le théâtre occidental

En 1914, les territoires d'AFN dépendent du 19e Corps d'Armée. Lorsque la guerre éclate, les troupes stationnées au Maroc, en Algérie et en Tunisie envoient des détachements en France afin de participer aux opérations qu'on espère courtes. Associés aux régiments coloniaux, Zouaves, Légionnaires, Spahis, Chasseurs d'Afrique et Tirailleurs allaient se distinguer dans toutes les batailles du front occidental. Un siècle après ces événements, les archives aussi bien publiques que privées donnent une foule de renseignements et d'anecdotes sur ces hommes venus défendre une patrie qu'ils voyaient souvent pour la première fois. Voici leur histoire et leurs combats.

Le choc de la guerre moderne

A/ La mobilisation
L'entrée en guerre, durant l'été 1914, s'opéra sans difficultés majeures en Afrique du Nord. Aux jeunes appelés et engagés volontaires se sont joints les territoriaux rappelés dans le cadre de la mobilisation générale. Alger fournit ainsi cinq batillons de zouaves, Oran quatre et Constantine trois. Il reste cependant un problème. Le Maroc n'est complètement " pacifié " et cela empêche l'envoi d'un corps d'armée au complet. La solution pour laquelle opte l'état-major est la constitution de " régiments de marche ", un bricolage à base de bataillons prélevés dans divers régiments et formés en divisions. Voici le décompte sommaire des unités qui traversèrent la Méditerranée pour se battre en France au début de la guerre: l'Algérie (19eCA) fournit deux divisions : la 37e et la 38e. Au Maroc, Lyautey constitue une division de marche et une brigade de " chasseurs indigènes " qui vont devenir un ensemble distinct, elles sont affectées à des Corps d'Armée de la métropole.

Quand elles débarquent, ces formations suscitent autant l'admiration que l'étonnement. Tout comme pour les Hindous de l'armée britannique, l'accueil réservé aux militaires indigènes est plutôt cordial et surprend parfois les Musulmans. Pour les Français, ces combattants de l'Empire sont bien plus exotiques que le " piou-piou" ordinaire. Les tenues ont en effet peu évolué depuis la guerre de 1870. Les zouaves et les tirailleurs arborent ainsi de superbes uniformes hérités des tenues " orientales " des premiers régiments de l'armée d'Afrique. Montés sur leurs petits chevaux arabes, les Spahis sont magnifiques et offrent le spectacle d'une cavalerie légère sans égale. Ne parlons pas de la Légion qui est déjà un mythe pour le monde entier.

A l'image de l'ensemble des Français mobilisés, les Africains, qu'ils soient musulmans ou européens, croyaient à une guerre courte, les combats livrés sur les frontières allaient vite dissiper cette illusion qui s'évanouit définitivement à la fin de l'automne 1914.

B/ La découverte du feu.
Comme le reste de l'armée, les régiments d'Afrique ont été entrainés depuis les années 1880 dans la mystique de l'offensive. Mais à la différence des troupes métropolitaines, ces formations ont l'expérience du feu. Les officiers en particulier peuvent se prévaloir d'un service actif autrement plus formateur que celui exercé en garnison. Reste que la guerre en Afrique n'est pas celle menée en Europe. L'Afrique entraine à la guérilla et à l'escarmouche, pas à la guerre de masse. Ce constat avait déjà été dressé après 1870, il l'est à nouveau en 1914. La tactique sur le terrain s'avère ainsi inopérante face à la puissance de feu de l'armée allemande. Les attaques à la baïonnette menées à découvert aboutissent partout à des échecs très coûteux en vies humaines. La " bataille des frontières " qui correspond aux deux premiers mois du conflit est le moment le plus sanglant de la Grande Guerre (350.000 tués et disparus) et les premières formations débarquées en France y sont décimées au même titre que leurs consœurs métropolitaines. Les Africains sont ainsi engagés en Belgique à Charleroi dès le mois d'août 14. La charge à la baïonnette des zouaves et des tirailleurs qui y laissent la moitié de leurs effectifs sauve de la destruction l'infanterie de la 5edivision. En septembre, ils sont à la bataille de la Marne où leur action est remarquée.

