Ce sera le bombardement, par l'aviation française, de Sakiet-Sidi-Youssef, fief de l'ALN en Tunisie, qui sonnera le glas de la IVe République.
La mission américaine de " bons offices " conduira a la crainte d'un " Dien Bien Phu diplomatique " et au renversement du cabinet de Félix Gaillard.
Chaban-Delmas ministre de la Défense nationale dans ce cabinet, visite régulièrement la frontière tunisienne. Chaban, chef de file des " gaullistes politiciens ", a comme chef d'antenne à Alger un jeune et brillant membre de son cabinet, Léon Delbecque (à droite du ministre sur la photo, le 23 avril, a Alger).
Tout est en place.

L'exécution le 25 avril, en Tunisie, de trois soldats français Sergent Robert Richomme, soldat René Decourteix, cavalier Jacques Feuillebois) prisonniers depuis le 1er septembre 1956 par un tribunal spécial de l'ALN est le détonateur du 13 mai.
Le 26 avril, les anciens combattants d'Alger manifestent pour " l'Armée au pouvoir " et pour l'Algérie française.

Mais avant le début de cette journée qui fera basculer la république et le gouvernement de Félix Gaillard, il faut se remettre dans l'ambiance de cette période troublée par des conflits d'intérêt.

Début mai : Le gaulliste Jacques Chaban-Delmas organise un " complot " destiné à assurer le retour du général de Gaulle au pouvoir se met en place : des pétitions sont adressées au président Coty et les forces armées s'agitent dans les mess.
Dans ses Mémoires pour demain (Flammarion, 1997), Chaban écrira à propos de la nomination de Léon Delbecque à son cabinet :
" Nous combattions pour la même cause, le ministre en conduisant la politique qu'il estimait la plus conforme à l'intérêt de la nation, les conspirateurs en conspirant. "

8 mai : Delbecque regagne Alger.

9 mai : Le ministre-résident Robert Lacoste est décoré par le général Salan de la Valeur Militaire avec palmes.
A la fin de la cérémonie, il fustige vertement les généraux afin qu'ils s'impliquent pour faire évoluer le cours des évènements et de s'opposer au gouvernement.
Il évoque publiquement le danger d'un " Dien-Bien-Phû diplomatique ".

A 10h : Alain de Sérigny, directeur de l'Écho d'Alger, Appelle le GG et demande à être reçu avec Delbecque.
Robert Lacoste refuse de recevoir Delbecque qu'il n'apprécie pas, mais reçoit Alain de Sérigny qui lui demande de prononcé une allocution radiodiffusée proclamant qu'il reste à la tête de l'Algérie tant que ne sera pas créé un comité de Salut Public à Paris.
Lacoste hésite et demande à réfléchir.

12h : Lacoste reçoit Delbecque et lui enjoint de quitter Alger. Finalement Lacoste ne donnera pas suite à la demande de Sérigny.

16 h : Lacoste reçoit une délégation du Comité de Vigilance qui lui demande de rester et qui lui présente une motion destinée au président Coty lui demandant " …d'affirmer son autorité en faisant taire les querelles d'hommes et de partis par la constitution immédiate d'un gouvernement de Salut Public "
. Il promet de transmettre mais refuse de rester en Algérie.

18h : Le général Salan adresse, avec l'accord de Robert Lacoste, un télégramme, au président René Coty sous couvert du général Ely :

" La crise actuelle montre que les partis politiques sont profondément divisés sur la question algérienne. La presse laisse penser que l'abandon de l'Algérie serait envisagé par le processus diplomatique qui commencerait par des négociations en vue d'un " cessez-le-feu ". Je me permets de vous rappeler mon entretien avec M. Pleven au cours duquel j'ai indiqué de façon formelle que les seules clauses d'un " cessez-le-feu " ne pouvaient être autres que celles-ci : " La France, confirmant son appel au " cessez-le-feu ", invite les rebelles en Algérie à remettre au plus tôt leurs armes et leur garantit, avec une large amnistie, leur retour au sein de la communauté franco-musulmane rénovée.
L'Armée en Algérie est troublée par le sentiment de sa responsabilité à l'égard des hommes qui combattent et qui risquent un sacrifice inutile si la représentation nationale n'est pas décidée à maintenir l'Algérie française, comme le préambule de la Loi-Cadre le stipule ; " A l'égard de la population française de l'intérieur qui se sent abandonnée et des Français musulmans qui, chaque jour plus nombreux, ont redonné leur confiance à la France, confiants dans nos promesses réitérées de ne jamais les abandonner. "
L'Armée française, d'une façon unanime, sentirait comme un outrage l'abandon de ce patrimoine national. On ne saurait préjuger sa réaction de désespoir.
Je vous demande de vouloir bien appeler l'attention du président de la République sur notre angoisse, que seul un gouvernement fermement décidé a maintenir notre drapeau en Algérie peut effacer. "
Salan l'a signé après bien des hésitations.
Ce texte, qui sera diffusé par Allard dans le corps d'armée d'Alger, renforce son autorité sur les cadres, écarte de lui les graves menaces du complot Chaban-Delbecque, sauve l'unité de l'armée et l'Algérie Française, dans la pensée de son signataire.
Le message soumis au général Petit, qui arrive à 20 heures, parviendra vers 23 h. au général Ely. Celui-ci y ajoutera une note ou il soulignera " l'extrême danger " de cette situation et le fera porter tout de suite à l'Elysée par le général de Beaufort.
Le télégramme est cosigné par Jouhaud (air) Allard (terre) Massu (troupes de choc) Auboyneau (marine).

