En 1850, de Perpignan à Toulon, deux partis sont en présence, légitimiste et clérical d'une part, républicain et révolutionnaire d'autre part. La révolution de 1848 a réveillé les vieilles haines, le fanatisme religieux envenime les luttes politiques. La société secrète des Montagnards couvre tout le Midi. Elle s'est organisée clandestinement dès 1850 pour faire face à un coup d'Etat, en se dissimulant sous la forme d'associations de secours mutuel.

Les affidés sont reçus au cours d'un cérémonial emprunté aux anciennes sociétés secrètes et jurent de défendre la république par les armes. Le nombre de 15000 affidés, sans doute exagéré, montre l'importance du mouvement dans l'Hérault. Il signifie aussi que l'autorité peut y entretenir des agents dans toutes les villes importantes.

Le 2 Décembre 1851, le président Louis Napoléon BONAPARTE dissout l'assemblée nationale, rétablit le suffrage universel et décrète l'état de siège dans la région parisienne. Il fait arrêter les députés républicains et royalistes qui protestent.

Le 3 décembre, le télégraphe porte en province la nouvelle des événements de Paris. Ils ne prennent pas les républicains au dépourvu et ceux-ci organisent aussitôt la résistance. Celle-ci sera particulièrement opiniâtre dans les départements occitans et l'Hérault est l'un de ceux où elle se manifeste avec le plus de force, essentiellement dans le Biterrois et le Saint Ponçais. Dès le 3 décembre en effet, 200 arrestations préventives sont effectuées à Montpellier. La ville et la moitié est du département resteront calmes. A l'ouest, par contre , la levée populaire est puissante et se traduit par des rassemblements et affrontements armés :

A Béziers, le chef des Montagnards décide de résister et envoie des émissaires dans tout le Biterrois. Le 4 décembre, à 6 h du matin, 4000 hommes sont rassemblés, habitants de la ville, paysans et ouvriers de la campagne. Une délégation somme, sans succès, le Préfet de démissionner. Le lendemain, une colonne d'insurgés marche sur la sous-préfecture. La troupe ouvre le feu. Le nombre des victimes civiles et militaires, s'élève à 70 dont une dizaine de morts.
A Pézenas, agitation, brutalités, assassinat d'un propriétaire.
A Capestang, plusieurs gendarmes sont blessés, le curé est assassiné ; les républicains tiennent la ville jusqu'au 10 décembre.
A Bédarieux, la gendarmerie est attaquée et incendiée, 3 gendarmes, plusieurs civils sont tués. Le 5 décembre, l'état de siège est proclamé dans l'Hérault. " Tout individu pris construisant ou défendant une barricade ou des armes à la main sera fusillé sur le champ. " L'ouverture du feu est autorisée sur les fuyards.
Le 10 décembre, une colonne mobile rétablit la légalité à Bédarieux et Capestang. Des arrestations massives sont opérées. Avec 3023 arrestations, l'Hérault est, après la Seine et le Var, le département où elles sont les plus nombreuses.

Le gouvernement institue immédiatement des commissions militaires à Montpellier et Béziers pour faire le tri des insurgés, informer et statuer en distinguant :
- 1° catégorie : cas graves, individus à traduire devant un conseil de guerre pour avoir pris une part active à l'insurrection ;
- 2° catégorie: tous les autres cas, classés entre les plus coupables (1° classe) et les moins coupables (2° classe).
Les travaux des commissions militaires sont transmis à la commission mixte supérieure de l'Hérault où siègent le général commandant la division, le Préfet et le procureur.

Si la répression est sans indulgence, elle est rapidement tempérée par le gouvernement. Dès janvier 1852, une circulaire de Persigny, ministre de l'Intérieur, invite les préfets à la mansuétude : " s'il existe parmi les insurgés de décembre de ces hommes pervers et dangereux dont il importe de débarrasser le pays, les autres sont pour la plupart de malheureux ouvriers ou habitants des campagnes qui n'ont été entraînés à la révolte que par faiblesse ou ignorance... Une telle situation a ému le prince président et en conséquence, il me charge de vous transmettre les pouvoirs nécessaires pour faire sortir immédiatement de prison et rendre à leurs familles tous ceux des détenus que vous jugerez n'avoir été qu'égarés et dont la mise en liberté ne peut offrir de danger pour la société. "

Le préfet de l'Hérault fait ainsi libérer 360 internés, ramenant à 2663 le nombre des prisonniers ou contumaces. Ceux-ci passent devant les commissions entre le 5 février et le 10 avril 1852.