Mais pour les hommes soumis au feu croisé des mitrailleuses lourdes " Maxim " et à à l'avalanche d'obus tirée par l'artillerie de campagne allemande, c'est le carnage. L'infanterie est littéralement massacrée. Un extrait du JMO du 1er régiment de marche de zouaves donne dans un style laconique mais précis ce qui a pu se passer :

" 7 septembre : le tir des obusiers produit un gros effet de terrorisation, néanmoins les officiers donnant l'exemple, chacun tient sa place. (…) le tir violent qui a un effet déprimant continue jusqu'à 20h. 8 septembre : Compagnie Bigoudot. Vers 11h, à un moment d'accalmie, le capitaine fait porter sa compagnie en avant pour la dissimuler. Dans ce mouvement, elle tomba sous un feu terrible de mitrailleuses postées. Le capitaine fut tué, ses officiers blessés et un grand nombre d'hommes hors de combat ".

Pour cette seule journée du 8 septembre, le total des pertes du régiment s'établissait à 128 gradés et zouaves pour la 53ème compagnie, 22 pour la 54e, 25 pour la 55e, 56 pour la 32e. Ce bilan très lourd est à l'image du conflit : il s'agit d'une guerre de masse dont le niveau de violence est sans égal jusqu'alors. Les Africains ont d'ailleurs l'occasion de rendre la pareille à leur adversaire comme le rappelle ce témoignage:

" J'étais aux zouaves, une fois nous étions trois mitrailleuses embusquées derrière des troncs d'arbres, à la lisière d'une forêt, sur une petite hauteur. Nous avons tiré jusqu'à la gauche sur des bataillons qui débouchaient à quatre cents mètres. Un coup de surprise. C'était effrayant. Les Boches, affolés, ne pouvaient pas se dégager de notre barrage, les corps s'entassaient les uns sur les autres. Nos servants tremblaient et voulaient se sauver. Nous avions peur à force de tuer !... ".

" Tuer ", voilà un mot cru qui nous change du récit souvent aseptisé qu'une vision universitaire peut avoir de la guerre. A travers un tel témoignage, c'est le degré de brutalité inouï atteint en 14-18 qui est révélé. Le fait est que rien ne préparait les Africains à l'hécatombe que la Grande Guerre imposa à tous les belligérants. L'historien Stéphane Audoin-Rouzeau a signalé combien l'immersion dans le combat avait été quasi immédiate pour les réservistes. Ils ont quitté une vie civile, réglée et policée, pour être plongés dans une violence extrême qu'ils subissent mais aussi, comme le rappelle l'exemple ci-dessus, qu'ils mettent en œuvre. Ces hommes tuent, et cette violence " interpersonnelle " comme le disent les psychologues, amènent un effondrement des valeurs de progrès et de civilisation auxquelles tant d'Européens étaient attachés en 1914.

Les médecins militaires doivent alors faire face à des pathologies d'un genre nouveau. Il y a de nombreux cas de démence et de névroses liés aux traumatismes nerveux endurés. Les cas de panique frappant les combattants sont si nombreux que l'armée procède à des exécutions sommaires sur lesquelles le général André Bach a longuement enquêté. C'est durant cette période de la " bataille des frontières " que le nombre de fusillés a été le plus important. Les Africains n'y échappent pas et il existerait au moins un cas dramatique de " décimation " d'une unité de tirailleurs. Cet épisode a été rapporté par Jean-Yves le Naour dans un ouvrage qu'il a consacré aux fusillés. Il se serait produit dans les Flandres sur le front de l'Yser en décembre 1914. Le 8e de Tirailleurs Tunisiens aurait refusé de sortir de ses tranchées, ce qui déclencha la colère du général Foch, commandant les armées du Nord. Une compagnie aurait vu, en représailles, un homme sur dix tiré au sort et passé par les armes. Il n'a pas été possible de trouver confirmation de cet événement dans les JMO mais cette affaire est tout à fait vraisemblable.