Coty, est en train de consulter pour constituer le gouvernement qui succèdera à Gaillard après la mise en minorité de son gouvernement, le 15 avril 1958.
Pleven consulté, ayant entendu Salan le 26 Avril a renoncé.
Coty a désigné, pour former un nouveau cabinet, Pierre Pflimlin plus résolu à trouver un accord avec le FLN.

Au domicile de Roger Frey (futur ministre de l'intérieur) se rencontrent les comploteurs gaullistes, du moins une des tendances, Michel Debré, futur premier ministre, Olivier Guichard (futur ministre) Delbecque qui anime l'antenne d'Alger, le général Petit.
Les deux autres tendances gaullistes (Soustelle, Chaban Delmas) sont absentes.

10 mai : Le ministre-résident Robert Lacoste quitte l'Algérie : le pouvoir civil n'a plus de représentant à Alger.

Jouhaud, patron de l'armée de l'air en Algérie, reçoit le général Petit, gaulliste de base, qui prétend parler au nom du chef d'état major général, le général Ely. Petit demande, au nom d'Ely, que Jouhaud prenne l'initiative de regrouper en Algérie, l'ensemble des avions de transport stationnés en métropole.
Une telle décision est en effet prévue en cas de tension à la frontière tunisienne, ce qui peut être considéré comme le cas, après l'assassinat légal des trois soldats français en Tunisie.
Surtout, prétend Petit, vu la crise politique à Paris, et l'agitation du parti communiste il pourrait être nécessaire de déplacer sur Paris deux régiments de parachutistes.
Petit explique aussi que Ely est mal placé pour prendre cette décision, qu'il vaut mieux que Jouhaud, en charge des problèmes sur la frontière tunisienne en prenne l'initiative.
Jouhaud comprend bien, il donne son accord, la date du 13 Mai est convenue.
Jouhaud dans ses mémoires en déduit que le coup d'état gaulliste était programmé pour après le 13…

11 mai : A Alger l'hebdomadaire " Dimanche Matin " sous la plume d'Alain de Serigny lance un appel au général de Gaulle pour sauver l'Algérie française que les partis traditionnels et le prochain gouvernement s'apprêtent à lâcher sous le titre :
" PARLEZ… PARLEZ VITE MON GÉNÉRAL ." Cet éditorial, qui a été soumis par Sérigny à Soustelle avant la publication, a été tapé au ministère de la défense (Chaban Delmas) et envoyé immédiatement à Colombey.
Destiné à promouvoir De gaulle comme nouveau premier ministre, considéré comme un ralliement des " activistes " aux gaullistes, il sera longtemps regretté par Sérigny.

Le même jour, le colonel Trinquier arrive à Sidi Ferruch, avec le 3e RCP de Bigeard. C'est un signe que l'on commente en ville.

12 mai : Le gouvernement français condamne l'exécution des trois soldats à Tunis.
- Pierre Lagaillarde, au cours d'une réunion du " Groupe des sept " résume sa stratégie : " Je me refuse à tirer les marrons du feu pour Delbecque… On prend le GG d'Assaut. On fout tout en l'air, là l'armée est obligée d'intervenir. Ce n'est pas Salan qui prend le pouvoir, c'est nous qui le lui remettons. "
Le général Massu, reçoit une pétition rédigée, à l'intention du Président de la république, par des jeunes officiers de sa division, la 10° DP, qui se termine par :

" Nous sommes certains que le peuple et l'armée n'accepteront jamais l'abandon d'une partie du pays... C'est vous, et vous seul qui pouvez encore le sauver. "
Pflimlin envoie à Alger un de ses proches, le préfet Payra. Ce dernier a pour mission de faire lire aux généraux la partie du programme du futur nouveau gouvernement qui concerne l'Algérie. Tous trouvent intolérable la phrase suivante :
" ... la France ne saurait accepter que cette guerre ait une durée illimitée. Aussi le gouvernement est résolu, dès que les circonstances lui paraitraient favorables, à donner à une date et en un lieu qu'il choisirait, des négociations avec le FLN pour arriver à un cessez le feu et déterminer les conditions dans lesquelles des élections libres pourraient avoir lieu. "

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Mis en ligne le 17 avril 2014

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