Coupable et innocent

Il était 18 h 45 ce 19 janvier 1962 à Bône. La nuit commençait à tomber et bientôt le couvre feu (c'est à dire l'interdiction à quiconque non autorisé de circuler) serait effectif. Sur la Place Alexis Lambert, place situé à quelques centaines de mètres du centre ville, deux jeunes garçons collaient des affiches de l'O.A.S. sur la façade de l'école tenue par les sœurs de la Doctrine Chrétienne ; c'était une école maternelle que tout(e) jeune Bônois(e) a fréquenté au moins une année.
Par ce geste patriotique bien dérisoire, ces deux très jeunes garçons participaient à leur manière à la résistance pour garder à la France ses départements d'Afrique du Nord, dont la superficie était cinq fois supérieure à l'ensemble des départements métropolitains.
Faut t'il préciser que leur action ne menaçait personne et ne mettait personne en danger, et surtout pas le troisième acteur de ce bien triste drame. Une 2 CV de l'armée conduite par le sous-lieutenant Gilbert PALVADEAU passait au même moment ; ce dernier vit les deux jeunes garçons.
Bien sûr leur activité n'était pas légale et même interdite ; mais pas au point de condamner à mort ipso facto ces deux jeunes garçons, surtout sans procès - précision supplémentaire faite que Gilbert PALVADEAU, originaire de Villejuif, était juriste de formation.
C'est bien pourtant ce qui s'est passé. Gilbert PALVADEAU, substitut du procureur militaire attaché au général commandant la zone-Est constantinois, descendit de son véhicule et tira sur les deux adolescents, tuant net l'un d'entre eux Noël MEI, âgé de 15 ans et blessant son jeune camarade âgé de 14 ans.
Les détails sur les témoignages ne sont pas totalement concordants ; il est affirmé dans certains d'entre eux que Noël MEI a été abattu d'une balle dans le dos alors que d'autres prétendent que la balle a été tirée en plein cœur. À ce stade, dans le dos ou dans le cœur, l'acte est dans les deux cas inadmissible d'autant plus qu'il a été perpétré par un militaire qui n'était pas menacé, donc absolument pas en état de légitime défense.
Cet acte, comme tant d'autres, restera toujours inqualifiable. La famille a demandé, à juste titre, que l'affaire soit jugée.
À ma connaissance elle n'a jamais été jugée, Gilbert PALVADEAU a été transféré très précipitamment à Djibouti.
En mars 1966, Gilbert PALVADEAU était intronisé comme substitut du procureur de la République au Tribunal de grande instance de Troyes… pour juger les crimes et délits commis par les " autres ". (1)

Suite au décès de Noël MEI, une immense émotion s'est abattue sur la ville de Bône.
L'endroit ou fût tué Noël a été immédiatement fleuri par les sœurs de la Doctrine Chrétienne suivies bientôt par l'ensemble de la population bônoise ; ainsi gerbes, couronnes, bouquets étaient déposés autour de la photo de l'adolescent. (2) Comme si cette mort n'était pas suffisante, la foule présente pour se recueillir fût mitraillée depuis un véhicule occupé par des militants FLN ; bilan deux morts européens supplémentaires.
Le 22 janvier 1962 les obsèques de Noël MEI se sont déroulées en présence d'une foule évaluée à 20 000 personnes. La ville dans son ensemble était en deuil ; les magasins étaient fermés, les administrations et les services ne fonctionnaient pas pour marquer leur deuil et leur solidarité à cette modeste famille bônoise.
L'après-midi eurent également lieu les obsèques de Mademoiselle Andrée ZAMMIT, âgée de 17 ans, tuée la veille par l'explosion d'un obus piégé placé par le F.L.N. devant une boucherie ; cet attentat avait fait 4 autres morts supplémentaires et 24 blessés.

