Petit dernier d'une famille implantée en Algérie depuis 1849, Paul Robert voit le jour à Orléansville le 19 octobre 1910. Joseph, son père, possède des plantations d'agrumes et assume quelques charges électives.

Les années de jeunesse...

Après son baccalauréat, et un bref séjour à l'Institut agricole de Maison-Carrée (1929), il s'oriente vers des études de droit et d'économie. Il devient rédacteur en chef de Alger-Étudiants puis, l'année suivante, secrétaire général et président de l'Assemblée des étudiants d'Algérie.
Paul Robert lui-même explique que l'idée de son dictionnaire analogique lui est venu dès cette époque; ayant le goût des choses bien faites et soucieux de s'exprimer en termes simples et précis, il regrettait les limites du classement alphabétique des dictionnaires :
"…Les dictionnaires, toujours placés à portée de ma main, […] m'étaient, trop souvent, d'un piètre recours. Ils m'aidaient bien à lever quelques hésitations sur l'emploi correct d'un mot ou d'une locution, mais quant à fournir le terme précis qui échappait à ma mémoire ou à ma connaissance, il ne fallait guère y compter, quelle que fût ma patience à le découvrir."

Paul Robert réalise en 1933 la Maison des étudiants d'Alger, avec 5 étages, des bibliothèques, un restaurant universitaire, des salles de travail.
Il s'installe ensuite à Paris où il passe ses diplômes, droit public, économie politique et droit romain, mais renonçant au barreau pour l'enseignement, prépare l'agrégation de droit et un doctorat.

Afin de se doter d'un lexique personnel pour l'aider dans ses études, il s'essaie alors à rassembler selon quelques thèmes, sur des cahiers écrits à la main, des mots extraits du grand dictionnaire de Paul-Émile Littré.

"L'idée de mon futur dictionnaire commençait à cheminer en moi, à mon insu, dès ce moment, je compulsais fréquemment le vieux Littré et les six volumes du Larousse du XXe siècle, mais je n'y trouvais généralement pas ce que j'y cherchais, c'est-à-dire les associations des mots les uns avec les autres... C'est de cette époque que datent mes premiers essais de classement des mots par association d'idées, autour de quelques thèmes."

Les années d'incertitude...

Lors de son service militaire, de 1936 à 1939, Paul Robert est affecté au Ministère de la Guerre, Service du Chiffre, où il est chargé de concevoir et de rédiger un manuel de cryptographie, auquel il donnera la structure d'un… dictionnaire!

Libéré de ses obligations militaires, Paul Robert quitte Paris pour Alger, où il achève sa thèse d'économie politique, "les agrumes dans le monde". L'effort de guerre le mobilise à nouveau, toujours au décryptage puis à la Direction Générale des Études et Recherches (D.G.E.R.) à Paris. Paul Robert est démobilisé le 15 janvier 1945. Il soutient alors sa thèse qui lui vaudra, lors de sa publication en 1947, la médaille d'or de l'Académie d'Agriculture de France.

Pourtant, malgré ses réussites universitaires, Paul Robert ne parvient pas à trouver sa voie. Dans cette période d'incertitude, il prend la gérance d'une petite librairie familiale du Quartier Latin et décide de perfectionner son anglais :
"Je n'en mesure que mieux l'insuffisance de mon vocabulaire quand il s'agit non de parler, mais de lire. Je suis sans cesse plongé dans la consultation des dictionnaires. J'y recherche surtout les nuances entre synonymes afin de mieux distinguer leurs équivalents français."

Il reprend ses cahiers de jeunesse dans lesquels il avait tenté divers classements par associations d'idées et, davantage pour s'occuper l'esprit que par utilité, entame une patiente réflexion sur un dictionnaire idéal, qui serait à la fois analogique et alphabétique.

Les années préparatoires...

