Barbouzes-FLN, une alliance inavouée.
D'après Jean Monneret Historia thématique N°75 mars-avril 2002 (extraits)
La collusion des Barbouzes avec le FLN ne fait plus aujourd'hui aucun doute.

Deux personnes bien informées ont signalé cette collaboration du FLN et de certains services de police français dans la lutte contre l'OAS. Le premier est André Passeron, le journaliste bien connu du Monde. Dès le 17 mars 1962, il révèle dans les colonnes de ce journal une partie de l'activité des barbouzes. Dans un long article intitulé : Amateurs et Professionnels en Algérie , il écrit ceci : " C'est ainsi que certains membres du FLN ont pu parfois aider la police. Cette collaboration est soigneusement évitée au sommet et à la base. En revanche, aux échelons intermédiaires, elle s'est parfois révélée efficace. "
Le second est Philippe Tripier, ancien officier affecté au secrétariat général de la Défense nationale, où il centralisait les renseignements relatifs à l'actualité nord-africaine.
Dans son livre publié en 1973, Autopsie de la guerre d'Algérie , il écrit :
" Dans les villes, la révolte du désespoir avait conduit, entre-temps, à la pratique d'une collaboration inavouée entre la police et les réseaux du FLN, contre tous ceux qui, au nom de la France, s'opposaient à l'abandon. "
A ceci près qu'à l'époque, la notion de barbouzes et de Mission C n'est pas encore connue.
L'ensemble de ces groupes est enveloppé sous le vocable général de police. Mais c'est la coopération FLN-Forces spéciales qui est ici clairement évoquée.

Une hypothèse relayée par " Historia " présente les Barbouzes comme ayant surtout le rôle d'intermédiaire avec le FLN afin de récolter les informations puis de les transmettre à la mission C.
Bitterlin marié à une musulmane, était directement en relation avec des membres du FLN. (Smaïl Madani) Il y avait également parmi les Barbouzes quelques musulmans pro FLN.

Dans leur lutte contre l'OAS, les agents de renseignements français recrutent leurs informateurs dans les rangs des nationalistes algériens.
Ces contacts de l'ombre servent à la " très officielle " Mission C, qui traque les " activistes ". Lesquels font des barbouzes leur cible privilégiée.


