La Rouvière, dernier bastion pied-noir
Si l'intégration des rapatriés dans la société marseillaise a mis fin à leur ségrégation géographique originelle, un quartier continue de faire exception

Où vivent les pieds-noirs marseillais ? Si une question aussi ouverte peut aujourd'hui paraître absurde, elle avait davantage de sens dans les années qui ont suivi leur arrivée. Ainsi, en 1968, selon le recensement effectué cette année-là, on comptait moins de 5% de rapatriés dans la population des sept premiers arrondissements ; à l'inverse, ils représentaient au moins 30% des habitants des 8 e , 9 e , 10 e , 13 e , 14 e et 15 e arrondissements. Au sein de ces quartiers périphériques, au sud et au nord du centre-ville, la concentration des rapatriés d'Algérie pouvait même dépasser 50% dans des secteurs comme Sainte-Marguerite, la Panouse ou la Rose. Autant de quartiers où venaient de sortir de terre d'imposantes cités, dont les pouvoirs publics avaient décidé de réserver 30% des logements HLM aux pieds-noirs.

Or, dès les années 1970, la réussite d'une bonne partie des rapatriés a eu raison de cette ségrégation géographique, et les familles pied-noires se sont peu à peu diluées dans l'espace urbain, en même temps qu'elles s'intégraient à la société marseillaise. Une tendance à laquelle un quartier continue toutefois de faire exception : aux marges de la ville, posées à flanc de colline, les imposantes barres de la Rouvière abritent toujours une importante colonie pied-noire.

Ce " ghetto " de rapatriés est, il faut le dire, plus qu'accueillant. Avec ses parterres manucurés, son centre commercial, ses terrains de sport, son école et sa poste, cette petite ville de 8 000 habitants n'a rien d'une cité laissée pour compte. Les habitants sont d'autant plus soucieux de leur environnement qu'ils sont pour la plupart propriétaires, ce qui fait de la Rouvière l'une des plus grandes copropriétés d'Europe. Parmi eux, certains rapatriés y vivent depuis la livraison de la première tranche, en 1963 : ils avaient acheté leur appartement sur plans deux ans plus tôt, depuis l'Algérie, après avoir été séduits par les prospectus que les promoteurs, les frères Cravero, flairant le vent de l'histoire, avaient opportunément expédiés de l'autre côté de la Méditerranée. La vue imprenable sur cette mer reliant l'Algérie à Marseille apparaissait comme une légère consolation de l'inévitable exode à venir.

Une petite Algérie de substitution

Danièle Sanchez, pour sa part, habite La Rouvière depuis bientôt 48 ans. Cette Algéroise, jeune fonctionnaire au ministère de l'Intérieur au moment de son rapatriement, en juin 1962, ne supporta pas le climat de Paris, où elle fut alors nommée. En 1964, elle démissionne donc et rejoint ses parents dans leur appartement du grand ensemble marseillais. Deux ans plus tard, après s'être mariée avec Fernand, lui aussi natif d'Alger, elle s'installe avec lui, toujours à la Rouvière. Le couple ne déménagera, en 1977, que pour aller habiter à Super Rouvière, l'extension des années 1970, qui surplombe le reste du quartier. Dans leur appartement, les murs sont couverts de peintures et de photographies représentant Bab El Oued, le quartier de l'enfance de Danièle ; à l'apéritif, impossible de refuser un verre d'anisette. " On invitait souvent des métropolitains du quartier à venir prendre l'apéritif et des kemia (les " tapas " pieds-noirs traditionnels), se souvient M me Sanchez. Ils appréciaient notre hospitalité, mais n'y étaient pas habitués, et finissaient par nous demander " On vous doit combien ? ", sans nous inviter en retour. Finalement, nous avons surtout fréquenté des pieds-noirs. "

Avec le temps, la communauté soudée des rapatriés de la Rouvière s'amenuise peu à peu. Même si elle enregistre encore à l'occasion quelques arrivées : en 2003, Roger Bisquert, également originaire d'Alger, après une carrière de cadre chez Citroën achevée en région parisienne, a décidé avec son épouse de venir passer sa retraite dans le quartier, rejoignant sa belle-famille pied-noire. Très impliqué dans la gestion du syndicat de copropriétaires, il est loin de regretter d'avoir rallié cette petite Algérie de substitution, qui inspire à Danièle Sanchez cette formule : " J'ai déjà dû quitter l'Algérie. Jamais on ne me fera quitter la Rouvière ! "
Le Nouvel Observateur - 06-07-2012
http://tempsreel.nouvelobs.com/infos-marseille-13/20120412.REG0947/la-rouviere-dernier-bastion-pied-noir.html

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Mis en ligne le 11 janvier 2013

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