Bien vite pourtant, le jeu intellectuel se transforme en travail de longue haleine, occupant l'essentiel de ses temps libres.
"Je ressens le besoin d'un dictionnaire qui par analogie permettrait de regrouper les mots selon les notions et les idées. L'idée du dictionnaire chemine: c'est ainsi que je commence à ranger en colonnes les termes relatifs à l'action de regarder, de voir, à l'action d'écouter, d'entendre. "

En quelques mois, il pose les lignes principales de ce qui sera sa méthode :
"La source principale des associations d'idées réside dans la définition des mots. Partant de cette idée élémentaire, je m'aperçois qu'il suffirait de dépouiller les dictionnaires de a à z et de procéder à des transferts de mots ou d'expressions d'article en article."

Dès 1946, Paul Robert décortique patiemment les milliers de rubriques reprenant les lettres A et B des principaux dictionnaires, puis procède aux premières associations, reportant "des mots tels que académie, aréopage, assistance, auditoire à l'article ASSEMBLEE, agape à BANQUET, baïonnette à ARME, balnéaire à BAIN."

Le projet d'une équipe...

Il investit alors sa maigre fortune (provenant de l'héritage de sa mère, qu'il gère avec rigueur) dans ce projet. Conscient ne pas pouvoir mener seul cet immense dépouillement, il s'entoure d'une équipe de passionnés comme lui : les premiers collaborateurs s'appellent Mme Deschepper et M. Pouzet, un directeur d'école retraité. D'autres suivront, issus notamment de ses amitiés militaires. Une dizaine de personnes, disséminées dans toute la France, travaillera sans relâche pendant plus de trois ans.

En octobre 1948, Paul Robert entame la rédaction des premières notices du Dictionnaire. il s'agit d'un travail patient, méticuleux : le dossier préparatoire du mot Amour fournit 2.000 citations, l'article n'en aura que 50. Mais ces 2.000 citations lui fournissent l'idée d'une fantaisie : il les enchaîne dans un seul et même texte dans un "Divertissement sur l'Amour" en 5 actes et un prologue, qu'il publie à compte d'auteur en 1949.

La même année, Georges Chetcuti, un ami de jeunesse, rejoint Paul Robert et devient son premier collaborateur permanent. Le Dictionnaire est prévu en 25 fascicules de 100 pages chacun, devant aboutir à 2 volumes de 1.200 pages chacun environ. Chaque fascicule nécessitant 6 mois de rédaction, le projet demandera plus de 12 années.

Afin de trouver des concours financiers, Paul Robert fait éditer par son ami Albert Jean, imprimeur à Gap, une brochure de 12 pages contenant les premiers articles de la lettre A, sous le titre de "Dictionnaire général des mots et des associations d'idées". Cette plaquette est également adressée à des écrivains, des journalistes, des académiciens, dont certains témoignent de leur intérêt : Georges Duhamel, André Maurois, François Mauriac et André Siegfried…

Les années "Dictionnaire"...

Un premier fascicule préparatoire de 70 pages (A-Africanisme), intitulé "Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française" et sous-titré "les mots et les associations d'idées", est imprimé en avril 1950 : André Billy (de l'Académie Goncourt) et Firmin Roz (de l'Institut), Georges Lecomte (secrétaire perpétuel de l'Académie française) le font connaître. Émile Henriot, journaliste au Monde, le présente à l'Académie Française, qui lui décerne le Prix Saintour. La version définitive du fascicule n° 1 (A-Albugo) paraît en août. Paul Angoulvent, Président-directeur général des Presses universitaires de France, signe un contrat provisoire de diffusion exclusive d'une durée de 6 ans.

Paul Robert, avec l'accord de son père, vend la librairie du boulevard Saint-Germain et crée en 1951, avec l'appui d'une quarantaine d'actionnaires, la SNL (Société du Nouveau Littré), qu'il établit à Casablanca, place de France. Toutefois, toute l'activité éditoriale est maintenue à Alger.
"Nous entendions rendre hommage au grand savant dont le nom appartient au patrimoine de tous les Français et sous l'enseignement duquel il me plaisait de travailler, comme un disciple sous les leçons du maître."

Par son ampleur, la rédaction du Dictionnaire ne peut être le fait d'un seul homme. Paul Robert décide de s'entourer d'une équipe choisie, dont Alain Rey (en 1952), Josette Debove (en 1953), Henri Cottez (en 1954) et Robert le Bidois (1957).

