La communauté Pieds-Noirs ne peut organiser aucune manifestation commémoratrice, ou exprimer son désaccord sur la façon dont elle est traitée, sans qu'on affuble ses membres de " Nostalgiques de L'Algérie Française ".
Cette qualification lancée à tous propos, sous entend que les Pieds-Noirs regrettent " le bon temps des colonies " où ils faisaient " suer le bournous ". Ils pleurent " l'Algérie de papa " et leur monde d'apartheid qui leur avait donné tant de privilèges.
A partir de là, son message ne vaut rien puisqu'il émane d'une frange de profiteurs qui ont eux-mêmes, crée leur malheur. Ce n'est qu'un juste retour des choses, compte tenu des souffrances qu'ils ont engendrées.

Il nous faudrait donc acquiescer aux affirmations à sens unique des inamovibles historiens, " spécialistes de l'Algérie " et perpétuellement battre sa coulpe à longueur d'articles ou de reportages de journalistes ignorants ou simplement mal informés par les fameux universitaires cités précédemment.
Ils se répandent sur les ondes, sur les chaines de télévision, ces tenants de la vérité, toujours les mêmes invités lorsque les rédactions ont besoin d'une pointure en la matière. Ils s'activent en sortant des bouquins à grand renfort de publicité bienveillante. Victimes d'une hémorragie littéraire irrépressible sur le sujet. La " sale guerre " les inspire à tel point que l'on se demande ce qui pourrait les faire vivre si elle n'avait pas existé.
Ils sont relayés par des soldats, " malgré eux ", appelés du contingent, à la mémoire sélective qui décrivent des atrocités commises, pas par eux bien sur, mais par leur camarades de combats dégénérés, assoiffés de sang, sans écrire une ligne sur ceux qui furent retrouvés démembrés ou émasculés au hasard des opérations.
L'unique vérité est bonne à dire, d'ailleurs il ne saurait y en avoir d'autre. Le reste est faux et insupportable à entendre.

Que l'on soit homme engagé c'est tout à fait normal en tant qu'être humain. Mais la mission de l'historien et de viser la vérité en s'oubliant, au moins un peu. Afin de chercher à s'écarter du manichéisme partisan, qui en s'insinuant, parasite les faits, les déforme, les sélectionne en mettant ceux qui sont " souhaitables " en lumière et en minimisant ou même en occultant ceux qui les contredisent ou les modulent ; en acceptant des témoignages irréfutables d'un bord, en refusant ceux, contradictoires, sous prétexte que l'histoire ne peut se satisfaire de déclarations qu'ils déclarent à priori de parti pris.
Donc si en tant que Pieds-Noirs, vous êtes contre l'histoire officielle, qui a pourtant montré ses lacunes, vous êtes obligatoirement aveuglés par le souvenir du paradis perdu.

Quand des compatriotes, depuis cinquante années, affirmaient que des français d'Algérie avaient disparus avant et après le 19 mars 1962, les instances historiques, haussaient les épaules, quand elles ne traitaient pas ces réalités de fadaises, de billevesées et d'exagérations honteuses.
Lorsqu'un historien, autorisé à compulser les archives officielles, a établi la véracité des disparitions et qu'il les expose, documents à l'appui, dans un livre, les mêmes instances trouvent curieux que cet historien, Pieds-Noirs, ait pu recevoir un agrément. Le voilà suspect de manipulation orientée.
Pourtant, la seule vraie question à se poser est de se demander si son travail est correct et s'il corrobore des faits avérés ou non ?
L'ensemble de la communauté de tout ce que compte ce pays de professeurs émérites et de journalistes d'investigation, aurait dû se réjouir de la découverte qui contribue à compléter l'histoire contemporaine et s'engouffrer dans la brèche.
Curieusement, avec les réserves soupçonneuses émises sur l'honnêteté de leur condisciple, s'ensuit le black out total de sa publication.

On peut donc, parler de tortures, de la tragédie du 17 octobre 1961 (sur laquelle les historiens sont loin d'être en accord), baptiser des rues du nom de martyrs du FLN algérien ; déposer des gerbes, des plaques commémoratrices, s'épancher en déclarations de repentance envers celui qui fut notre ennemi d'hier.
Mais il est malvenu voire interdit de parler des victimes d'attentats aveugles ; de rendre hommage aux massacrés de la rue d'Isly ; de s'indigner du rôle et des méthodes des Barbouzes (pudiquement appelés " polices parallèles ") ; des assassinés et des disparus du 5 juillet 1962 à Oran ; de l'abandon et de l'assassinat des Harkis, qui il y a encore quelques années étaient considérés comme quantité négligeable et qui sont aujourd'hui récupérés par ceux qui les avaient effacés par leur silence coupable.
Cachez donc ces réalités que l'on ne saurait voir !