Voici quelques uniformes arborés en 1914 par les troupes venues d'Afrique : 1. Zouave du 1er Régiment de marche (sergent), 2. Capitaine de tirailleurs, 3. 1er régiment d'infanterie coloniale. Source : French colonial and African troops, Osprey publishing, 1996. Ces tenues brillantes n'allaient pas résister longtemps. Rappelons que, de toutes manières, ces couleurs passaient vite sous l'effet du soleil, de la poussière et de la boue. Après quelques heures de combat, la poudre et la terre se chargeaient de rendre ces hommes méconnaissables.


Parmi les troupes les plus exotiques de l'armée d'Afrique, on trouve les escadrons des régiments de Spahis. Voici une carte postale datant de 1910 et montrant un cavalier en grande tenue. Si l'armement est français (carabine, sabre modèle 1822), l'uniforme est à base d'éléments typiques de l'Algérie : manteau (Burnous) garance et blanc, la coiffure est le Haïk (la hauteur en diffère suivant les régiments), pantalon (Sérouâl) bleu azur, bottes de cuir fauve, harnachement arabe. Le Kaki allait vite s'imposer sur le front européen. Collection particulière.


Cette photo montre un peloton de Chasseurs d'Afrique en mission à pied sur la côte belge à l'époque de la " course à la mer ". Devant l'impossibilité de mener des grandes charges de rupture, la cavalerie fait désormais office d'infanterie montée. La casquette d'Afrique (dite Taconnet) a été délaissée au profit de la Chéchia plus légère et confortable. Le rééquipement de l'infanterie est prioritaire et les unités de cavalerie ne perçoivent de nouveaux effets qu'au printemps 1915. Parmi les unités qui ont débarqué en France, les 2e, 3e et 6e RCA effectuent toute la guerre en métropole. Le 5e, lui, partage ses escadrons entre le front occidental et le front d'Orient.

Engagement et propagande

A/ Français par le sang versé…
Pour les historiens, la Première Guerre est l'exemple même de la " guerre totale ". Si le volet militaire est essentiel, l'affrontement est aussi idéologique car chaque camp entend défendre la bonne cause. La propagande est une arme avec laquelle tous les belligérants ont su jouer à merveille, un peu trop même parfois puisque l'expression " bourrage de crâne " est née à cette époque. Ce qui nous intéresse ici c'est de voir comment l'armée d'Afrique a pu être présentée aux Français et quelle place elle a pu tenir dans cette " culture de guerre " qui s'est imposée à l'époque.

C'est le sacrifice qui est d'abord mis en avant. De manière étonnante, la République laïque qu'est la France a mis en place une véritable religion civile dont le patriotisme est le dogme et le soldat le martyr. Pourquoi partir et se battre ? Les historiens n'ont pas fini de se disputer pour savoir s'il s'agit de " contrainte "ou de " consentement " mais ce qui est sûr c'est qu'à l'instar de leurs frères d'arme métropolitains, les Africains tombés sur le champ de bataille furent déclarés à partir de 1915 (loi du 2 juillet) " morts pour la France ". Cette mention marquait bien leur appartenance à la communauté nationale et cela pouvait revêtir une importance symbolique pour nombre de familles d'origine maltaise, espagnole ou italienne. Elle l'était encore plus pour les Israélites, particulièrement nombreux chez les zouaves, car cela leur décernait un véritable brevet de citoyenneté et une reconnaissance officielle de leur nouvelle patrie. N'oublions pas enfin les Musulmans auxquels la France républicaine et laïque sut rendre un hommage appuyé. Ceux qui incriminent aujourd'hui la colonisation pour expliquer l' " islamophobie " de la société française devrait méditer l'exemple qui suit :

" Les règles à suivre pour l'inhumation des soldats musulmans sont définies par une circulaire signée par Alexandre Millerand, le 3 décembre 1914. Une longue liste d'obligations est prescrite. Les derniers instants d'un musulman doivent être accompagnés par un de ses coreligionnaires qui prononce le " chehada " (profession de foi musulmane) ; le corps doit être lavé à l'eau chaude puis placé dans un linceul de cotonnade blanche. L'emploi des cercueils est interdit. La stèle doit être enfin orientée en direction de la Mecque et ornementée d'une inscription du Coran ainsi que du Croissant et de l'Etoile ".