Lorsque le tome I de l'édition reliée est publié en 1954, la SNL recense alors plus de 10.000 souscripteurs et de nouveaux ambassadeurs prestigieux : Pierre Desgraupes, Roland Dorgelès, Jacques de Lacretelle, Maurice Druon, Jules Romains...

Le Dictionnaire est désormais porté à 5 volumes et 56 fascicules. En fait, il fera 6 tomes.

En octobre 1955, Paul Robert rencontre à Avranches Hervé le Hanneur, cousin direct de Littré, qui le considère comme un disciple et un digne continuateur du grand lexicographe.

Les années de reconnaissance...

L'entreprise, qui souffre de nombreuses difficultés financières, quitte Casablanca pour Neuilly puis Paris et crée une filiale commerciale, la SAFOR (Société Administrative Française des Œuvres de Paul Robert).

Depuis plusieurs années, Paul Robert effectue des tournées de conférences où il présente inlassablement son Dictionnaire analogique : en France mais aussi en Belgique, Suisse, Allemagne, Pays-Bas… Mais n'appartenant pas au monde officiel de la lexicographie, le travail de Paul Robert est passé sous silence par les autorités du sérail. Il faut attendre le colloque international de Strasbourg en 1957 , pour que plusieurs spécialistes étrangers (allemands, belges, espagnols, hollandais, hongrois, suisses…) saluent le Dictionnaire. Bernard Quemada, Michel Lejeune et Walter von Wartburg apportent à Paul Robert un soutien inconditionnel.

En 1958, le Dictionnaire reçoit le prix Simca, qui a pour but de "rechercher, faire connaître et mettre en valeur les succès remportés dans tous les domaines par des Français dont l'activité […] concourt à un enrichissement du patrimoine commun."

Alain Rey devient en 1959 secrétaire général de la rédaction et membre du Conseil d'administration. Paul Robert rencontre en 1962 Wanda Duda Ostrowska, qui deviendra son épouse et son soutien le plus précieux.

le 28 juin 1964, Paul Robert corrige l'article "zymotique", qui achève le tome VI et dernier; il écrit sur une page blanche "aujourd'hui 28 juin 1964, j'ai terminé mon dictionnaire." Le lendemain, la page est couverte des signatures de tous ses collaborateurs, avec ces simples mots : "Bravo Patron."

"C'est avec le plus vif plaisir que je reçois la bonne nouvelle de l'achèvement de votre dictionnaire. […] Vous avez donné à la langue française le dictionnaire dont elle avait besoin depuis si longtemps. Il est là, solide et sûr".
Walter von Wartburg
lettre à Paul Robert - 21 juillet 1964

Le Grand Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française est couronné en 1965 par l'Académie française.

Un volume de supplément est publié en 1970.

"Comment vous dire merci en quelques mots écrits ou prononcés, pour tout ce que vous avez fait et continuez de faire pour nous: un métier passionnant, une vie confortable et surtout un travail sans les contraintes habituelles, où s'exerce l'initiative - et les personnalités! - et où le personnage du "patron" dissous par votre nature généreuse, fait place à l'homme et, nous nous en flattons, à l'ami."
Alain Rey 1967

Paul Robert décède le 11 août 1980, à Mougins. Il repose désormais au cimetière de Bois-de-Vaux à Lausanne. Reconnu internationalement pour son travail, il a reçu diverses récompenses : Légion d'honneur (commandeur en 1965, officier en 1976), médaille d'or du jury ALFA en 1966, prix Vaugelas en 1967, insignes de l'Ordre du Lion (Sénégal) en 1973, Officier de l'Ordre de Léopold (Belgique) 1975, médaille de Vermeil de la ville de Paris (1975), Commandeur des Arts et des Lettres (1976).

"Je ne me laisse abattre par aucun accident, déprimer par aucun ennui, annihiler par aucune inquiétude. […]
Lorsque l'on place toutes ses forces dans la réalisation d'un but, il est presque impossible qu'on ne l'atteigne pas."

Paul Robert, en 1927. Il a alors 17 ans.

http://www.britannica.fr/TESTrobert2.htmlS

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Mis en ligne le 25 nov 2010

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