). A ce dernier titre, ces accords constituent la base fondamentale du système coopératif franco -algérien, dont une longue série d'accords postérieurs sont venus préciser les modalités d'application. Ce sont ces deux séries d'accords que nous étudierons tour à tour.

A. - Les accords d'Evian et les principes de la coopération franco-algérien (4).

On sait que l'ensemble des " accords d'Evian " (5) comprend d'une part un accord, non daté, de cessez-le-feu et d'autre part une série de " déclarations gouvernementales relatives à l'Algérie " datées du 19 mars 1962 (6). Ces déclarations gouvernementales se décomposent à leur tour en une déclaration générale et en sept déclarations de principes (déclaration des garanties - déclaration de principes relative à la coopération économique et financière - déclaration de principes sur la coopération pour la mise en valeur des richesses du sous-sol du Sahara - déclaration de principes relative à la coopération culturelle - déclaration de principes relative à la coopération technique - déclaration de principes relative aux questions militaires avec une annexe - déclaration de principes relative au règlement des différends) (7). L'utilisation d'une pareille technique juridique apparaît quelque peu insolite, en raison de son caractère apparemment et délibérément unilatéral (8). Pour certains auteurs, les " accords d'Evian " n'auraient eu, au moment de leur signature, que la valeur juridique d'actes unilatéraux du gouvernement français. Puis, au moment de la consultation d'autodétermination la décision du corps électoral algérien aurait conféré à ces actes le caractère d'actes internationaux conventionnels (9). Pour d'autres auteurs, la forme utilisée était secondaire, traduisant seulement la volonté du gouvernement français de maintenir jusqu'au bout la fiction d'un règlement octroyé

le F.L.N. n'étant considéré que comme constituant l'une des tendances politiques algériennes, en l'absence d'élections libres et démocratiques. Dans ces conditions, il était possible de considérer les accords d'Evian comme des " accords en forme simplifiée, applicables sans ratification ultérieure en ce qui concerne l'accord de cessez-le-feu (10), et à la suite de la consultation d'autodétermination en ce qui concerne les divers éléments des déclarations gouvernementales " (11) . Pour la doctrine officielle française, telle qu'elle apparaissait dans de multiples déclarations (12), les signataires algériens (13), ne représentant qu'un parti politique et des combattants, ne pouvaient engager un futur gouvernement algérien (14). Ils n'engageaient qu'eux-mêmes, d'une par à respecter le cessez-le-feu et, d'autre part, à faire campagne en vue du référendum pour la coopération franco-algérienne telle qu'elle était définie par les accords d'Evian. C'est en approuvant, par référendum, le 1er juillet 1962, les accords d'Evian que le peuple algérien allait engager le pays tout entier (15). En reconnaissant solennellement l'indépendance de l'Algérie, le Président de la République française déclarait que les rapports entre la France et l'Algérie étaient désormais fondés sur les conditions définies par les déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 (16).

Si certaines des particularités des accords d'Evian (absence de signature par exemple); ne se retrouvent pas dans les accords intervenus ultérieurement, par contre, dans un premier temps, du moins, d'autres particularités (absence de références aux prescriptions constitutionnelles concernant l'entrée en vigueur et la publication des engagements internationaux, notamment) (17) devront être relevées, à nouveau.
M. le Doyen David Ruzié Décembre 1963.
La coopération franco-algérienne. In: Annuaire français de droit international, volume 9, 1963. pp. 906-933 (extrait). doi : 10.3406/afdi.1963.1065
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1963_num_9_1_1065