Evidemment, les conditions sur le front ne permettent pas toujours de s'y conformer mais l'armée fera toujours son possible pour respecter la foi et les usages de ses soldats et officiers musulmans.


Obsèques du premier soldat musulman tué en France. La Garde républicaine rend les honneurs et escorte le cercueil. Source : historia magazine, n°119, p. 642

Mettre en valeur cet effort de guerre est d'autant plus nécessaire que le retour des blessés, en septembre 1914, a choqué les populations et conduit à des rébellions dans les douars, où les recruteurs furent parfois accueillis avec les fusils. Les congés de convalescence au pays seront de ce fait obtenus plus difficilement. Les autorités ont de même compris qu'il fallait étendre l'indemnité aux femmes indigènes, mères et épouses de militaires.


Liste macabre parue dans l'Echo d'Alger. Notez le terme " algérien " qui sert à l'époque à désigner des Européens et non comme on le croit aujourd'hui les Musulmans. Source : Site Gallica, l'écho d'Alger.


Un siècle après le début de la Grande Guerre, il est encore possible de donner un visage et une identité à ces Français d'Afrique du Nord partis défendre leur patrie, et parfois y mourir. Voici l'un d'entre eux : Camille Raphäel Demarchi, né le 19 décembre 1886 à Alger, il est rappelé en 1914 et intègre le 1er régiment de Zouaves. Il est tombé pour la France le 25 octobre 1914. Son corps fut rapatrié en juin 1922 en Algérie. WWW.genearmee.com

B/ l'image parfois ambiguë du combattant d'Afrique
Les actes d'héroïsme individuels ou collectifs accomplis par les Africains sont mis en avant par la presse pour galvaniser le sentiment national. Lors des combats sur l'Yser, un épisode fournit un scénario tellement parfait qu'on a eu du mal à croire à sa véracité. Il s'agit de l'histoire du " zouave inconnu de Drie Gratchen ". Le 12 novembre 1914, des soldats français préposés à la garde d'un pont voient un groupe de zouaves provenir de l'autre rive et s'engager sur l'ouvrage. Soudain, un cri résonne " Tirez ! Mais tirez nom de dieu !". Les sentinelles découvrent alors que des soldats allemands se cachent derrière les Zouaves, faisant d'eux de véritables boucliers humains. La suite des événements est rapporté par le général d'Urbal : " Une décharge générale part alors de nos rangs, couche à terre les assaillants et l'héroïque soldat dont le dévouement avait permis aux nôtres de déjouer leur ruse. Si le nom de ce brave reste inconnu, du moins le 1er Zouaves gardera-t-il le souvenir de son sacrifice qui honore le régiment à l'égal des plus beaux faits d'armes de son histoire. Honneur à sa mémoire ".

Tout est rassemblé dans cette histoire pour frapper les esprits : duplicité des Allemands qui ne respectent pas les lois de la guerre, bravoure des Zouaves dont le sacrifice fait échouer l'attaque-surprise, discipline des troupes françaises qui ne cèdent pas au chantage odieux de l'ennemi. Cet épisode héroïque fournit un exemple idéal pour convaincre l'opinion publique que le France et ses alliés mènent une guerre juste face à un adversaire sans pitié.


Les images sont également travaillées dans la presse et sur les affiches pour renforcer l'aspect guerrier de ces troupes d'Outre-Mer, au risque parfois de donner prise aux arguments racistes de la propagande allemande. Les Musulmans, Spahis et Tirailleurs, sont présentés comme les " fils du désert ", tandis que les zouaves et les légionnaires sont vantés comme des vétérans, baroudeurs-nés, héros de vingt campagnes coloniales. Propagande que tout cela, évidemment mais elle contribue à nourrir une image ambigüe de cette armée d'Afrique qui apparait faite d'un mélange d'héroïsme cocardier et de sauvagerie indigène.