97 (dont 20 contumaces) sont renvoyés devant les conseils de guerre.
10 (dont 2 contumaces) sont condamnés à la transportation à Cayenne.
1574 (dont 280 contumaces) sont condamnés à la transportation en Algérie.
37 (dont 6 contumaces) sont expulsés de France. 9 (dont 2 contumaces) sont condamnés à l'éloignement momentané du territoire.
42 (dont 3 contumaces) sont condamnés à l'internement avec obligation de résider.
15 sont renvoyés en police correctionnelle. 879 sont libérés dont 327 placés sous surveillance de la police.

Pour les condamnés à la transportation en Algérie, les choses ne traînent pas. Le premier convoi de détenus politiques de l'Hérault est rassemblé à Sète le 25 février 1852 et embarque sur l'aviso à vapeur le Dauphin à destination d'Alger, via Toulon, où il arrive le 29, les prisonniers étant dirigés sur Birkadem.

Les 133 prisonniers de ce premier convoi proviennent :
- des prisons de Béziers et Fort Brescan pour 42 d'entre eux. Ils ont été acheminés sur Sète, via Agde sous escorte militaire par le bateau poste du canal du Midi.
- des prisons de Lodève et Aniane pour 47. Ils ont rejoint Montpellier le 24 en voitures réquisitionnées et à pied, escortés par un détachement d'infanterie. Le 25 matin, ils ont rejoint Sète par chemin de fer.
- de la prison de Montpellier pour 14. Ils se sont joints au détachement de Lodève.
- du fort St Pierre à Sète pour 30.

Les conditions de déplacement des prisonniers, variables selon le moment et le lieu, sont parfois sévères, enchaînés 3 par 3 par le cou et sur le bateau attachés 2 par 2 par le poignet.

En mars, avril, mai, les embarquements se poursuivent :

Le Grandeur embarque 211 détenus le 19 mars à destination d'Alger.
L'Eclaireur 196 détenus (dont 72 du Gers) le 23 mars à destination d'Alger.
Le Grandeur 222 (dont 51 du Gers) le 25 mars à destination d'Alger.
L'Eclaireur 174 (dont 64 de Toulouse) le 11 avril à destination de Bône.
Le Requin 207 (Aude, Pyrénées Orientales, Lot, Tarn, etc.) le 12 avril à destination d'Alger.
L'Eclaireur 158 le 26 avril à destination de Bône Le Requin 218 le 26 avril à destination de Bône, L'Eclaireur 160 le 8 mai à destination de Bône.

Pendant cette période l'aviso à vapeur le Grandeur est commandé par le Lieutenant de vaisseau de la Gueranière avec un équipage de 78 hommes. L'Eclaireur est commandé par le capitaine de frégate de Dampierre d'Hornay avec un équipage de 90 hommes.
A leur arrivée, les transportés sont placés dans des camps militaires à Birkadem, Douéra, Maison Carrée, à la casbah de Bône. Des cultivateurs ou exerçant une profession annexe sont envoyés à Bourkika et peupleront ensuite Aïn Benian et Aïn Sultan.

La règle à leur appliquer est définie par le Moniteur algérien :
" Les transportés seront employés à des travaux agricoles, et aux industries qui s'y rattachent. Ils recevront une rétribution journalière sur laquelle seront imputées les prestations qui leur seront fournies et auront leur part dans les produits. Ils pourront ultérieurement, si leur conduite est bonne, devenir concessionnaires et appeler leur famille auprès d'eux. "

Ceux qui auraient des ressources suffisantes pour employer le travail d'autrui, pourront, avec l'autorisation du ministre, obtenir de diriger à leurs frais et à leur profit une exploitation particulière dans le lieu qui leur sera assigné pour résidence. Enfin on emploiera généralement aux travaux publics, moyennant salaire à la tâche, les transportés qui n'auront pu être classés dans la catégorie des villageois ou n'auront pas mérité une exploitation particulière.
L'administration traitera les transportés avec humanité sans se départir de sa prudence.