Notes :
(1) Trois membres du gouvernement : MM. Louis Joxe, Robert Bubon et Jean de Broglie.
(2) A la tête de la délégation du F.L.N. se trouvait M. Belkacem Krim, membre du G.P.R.A.
(3) M. Flory, La fin de la souveraineté française en Algérie, A.F.D.I., 1962, p. 910, note 12.
(4) Seules les dispositions de ces accords correspondant au troisième objectif retiendront notre attention dans le cadre de cette étude.
(5) J.O., 20 mars 1962, pp. 3019 et s.
(6) Sur les négociations qui ont abouti à la signature de ces accords, v. Flory, article précité.
(7) Dans les milieux officiels français, on ne manque pas de mettre l'accent sur l'utilisation du pluriel dans l'expression " déclaration de principes " pour souligner que les principes mêmes de la coopération franco-algérienne ont été posés par les accords d'Evian, les accords postérieurs n'ayant eu pour objet que la mise en œuvre de ces principes.
(8) Nous n'incluons cependant pas dans les " accords d'Evian " les décrets n° 62-305 portant règlement du référendum d'autodétermination dans les départements d'Algérie et n° 62-306 portant organisation provisoire des pouvoirs publics en Algérie du 19 mars 1962 (v. contra J. Touscoz, Les accords franco-algériens, Revue de l'Action populaire, mai 1962, p. 559). Il s'agit là, en effet, de textes du droit interne français. Certes, le préambule de la Déclaration générale précise que " les garanties relatives à la mise en œuvre de l'autodétermination et l'organisation des pouvoirs publics en Algérie, pendant la période provisoire ont été définies d'un commun accord ", mais il appartenait à la France, qui exerçait encore seule juridiquement la souveraineté sur l'Algérie, d'édicter formellement les règles relatives au référendum et à la structure provisoire des pouvoirs publics (v. Fïxiry, art. cité, p. 912 et 917).
(9) R. Pinto, Le statut des européens dans les accords entre la France et l'Etat algérien, Le Monde du 18 avril 1962 et dans le même sens, J. Tocscoz, art. cité, p. 561.
(10) Art. premier. J. Touscoz qualifiait cet accord d'acte bilatéral de droit international en raison de réflectivité de la lutte armée entreprise par les organisations rattachées au G.P.R.A., qui conférait à celui-ci la qualité de belligérant de fait. V. dans le même sens, M. Flory, art. cité, p. 910 (" accord entre combattants auquel le droit international reconnaît une valeur juridique ").
(11) C. Rousseau, chronique des faits internationaux, R.G.D.I.P., 1963, p. 119.
(12) J. Charpentier, Pratique française du droit international, A.F.D.I., 1962, p. 990 et s.
(13) II est, en effet, admis que les " accords d'Evian " ont bien été signés de part et d'autre.
(14) Pour une thèse opposée, v. S. Moureaux, Les accords d'Evian et l'avenir de la révolution algérienne, Cahiers libres, n° 34, Maspéro, 1962 (II s'agit en réalité d'une œuvre collective de plusieurs avocats et juristes belges favorables aux idées du F.L.N.).
(15) On sait qu'en ce qui concerne la France, les accords signés à Evian ont été approuvés par le peuple français lors du référendum du 8 avril 1962 (v. M. Lesage, Les procédures de conclusion des accords internationaux de la France sous la Ve République, A.F.D.I., 1962, p. 887). Sur l'intégration dans le droit interne français des déclarations du 19 mars 1962, considérées comme de véritables déclarations de droits, notamment par leurs dispositions définissant les garanties accordées aux Français d'Algérie, voir M. Duvergeh, Une obligation juridique, Le Monde du 2 novembre 1963. Par contre M. Rousseau craint certaines difficultés en ce qui concerne leur application par les tribunaux français en raison des conditions de leur insertion au Journal Officiel (art. cité, R.G.D.I.P., 1963, p. 120).
(16) Déclaration du 3 juillet 1963 (J.O., du 4 juillet p. 6483). Par ailleurs, dans une lettre du même jour, adressée au Président de l'Exécutif provisoire, le Président de la République française a annoncé que " conformément au chapitre 5 de la déclaration générale du 19 mars 1962, les compétences afférentes à la souveraineté sur le territoire des anciens départements français d'Algérie, sont, à compter de ce jour, transférées à l'Exécutif provisoire de l'Etat algérien" (Le Monde du 4 juillet 1963). Cette lettre et l'accusé de réception du Président de l'Exécutif provisoire ont seulement été publiés au Journal Officiel de la République algérienne.
(17) V. infra.

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Mis en ligne le 21 septembre 2011

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