La presse française ne manque pas de vanter les qualités guerrières des troupes venues des colonies comme le montrent ces deux illustrations tirées du Petit Journal. La représentation des charges furieuses des Spahis (28 novembre 1916) ou du sacrifice des zouaves et des tirailleurs (Août 1915) devaient rassurer l'opinion publique sur le degré d'implication des colonies et le loyalisme de leurs habitants. On joue sur le choc et l'émotion, la charge des Spahis, est ainsi appelée la " fantasia sanglante ", la recette reste la même aujourd'hui.

Avec leur teint basané et leurs cris gutturaux, coiffés de leur chéchia rouge d'où s'échappent cheveux frisés ou nattes tressées, les Marocains frappent particulièrement l'imagination. Les Allemands eux-mêmes n'échappent à la fascination qu'exercent les Africains. Les tirailleurs sont ainsi baptisés du surnom " Les hirondelles de la mort ". Cette expression aurait été employée pour la première fois en mai 1915 lorsqu'elle fut découverte dans un poème trouvé sur un officier fait prisonnier devant Angres. Un rapport du général Capdepont commandant la 48e division lui donna une consécration officielle qui assura ensuite sa célébrité.


Affiche pour la " journée de l'armée d'Afrique ", on peut distinguer des zouaves ou des tirailleurs au premier plan et un spahi sur son cheval qui se cabre. Collection particulière.


Convoi de prisonniers escortés par des Spahis. Pour le commandement français, il y a là un bon moyen de rabaisser l'orgueil germanique et faire un pied de nez à la propagande allemande qui joue ouvertement sur le racisme à l'encontre des troupes coloniales. Illustration tirée d'un ouvrage pour la jeunesse des années 50 mais son auteur s'est directement inspiré de photos d'époque.

1915-1918

A/ l'épreuve des tranchées et le changement de silhouette du combattant d'Afrique
Les servitudes de la guerre moderne s'imposèrent vite à l'armée d'Afrique, à l'instar de ce qui se passait pour les troupes métropolitaines. Les tirailleurs et les zouaves qui débarquent à la fin de l'année 1914 en renfort doivent se débarrasser de leurs vestes bleu (azur pour les tirailleurs et foncé pour les zouaves) et de leur pantalon de treillis blanc. A la place, ils perçoivent des pantalons de velours côtelé, des cache-nez, des capotes d'artilleur. Silhouette peu élégante qui les fait parfois considérer comme des francs-tireurs par les Allemands. La tenue s'uniformise dans le courant de l'année 1915 avec l'adoption d'un tissu couleur " moutarde " (kaki) qui distingue au premier coup d'œil les Africains du " bleu horizon " des régiments de l'armée française. Les coloniaux (Sénégalais et infanterie de marine) et l'armée d'Afrique : Légion, zouaves et Tirailleurs sont ainsi pourvus de nouveaux effets qui marquent cette deuxième phase qu'on appelle aujourd'hui la " guerre des tranchées ".

Comme le reste de l'infanterie, les régiments de zouaves et de tirailleurs s'enterrent dans un réseau de 800 kms s'étendant de la Mer du nord à la frontière suisse. Les beaux régiments de cavalerie de l'armée d'Afrique connaissent le même triste sort. Les hommes sont démontés et, armés de mousquetons d'artilleurs, délestés de leurs sabres, ils sont désormais affectés à des missions de défense statique. Quelques escadrons effectuent cependant des missions de surveillance des voies de communications. Ensuite, les besoins du front d'Orient amènent le départ de plusieurs unités qui feront parler d'elles en Macédoine et en Bulgarie.

N'oublions pas les groupes d'artillerie d'Afrique qui sont amenés eux-aussi à servir sur le front français. Leur mission ne diffère guère des autres formations d'artillerie, il s'agit majoritairement de soutenir les attaques de l'infanterie dans cette interminable guerre de position.


Nouvelle tenue " moutarde " portée à partir de 1915. Seule la chéchia rappelle l'origine africaine des troupes.


Chasseurs d'Afrique en 1914 et 1918. En quatre ans de guerre, la tenue a évolué et l'uniforme clinquant de 1914 n'est plus qu'un souvenir. Sur le front occidental, ces cavaliers auront cependant peu d'occasions de combattre à cheval. Source : Liliane et Fred Funcken, Armes et uniformes des soldats de 1914-1918.