Si, sous l'impulsion d'associations de " rapatriés ", un mémorial, une stèle, un musée sont érigés, c'est un scandale parce qu'ils ne prennent pas en compte TOUTES les victimes de la guerre d'Algérie.
Je fais simplement remarquer à ces partisans de l'équité, qu'une seule catégorie de victimes les intéresse et que depuis un demi-siècle ils s'en occupent avec zèle et compassion. Par contre, celles des " colons ", ils n'en parlent jamais, sauf à en minimiser le nombre ou à relativiser les horreurs qu'ils ont subies, voire à les culpabiliser.

Alors nostalgiques de l'Algérie française ? Le raccourci est bien commode. Si nous étions nés dans une Algérie Russe ou Colombienne, nous serions aussi nostalgiques de ce pays. Nous sommes nostalgiques de l'Algérie tout simplement.

Dans un reportage télé récent, on voyait un ancien sidérurgiste, les larmes aux yeux, revenir dans l'aciérie où il fut employé il ya vingt ans. Il était nostalgique lui aussi, mais de quoi ? De la chaleur de l'enfer qui le brulait chaque jour ? Des projections de métal ? Du bruit épouvantable qui rendait sourd ? De l'odeur saturée en composants chimiques ? Des camarades gravement accidentés et parfois décédés en effectuant leur labeur ? Des journées de travail exténuantes ?
Un mélange de tout ça sans doute. La nostalgie d'un monde qui n'existe plus, d'une ambiance disparue, de valeurs évaporées, de sa jeunesse enfuie…
Mais surement pas d'un Eden confisqué.

Nostalgiques de l'Algérie. Point final !
Comme le Breton exilé à Paris rêve de Paimpol, le Bougnat des volcans d'Auvergne, le Basque de la plage de Biarritz, le Corse du golfe de Bonifacio, le Kabyle de son Djurdjura natal, le Portugais de ses villes carrelées d'azulejos, l'Espagnol de ses villages blanchis aux rambardes torsadées.
La seule différence, c'est que eux tous peuvent, à un moment ou à un autre de leur existence, envisager d'y retourner, de fleurir la tombe de leurs aïeux et de s'endormir à tout jamais sur la terre qui les a vue naître.
Pour nous c'est interdit !

Le passé est mort certes, mais il n'est défendu à personne de s'en souvenir.
Non pour le contester, le refaire ou décharger sa haine, mais simplement pour exprimer une part de vérité sciemment éludée, pour honorer nos morts dont personne ne veux, pour apaiser notre douleur persistante.

Nous avons tous notre madeleine et l'odeur qui s'en dégage, nous emporte malgré nous vers ce qui fut nous. Est-ce donc un si grand crime de cultiver une mémoire destinée à ne pas nous survivre ? N'est ce pas le droit d'un homme, s'il en éprouve le besoin, d'entretenir sa mémoire ? N'est-il pas autorisé à se laisser submerger par l'émotion provoquée par des images diaphanes qui défilent encore devant ses yeux ? Ne peut-il succomber à l'appel de ses anciens, décédés, qui résonne si clairement à ses oreilles ? Ne peut-il pleurer ses disparus sous prétexte que ses larmes ne sont pas autorisées par une bien-pensance inhumaine et sectaire ?

Et si, comme je l'ai lu sur un forum, la " nostalgérie est un poison ", le venin le plus toxique est l'oubli associé à la négation de soi.
Les mêmes qui dénoncent la colonisation de l'Algérie (colonisation dont je ne suis pas un fanatique, loin de là, mais qui, qu'on le veuille ou non, fit de nous également des victimes), sont les premiers à regretter la " Reconquista " et à négliger trois siècles d'occupation turque avec ses horreurs et sa stérilité.

Nous sommes les chiens accusés de la rage qu'il faut noyer. Mais comme l'entreprise est ardue et serait sans doute mal vue, il est donc plus subtil de nous imposer silence et culpabilisation.
Peu républicain*, certes, mais tellement plus efficace.

Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des autres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.
Marcel Proust - " A la mémoire du temps perdu "

(*)La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi.
Article XI Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789

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Mis en ligne le 01 mars 2012

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