D'après les correspondances, il apparaît que les transportés de l'Hérault ont séjourné à Alger, Cherchell, Birkadem, Douéra, Médéah, Aïn Benian, Aïn Sultan, Bourkika, Guelaat Bou Sba, Marengo, Tlemcen, Dellys, Constantine, Guelma. etc…
Les récalcitrants ou les transportés refusant de travailler semblent avoir été internés au fort de Bab Azoun à Alger, au fort de l'Est Mostaganem, à la casbah de Bône et à la colonie pénitencière de Lambèse, créée à cette époque pour la mise en valeur de 2 500 hectares de terres.

Les conditions de vie des transportés varient selon le lieu de séjour et le comportement de l'autorité militaire locale.
Elles sont toujours difficiles et rudes et la mortalité est élevée. Néanmoins, très rapidement, les transportés sont invités à faire leur soumission à l'autorité et à demander leur grâce à l'Empereur. En juillet 1853, sur les 2663 condamnés de l'Hérault, 1201 ont été graciés, 297 ont vu leur peine commuée en surveillance et 44 en internement ; la plupart de ces mesures touchant les transportés d'Algérie.

Les correspondances administratives des années 1853 à 1858 montrent que la situation des transportés s'est normalisée ; les uns sont autorisés à venir en France pour " régler des affaires d'intérêt " ou " pour raisons de santé " (" prendre les eaux à Lamalou " ou " les bains à Balaruc ") ; d'autres se sont créé des ressources en Algérie annonçant leur intention de s'y fixer définitivement avec leur famille, en général dans l'Algérois et le Constantinois. La loi de sûreté générale du 27 Février 1858 amène un nouveau contingent de transportés en Algérie qui ne touche cependant qu'un effectif très modeste : 428 personnes pour la France dont 7 dans l'Hérault.

Le Second Empire disparaît en 1870, mais ce n'est que le 30 juillet 1881 qu'un gouvernement de la IIIème République, décide d'accorder " des rentes incessibles et insaisissables " d'un montant de 6 millions de francs, en réparation nationale aux citoyens victimes du coup d'état du 2 décembre 1851 et de la loi de sûreté générale du 27 février 1858. Les bénéficiaires de ces rentes seront les victimes directes, leurs veuves, ascendants ou descendants au 1° degré. Des commissions départementales d'indemnisation sont instituées pour étudier les dossiers présentés par les victimes et fixer le montant des pensions (de 100 à 1200 F). Les jalousies, les rivalités refont surface. Après le coup d'état, il s'agissait de dénoncer les " socialistes ardents ", les " hommes de désordre ", les " démagogues exaltés " ; mais 30 ans ont passé.

Certaines victimes qui s'étaient ultérieurement ralliées à l'Empire sont dénoncées comme " réactionnaires " ou " ayant une mauvaise attitude politique " et sont exclues par les commissions du bénéfice de la loi. En définitive 2067 personnes sur les 3023 arrêtées dans l'Hérault en 1851 reçoivent une pension pour un total de 1056050 F. La liste des bénéficiaires est publiée fin 1882 au Bulletin des Lois. Parmi ceux-ci, 47 sont à cette date domiciliés en Algérie. Il convient cependant d'y ajouter les transportés ayant omis de présenter un dossier ou dont le dossier a été rejeté pour forclusion ou sur avis négatif des commissions. Des transportés restés en Algérie ont pu aussi faire venir des parents, frères, beaux-frères. Au total on peut sans doute estimer à une bonne centaine, les familles originaires de l'Hérault qui se sont fixées en Algérie du fait des mesures prises par le gouvernement à la suite du coup d'état du 2 Décembre 1851.