Bône était réputée pour être une ville relativement calme. Cependant, si on se reporte au tome 4 du livre d'Hubert Cataldo, on pourra constater que de nombreux attentats s'y sont déroulés durant ces années de guerre.
La grande majorité des Européens, qui ont vécu cette période, se reconnaîtra certainement dans ce récit et dans ce qu'elle pense profondément vis à vis de ce qui s'est passé à cette époque. Si les événements rapportés ici se déroulaient aujourd'hui, ils alimenteraient les médias pendant plusieurs jours ; à l'époque ils ont été totalement occultés. Il y a peu de référence dans la littérature à ces tragiques événements et dans les rares cas où ils sont évoqués ils ne le sont pas avec précision. En ces années 1960, en Algérie, il n'y avait pas de cellules psychologiques. Pour personne. La vie, y compris celle des jeunes, semblait ne pas être une valeur !
Pierre Spiteri, Professeur Emérite des Universités
Voir aussi : http://bone.piednoir.net/titre_rubrique/nostalgie/noelmei.html

Ndlr
(1) Son acte héroïque accompli, le sous lieutenant Palvadeau ira prendre son repas au mess comme si de rien n'était.

(2) Fleurs et couronnes furent piétinées par par deux militaires qui frappèrent des jeunes gens. L'intervention de quelques civils mit heureusement fin à cet incident.

J'ai lu sur divers sites dont certains sont spécialisés dans les droits de l'homme et militent pour une histoire juste et impartiale, une minimisation de l'assassinat de ce jeune garçon. Les webmasters, vont jusqu'à pinailler sur l'âge. Ils insistent sur le fait qu'il avait 16 ans au lieu de 14 ans insinuant que s'il en avait 14 ce serait regrettable, mais puisqu'il en avait 16 c'est moins grave. Mais plus encore, ils vont jusqu'a innocenter le tueur et faire porter la responsabilité de cet exécution sommaire sur l'OAS qui l'avait embrigadé.

Guy Mocquet avait 17 ans le 22 octobre 1941, lorsqu'il fut fusillé par les allemands.
Quel était donc son crime ? Pris les armes à la main ? Surpris en flagrant délit de sabotage ? Non.
Il distribuait simplement les tracts et collait des affiches que lui donnait le Parti Communiste.
En suivant le même raisonnement ce serait donc le PC qui serait responsable de sa mort.
Il fut arrêté le 13 octobre 1940.
Mais alors, les tracts et affiches qu'on lui suppose avoir diffusés étaient séditieux et prônaient la rébellion contre les forces d'occupation ? Pas du tout puisque à cette époque la direction du PC était favorable au pacte germano-soviétique et prônait la fraternisation.
C'est donc un innocent qui fut exécuté. Ainsi que Noël Mei qui, comme Guy Mocquet, avait un parent emprisonné par le pouvoir de l'époque.

Guy est devenu un des symboles de la résistance à l'occupant pour avoir été le plus jeune des quarante-huit otages fusillés, le 22 octobre 1941. Des rues des places des établissements scolaires portent son nom. Le Président de la République Sarkozy avait même incité l'Education Nationale à faire lire aux élèves la lettre qu'il avait adressé à sa mère avant son exécution. Ses assassins sont connus et a juste raison, il y a unanimité pour condamner leur barbarie.

Noël est un anonyme, qui est, à cause de sa sympathie pour l'OAS, considéré coupable de sa propre mort. Il n'a pas eu le temps de rédiger une lettre à sa mère. Son tueur qui ne fut jamais inquiété, en hommage à sa bravoure pour avoir descendu un dangereux terroriste, reçut une promotion qui lui permit de prononcer, au nom de la République des réquisitoires pour crimes et délits, puis de profiter d'une retraite tranquille.

On me dira, ce n'est pas pareil, le contexte est différent etc... quoiqu'il en soit :

On est toujours trop jeune pour mourir au camp de Choisel à Châteaubriant, mais trop vieux pour vivre sur les trottoirs de Bône.

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Mis en ligne le 11 mars 2013

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