B/ l'impact de la guerre.
Les lourdes pertes des premiers mois n'empêchèrent pas l'armée d'Afrique d'être engagée dans les affrontements les plus durs de la guerre. De la Champagne à la Picardie, à Verdun ou à Douaumont, les Africains sont lancés " partout où un gros effort était à donner ". Le touriste qui arpente un siècle plus tard le champ de bataille de Verdun peut ainsi admirer à l'entrée du fort de Douaumont l'inscription qui rappelle que ce fort fut repris par le 4ème régiment mixte de zouaves et tirailleurs. Preuve de la bonne tenue et du moral des Africains, aucune de leurs formations ne fut impliquée dans les mutineries de 1917.

Cet engagement scellait définitivement le lien entre les Français d'Afrique du Nord et la Métropole. Parmi ces hommes, " on trouve un jeune lieutenant du nom d'Alphonse juin qui avait dans sa giberne son bâton de Maréchal de France ". Juin est un beau symbole de l'engagement des Français d'Algérie, il a obtenu la croix de la légion d'honneur en 14, après la Marne. En Champagne, il reçoit une blessure au bras droit dont il gardera de graves séquelles. Mais les humbles " poilus " ont également leurs souvenirs. Voici le récit laissé par un officier qui entendit, en 1962, un de ces vieux soldats clamer sa colère st son désespoir :

" N'avons-nous pas, en moins de trente ans, combattu par deux fois à leurs côtés pour chasser le boche de leur sol ? Moi-même, mon commandant, engagé volontaire à 18 ans, je n'ai quitté l'Algérie qu'une seule fois ; quand le détachement dont je faisais partie vint, fin 17, recompléter un régiment mixte de Zouaves et Tirailleurs qui avait durement saigné en Artois…Le bateau, le transport par voie ferrée en " 40 hommes, 8 chevaux " et la montée vers les premières lignes sous les obus et chargés comme des brèles… Et puis le glacial hiver dans les tranchées, avec des combats impitoyables (…) En mai 18, nous avons été engagés au Chemin des Dames. Aouhah, ça chauffait ! Tireur d'une Hotchkiss, j'ai brûlé des milliers de cartouches sur les fridolins qui attaquaient dans la poussière et la fumée des explosions, tandis que Lakhdar, mon brave chargeur, engageait bande sur bande dans la mitrailleuse dont le canon était porté au rouge. C'est alors qu'un obus expédia ce bon Lakhdar au paradis, et moi-même avec des éclats plein le corps, d'ambulance en hôpitaux… ".

Ce texte rappelle que Les pertes auront été lourdes. Pour le seul département d'Alger, on comptait 7.247 morts et disparus soit un taux de pertes de 25,09% chez les Européens mobilisés.

Qu'en est-il à l'époque pour les Musulmans ? Globalement leur loyalisme n'a jamais été remis en cause. Rappelons qu'en août 14, les appelés ne sont qu'une poignée dans les effectifs indigènes. En Algérie, par exemple, on en compte 3.878 pour 29.000 engagés. A la fin de la guerre, 125.000 Musulmans auront pris part aux combats, en France mais aussi dans les Balkans, en Asie mineure et en Crimée. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

Que reste-t-il aujourd'hui de cet engagement en France ? Beaucoup de monuments et surtout un intérêt renouvelé pour l'étude de cette guerre qui suscite étonnement et incompréhension. Etonnement devant l'engagement patriotique et le sens du sacrifice de ces hommes, incompréhension devant leur accoutumance à la violence. Tout comme les " Darda " du front d'Orient, les Africains qui ont été engagés en France sont devenus des vétérans, des professionnels décidés à tenir jusqu'à la victoire.

" Tous ces hommes n'hésitaient pas à mourir pour la France au premier coup de clairon, cocardiers en diable, pour une métropole qu'ils ne connaissaient même pas, mais parce qu'on leur disait qu'elle était en danger ".

Frédéric Harymbat.
Auteur de l'ouvrage : " Les Européens, d'Afrique du Nord dans les armées de la libération française (1942-1945).
Avec son aimable autorisation.

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Mis en ligne le 27 juillet 2016

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