LISTE DES TRANSPORTES BENEFICIAIRES DE PENSIONS PRESENTS EN 1882
Noms & Prénoms Age en 1882 Profession Domicile Lieu naissance
AMIEL Rose, Pascale 61   Mondovi  
ASTRUC André 55 Forgeron L'Arba (Alger)  
BACCOU François Honoré
(dit " RASCOL ")
53 Cuisinier Souk-Arhas (St Just)
BARTHES Emile
(dit " MAZAMET ")
58 Forgeron Le Ruisseau (Alger) (Mazamet)
BEAUMADIER Marthe Félicie,
fille d'Alexis & CALVET François)
46   Alger (Mèze)
Palmyre Vve RICARD Paul        
BOUJOL Louis 60 Vétérinaire La Calle (St Pons)
CABROL Charles
(dit " BARBEAU ")
57 Matelassier Constantine (St Pons)
CAZELLES Pierre Benjamin Brutus 56 Receveur PTT Alger (Bédarieux)
Philippeville CHAVERNAC Charles 58 Fileur Alger (Bédarieux)
CHAVERNAC Charles Alexandre 54 (fils de Pierre & FOURNES Catherine) Alger (Bédarieux)
COLMAN Roch Jacques 57 Cultivateur Dra-El-Mizan (Bédarieux)
CROUZAT Prosper 71 Médecin Médéah (Salasc)
DAUREL Elwig Félicien 55 L'Alma (Bessan)
DUMONTHEIL Henri Guillaume 57 Collecteur de marchés Philippeville (Bédarieux)
FICKS Anna Maria
(Vve POUJOL Félix)
46 Couturière Orléansville  
GAILLARD Guillaume 78 Serrurier Constantine (Montpellier)
GAJAC Pierre 66 Colon Duperré (Béziers)
GRANIER Edouard Alphonse
(dit Benjamin)
65 Fabricant de draps Relizane (St Chinian)
JULIA Louis 51 Propriétaire Misserghin  
LAPARENTERIE Adrien Bernard 63 Plâtrier Alger (Lodève)
LAUSSEL Antonin 55 Négociant Constantine (Montpellier)
LAUTIER Antoine 52 Cultivateur Khenchela (Quarante)
MARQUET Guillaume 69 Maçon Philippeville (Béziers)
ME(U)NIER Charles 55 Jardinier Dellys (Béziers)
MOREAU Jean 54 Cultivateur Philippeville (Florensac)
PAGES Pierre     Philippeville  
PAULINIER Romulus Pierre 58 Plâtrier Alger (Bédarieux)
PELISSIER Louis 49 Charron Malakoff (Bédarieux)
PROUZET Pierre 61 Cultivateur Alger (Mèze)
PY Pierre 57 Cultivateur Marengo (Marseillan)
RAUNIER Jean, Pierre 55 Garçon brasseur Aumale (Bédarieux)
REY Charles François Basile 63 Employé mairie Constantine (Florensac)
RICARD Paul Victor 56 Forgeron Alger (Toulouse)
ROSSY Marie
(Vve PAULHAN André Louis)
70   Bou Medfa ou Alger  
SALASC Lucien
(dit " GARROU ")
57 Entrepreneur Constantine (Bédarieux)
SALASC Joseph 44 (enfant de SALASC Joseph décédé= Duquesne  
SALASC Angélique Marie,
(épouse DIDOT)
42 (enfant de SALASC Joseph décédé) Rouffach  
SARNY Pierre Bernard 51 Journalier Marengo (St Chinian)
TARBOURIECH M. Anne
(Vve LABADIE Casimir)
66 Ménagère Lamoricière  
T(H)ADOME M. Jeanne
(épouse GUILLEMOT)
32 (enfant de T(H)ADOME Henri décédé) Alger  
T(H)ADOME Louis 28 (enfant de T(H)ADOME Henri décédé) Alger  
THOMAS Alphonse Martial 53 Vigneron Kouba (Magalas)
TROUSSEILLIER Jeanne Antoinette
(épouse SENOT)
40 (fille de Barthélémy, décédé) Bouguirat  
VAQUIER Jean 76 Berger Birkadem (Frontignan)
VERGELY Antoine Etienne 58 Plâtrier La Calle (Bédarieux)
VERGEL(L)Y Marguerite Antoinette 53 (enfant de Pierre décédé à Bedarieux) La Calle  
VERGEL(L)Y Pierre Paul 42 (enfant de Pierre décédé à Bedarieux) Alger  

Michel BARBIER - sources : Bulletin des Lois, partie supplémentaire. Décret du 30 octobre 1882. http://www.genealogie-gamt.org/images2/transportes.pdf

Retour en haut de la page

RETOUR SOMMAIRE
du dossier " Les transportés de 1848 "


Mis en ligne le 02 avril 2013

Entrée  Introduction  -   Périodes-raisons  -   Qui étaient-ils?  -   Les composantes  - Les conditions  - L'attente  -   Le départ  -  L'accueil  -  Et après ? - Les accords d'Evian - L'indemnisation - Girouettes  -  Motif ?  -  En savoir plus  -  Lu dans la presse  -