Par Jean Monneret : "Certains affirment que les barbouzes ont servi à leurrer l'OAS en l'entraînant vers des cibles secondaires tandis que se mettait en place, discrètement, la Mission C, dirigée par Michel Hacq, directeur de la police judiciaire. Celui-ci était à la tête de deux cents policiers triés sur le volet, fonctionnaires du gouvernement, lesquels, aidés par les gendarmes du capitaine Lacoste, allaient porter de durs coups à l'organisation clandestine.
Cette théorie du leurre a été soutenue par le journaliste et historien Yves Courrière. De nombreux chefs de l'OAS, comme le docteur Perez, l'estiment valable. Toutefois, pour Jean Morin, alors délégué général en Algérie, comme pour Vitalis Cros, alors préfet de police d'Alger, une conclusion s'impose : ce rôle de leurre, les barbouzes ne l'ont joué que par hasard.
Le véritable but du MPC (Mouvement pour la communauté - puis coopération), ensuite relayé par le Talion, était moins de combattre les activistes de l'armée secrète que d'occuper le devant de la scène, tout en tenant en coulisses un rôle plus obscur mais déterminant, au travers de leurs contacts avec le FLN.
En effet, les policiers de Michel Hacq comme les gendarmes du capitaine Lacoste sont coupés de la population : retranchés à l'Ecole de police Hussein-Dey, présents en Algérie pour des périodes limitées afin de ne pas céder à la propagande de l'OAS, ils se trouvent en difficulté pour obtenir les renseignements nécessaires à l'exercice de leur métier.
Dans les guerres de caractère subversif, le renseignement est vital. Or, la seule organisation structurée, capable, à l'époque, de fournir des informations sur l'OAS est le FLN.
Le problème est qu'en 1961, avant le cessez-le-feu du 19 mars 1962, le FLN et le gouvernement français sont censés être en guerre l'un contre l'autre.
En toute logique, les policiers de Michel Hacq qui forment la Mission C ne peuvent donc pas, officiellement, s'allier avec le FLN contre l'OAS :
il aurait semblé aberrant de voir un gouvernement combattre ses propres citoyens avec l'aide d'un mouvement séparatiste aidé de l'étranger.
Le MPC-Talion sert donc de société-écran pour " blanchir " l'information en provenance du FLN et transmise à la Mission C par l'intermédiaire d'un relais, l'inspecteur Hernandez. A première vue, les membres du MPC-Talion ne sont pas les mieux placés pour procéder à la collecte d'informations. Plus ou moins isolés, retranchés dans des villas sur les hauteurs, aucun d'eux n'ayant de formation particulière à cet effet, on voit mal ce qui les prédispose à devenir des agents de renseignement.
Quelles possibilités ont, à cet égard, des gens dont la plupart sont étrangers à la région ? A s'en tenir à ces données, aucune. Ce serait oublier que Bitterlin est en relation avec des nationalistes algériens.
Ses cadres sont en majorité européens, mais on compte aussi des indigènes dans son groupe. D'ailleurs, Bitterlin joue la carte de la transparence en déclarant que :
" [...] La plupart de nos militants arabes étaient des nationalistes.
"Il est très probable que les nationalistes alliés de Bitterlin soient proches du FLN, ce qui ne signifie pas qu'ils y soient tous directement affiliés. Bitterlin ne cache pas, quant à lui, qu'il a eu des contacts avec des émissaires de la rébellion. Son livre, Nous étions tous des terroristes , en porte plusieurs indications, quelque peu lapidaires : il rencontre un responsable du FLN dans la Casbah en janvier 1961. En octobre 1961, il a un contact semblable à Lafayette près de Sétif. Un autre élément dans son récit laisse penser que les Algériens intégrés à son groupe sont en contact avec les rebelles.
Lorsque l'activité des barbouzes deviendra trop voyante et trop efficace, une lettre de la Wilaya 4 recommandera à ces musulmans de couper les ponts avec le MPC. Précision révélatrice : le cheik Zékiri, membre du MPC, et en l'occurrence destinataire de la lettre, est prié de " ne plus y amener de jeunes musulmans pris parfois dans les rangs de l'Armée de libération nationale ".
On voit mal comment il aurait pu le faire jusque-là sans l'accord de cette dernière.
D'autres signes indiquent que Bitterlin et son groupe vont jusqu'à travailler en liaison avec le FLN. Parfois, un simple détail suffit : ses hommes enlèvent un jeune " activiste " à Orléansville. Après le déjeuner, ils passent reprendre leur prisonnier qu'ils ont laissé en détention au bain maure. Or, quiconque a vécu la guerre d'Algérie sait que les bains maures, qui sont des établissements de commerce propres aux quartiers musulmans (en France : bains turcs ou hammams), étaient les lieux de détention favoris du FLN dans les zones qu'il contrôlait.
Bitterlin livre d'autres indications plus fondamentales :
" Les pieds-noirs laissaient traîner des documents ronéotypés pour l'OAS dans des administrations ou entreprises dans lesquelles ils étaient employés et que subtilisaient ensuite nos informateurs arabes. " Or, seul le FLN avait la possibilité de disposer de nombreux complices dans des lieux très divers : entreprises, administrations et bureaux.
Cette collecte était le fait des réseaux nationalistes, à l'époque exclusivement FLN. Et puis, il y a aussi tout ce que Bitterlin ne dit pas dans son livre.
On sait ainsi par Yves Courrière qu'il a un contact avec le FLN par l'intermédiaire de Smaïl Madani. Ce musulman travaillait à la RTF au boulevard Bru. En outre, le nommé Alilat Larbi, chef du FLN d'Alger, ancien terroriste, libéré en 1959, avait chargé son agent Chawki Abdelhamid d'un contact avec le MPC.
Immédiatement, le FLN demande des armes à Bitterlin, qui ne peut guère se montrer généreux en cela parce qu'il est lui-même maigrement équipé. Par contre, il [Bitterlin] accepte que des musulmans gagnent les rangs du MPC et surtout apportent des renseignements sur l'OAS.
Ses contacts avec le FLN ne vont pas plus loin, Larbi et Bitterlin se méfiant. L'un ne veut pas donner d'armes, l'autre ne souhaite pas fournir de militants. Pourtant, pour ne pas rompre les ponts, Alilat procure, par l'intermédiaire de Madani, une liste de deux pages dactylographiées concernant des membres de l'OAS. Noms, âges, adresses... C'est ainsi que le patron de la police judiciaire, Michel Hacq, reçoit sa première liste

importante de suspects OAS, tirée des fichiers du FLN.
Il suffit de lire attentivement ce passage pour constater que tout y est dit.
D'abord le renseignement ; c'est bien une activité essentielle des barbouzes, qui ne dédaignent pas, bien au contraire, ceux qui leur viennent du FLN.

Jean Morin, qui accorde beaucoup d'importance aux informations sur l'OAS, ne s'y trompe pas et félicite Bitterlin :
" Votre service de renseignements est le plus efficace ", lui dira-t-il.
Le FLN ne tient pas à ce que ses militants soient intégrés aux barbouzes.
Ceci contredit quelque peu les indications précédentes selon lesquelles Zékiri y aurait amené des jeunes du FLN. Mais la contradiction n'est qu'apparente.
Ces jeunes sont de l'ALN et dépendent de la Wilaya 4, qui tient le maquis. Alilat et le FLN d'Alger ont une stratégie urbaine.
Ces deux rouages du FLN sont loin de s'entendre. Que leur position envers les barbouzes soit différente n'a rien d'étonnant. Une chose est sûre : c'est la Wilaya 4 qui écrira à Zékiri pour lui demander de retirer ses hommes du MPC.
C'est l'indication que le cheik dépend d'elle et pas du FLN d'Alger. Si ce dernier ne fournit pas d'hommes à Bitterlin, il lui fournit des informations sur l'OAS sans restriction, apparemment, de part et d'autre. Le destinataire final en est, bien entendu, la Mission C....
... C'est par les enlèvements, suivis d'interrogatoires, que ces membres des barbouzes obtiennent certains de leurs renseignements. Ils leur permettent de démanteler des réseaux clandestins. Toutefois, les membres de ce groupe ne sont pas assez nombreux, les enlèvements auxquels ils procèdent sont trop dispersés pour que cette source d'informations soit décisive. Ces activités sont spectaculaires et attirent l'attention sur leurs auteurs mais le travail de fond se fait autrement et ailleurs.
Les renseignements transmis à la Mission C proviennent de trois autres sources : le boucher Lavier, Jacques Despinoy dit le colonel Foyer, qui travaille au SFJA (Service de formation de la jeunesse algérienne), et le cheik Zékiri entouré des musulmans qui le suivent.
Lavier est boucher au marché Nelson. Sa femme est employée au Service régional de fabrication des armements ; elle connaît et observe des membres de l'OAS qui s'y trouvent. Cette source est peut-être intéressante mais elle reste malgré tout marginale.
On peut admettre en revanche que la présence de Lavier au marché Nelson le met à même de se procurer des renseignements. En effet, les bouchers sont des gens importants en Algérie. Les familles musulmanes sont nombreuses et elles ont de gros besoins en viande, surtout au moment des fêtes. Un boucher a forcément des contacts étendus en milieu musulman. Et c'est sûrement de là que lui viennent les " tuyaux ".
Lucien Bitterlin précise l'origine des renseignements recueillis par Lavier :
" Lavier nous fournit les listes de suspects obtenus par des musulmans qui connaissaient ses sentiments anti-OAS. "
Fournir des listes suppose que l'on connaît la destination et l'usage que l'on en fera. Ceci implique des relations suivies en secteur musulman. Peuvent-elles échapper au FLN qui, à cette époque, tient en main les quartiers autochtones ?
Jacques Despinoy, appelé colonel Foyer, travaille dans les centres sociaux éducatifs proches du SFJA.
L'écrivain Mouloud Feraoun et Salah Ould Aoudia en font partie également. Ils perdront la vie dans un attentat le 15 mars 1962, bien qu'ils n'aient pas eu affaire avec les barbouzes.
Ces centres et le Service de formation des jeunes Algériens ont la réputation d'abriter des gens de gauche, voire d'extrême gauche, ce qui explique leur hostilité envers l'OAS.
Ils sont fréquentés par de jeunes élèves et stagiaires musulmans. Jacques Despinoy, en contact avec leurs familles, obtient par elles de nombreux renseignements sur l'OAS.
Là encore, à cette époque, les quartiers musulmans étant sous sa coupe, cette activité peut difficilement échapper au FLN.
N'est-ce pas au minimum avec son accord tacite qu'elle a lieu ?
Le cheik Zékiri et ses hommes canalisent et transmettent à Bitterlin la masse de renseignements destinés à la Mission C.
En effet, pour informer correctement en Algérie, il faut être entouré d'arabophones, particulièrement à cette époque. Seuls les indigènes, qui sont présents dans tous les quartiers, dans toutes les administrations et dans tous les lieux de travail, peuvent fournir les renseignements.
Que la source de cette information soit à trouver du côté du FLN est plus que probable.
Dans son livre, Bitterlin corrobore cette hypothèse. Il nous apprend que :
" En fin d'après-midi, Lavier, Foyer ou Zékiri apportaient leur moisson, qui leur était fournie en cours de journée par des informateurs, bénévoles pour la plupart, que nous ne voulions pas connaître. Il fallait que tout soit cloisonné. "
Il suffit d'avoir fréquenté des policiers pour savoir qu'une " moisson " d'informations s'obtient rarement en faisant appel au " bénévolat ". Tout au moins dans des conditions ordinaires. Précisément ce ne semble pas être le cas ici ; seule l'intervention voulue, structurée et cohérente de l'organisation rebelle pourrait expliquer qu'un petit groupe d'inconnus isolés et, pour la plupart, étrangers au pays, puisse disposer de renseignements nombreux et fiables sur l'OAS.
Or, le FLN a patiemment, au fil des ans, accumulé une masse considérable de données sur les " activistes " de l'Armée secrète.
A ceux qui trouveraient cette pratique bien tortueuse, il convient de rappeler que les Etats et les administrations démocratiques sont formalistes. Il leur arrive de ruser avec leurs propres principes ou de les contourner, rarement de les violer ouvertement.
La Mission C ne pouvait pas pourchasser l'OAS en utilisant le FLN comme service de renseignements. Avant le cessez-le-feu, une telle collaboration était prématurée. Ne fallait-il donc pas y mettre certaines formes ?
Comment coopérer avec une organisation comme le FLN contre l'OAS ?
Ce ne pouvait certainement pas se faire directement, sans détours.Pour le gouvernement de l'époque, il était impossible de s'appuyer ouvertement sur le FLN séparatiste pour combattre une partie de ses citoyens.
Mais peut-on écarter l'hypothèse que la sécurité militaire et que certains services ministériels, directement engagés dans la lutte contre l'Armée secrète, aient cru trouver avec les barbouzes une astuce permettant de travailler avec le FLN tout en évitant la collusion ?
Ceci expliquerait la présence d'une équipe remuante, encombrante, inefficace à maints égards, sauf pour le renseignement.
Les barbouzes servent de boîte à lettres. Ils permettent à la Mission C de travailler avec le FLN, sans avoir à traiter directement avec les indépendantistes.
Quand leurs exactions rendront les hommes de Bitterlin, puis de Ponchardier, trop embarrassants, à la veille d'un règlement négocié avec les adversaires d'hier, cette structure gênante deviendra contre-productive et elle sera abandonnée tant par les autorités que par le FLN.
Après l'annonce des accords d'Evian, le 19 mars 1962, les scrupules tomberont et la Mission C aura des agents de liaison directs avec le FLN".


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Mis en ligne le 15 Juin 2005
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