L'installation en Algérie

Depuis son arrivée, la petite communauté grecque de Cargèse, augmentée de la naissance de nombreux enfants, se trouve un peu à l'étroit dans son village. C'est à partir de 1870 que les encouragements pour le peuplement de l'Algérie se multiplient. Nombreux sont ceux qui, persuadés qu'ils sont tolérés mais pas totalement insérés, vont vers 1870-1874, faire des demandes pour s'établir en Algérie où l'un des leurs était alors receveur de l'Enregistrement à Constantine. Les candidats au départ, au nombre de trente-trois d'abord, suivis de beaucoup d'autres ensuite, liquident tous leurs biens dans l'île. À partir de fin octobre 1874, ils s'embarquent sans leurs familles à Ajaccio pour Bône. À leur arrivée à Constantine, ils sont conduits à Grarem, Sidi-Mérouan, Ferdoua où l'administration leur propose des lots à mettre en culture.
Désormais, ne pouvant plus retourner, ni en Corse, ni à Itylon, les voilà avec leurs nombreux enfants confrontés à toutes les difficultés de la mise en valeur dans un milieu hostile, de lots exigus, envahis de figuiers de Barbarie et de lentisques. Comme les autres colons, ils sont exposés aux fièvres paludéennes en raison de la proximité d'un marais, aux ophtalmies, à la sécheresse, aux invasions de criquets, aux incursions des pillards et surtout au manque de moyens de financement.
En 1975, dans l'édition n° 4 d'Études corses, Mme Marie-Claude Bartoli souligne que : "Les colons avaient l'habitude de demander des secours en argent". De telles sollicitations, remarquées par les services du Gouvernement général de l'Algérie, trouvent probablement leur explication dans la présence de nombreux enfants dans les foyers gréco-corses ainsi qu'un plus grand isolement que celui de la majorité des colons établis dans les autres régions.

La communauté corse de Grarem, Siliana et de Sidi-Mérouan

Partis en 1675 d'Itylo, dans le golfe de Messénie, les Uniates ont vu s'évanouir les clochers blancs et les volets bleus des maisons du Péloponnèse. Après leur arrivée à Gênes, leurs descendants, successivement installés à Paomia, puis à Cargèse, en repartirent vers deux villages du Constantinois créés à la fin du Second Empire par M. Luciani, secrétaire général à la préfecture de Constantine. Le village de Sidi-Mérouan, commune de plein exercice de 2711 hectares a été créé en 1874; celui de Grarem avec ses 1400 hectares en 1885. Toutes ces familles sont installées dans ces deux villages et dans leurs dépendances à Ferdoua et à Siliana où elles ont expressément demandé leur regroupement.
Elles disposent dans ces villages d'une poste et d'une école. En 1900, M. Stéphanopoli dirige l'école mixte franco-arabe de Grarem. Leurs enfants apprennent le français. Au contact des jeunes des douars : Guettara, Ouled-Yahia, Hamala, Siliana, Ben-Haroun et Sidi-Abdel-Malek, ils parlent couramment l'arabe. Inversement les petits musulmans récitent poésies et tables de multiplication avec l'accent corse.
Dans l'édition n° 56 de la revue "Les Africains" de novembre-décembre 1981, Marc Monnet, auteur d'un article sur les villages corses en A1gérie, souligne l'excellente qualité de l'enseignement primaire. Plusieurs de ses élèves ont en effet occupé par la suite d'importants postes dans l'administration et la magistrature.

Vingt-cinq après en Algérie

En 1900, les villages de Sidi-Mérouan, Grarem et Siliana, abritent des familles nombreuses. Familles dont la solidarité se manifeste de façon très efficace dès que l'une d'entre elles est dans le malheur. Les hommes, exposés à la dureté des conditions d'existence, meurent en laissant des veuves en charge de nombreux enfants. En cas de décès des deux parents, un frère ou une sœur, déjà chargés de famille, élèvent les orphelins.

Les "étapes de l'insolite itinéraire des Uniates du Péloponnèse

Les familles conservent la pratique de leur langue maternelle, de leurs coutumes religieuses et de leurs habitudes culinaires. Les baptêmes se célébraient par l'immersion totale du baptisé, avec les prières du ministre du culte orthodoxe uniate, Démétrius Stephanopoli qui officiait en 1900.
Dans les foyers, les plats traditionnels sont toujours cuisinés. Les repas sont composés de "kefkédes" (boulettes à la viande), de "moussaka", de "dolmades" (feuilles de vigne), l'anisette n'avait pas encore supplanté "l'ouzo". Enfin, comme en Grèce, il n'y a pas de dessert à la fin du repas.

Sidi-Mérouan et Grarem : deux villages grecs

En 1900, à Sidi-Mérouan, la mosquée n'est pas très éloignée de la maison du culte grec, dont le ministère est assuré par M. Démétrius Stéphanopoli. Dans ce village, le maire Stéphanopoli vient de céder son siège de premier magistrat à M. Constantin Ragazacci, dont M. Elie Rochiccioli est l'adjoint. En raison de l'exiguïté des concessions, les colons font des cultures maraîchères, cultivent de la vigne dont ils vinifient les raisins. Avec la céréaliculture, ils pratiquent l'élevage des bovins et des porcins.
Dans les deux villages, les exilés se répartissent toutes les tâches et, même si cette liste est forcément incomplète, voici quelques-unes des principales occupations de leurs habitants en 1900 : Draina Polymène garde-champêtre, Sidi-Mérouan; Dragacci Jean, facteur-receveur, Sidi-Mérouan; Dragacci Polymène, viticulteur, Sidi-Mérouan; Dragacci Etienne, entrepreneur T.P., Sidi-Mérouan; Exiga Antoine, garde-champêtre, Sidi-Mérouan; Exiga Michel, viticulteur, Sidi-Mérouan; Frangollacci François, agriculteur-viticulteur, Grarem; Frangollacci Xavier, agriculteur-viticulteur, Grarem; Garidacci Drago, maréchal-ferrant, Sidi-Mérouan; Lugarini, menuisier-ébéniste, Sidi-Mérouan; Lugaro Dominique, viticulteur, SidiMérouan; Pantaléonacci, maréchal-ferrant, Sidi-Mérouan; Ragazacci Constantin, maire, Sidi-Mérouan; Quilici, agriculteur, Grarem; Rochiccioli Antoine, adjoint au maire, Sidi-Mérouan; Rochiccioli Thomas, viticulteur, Sidi-Mérouan; Stéphanopoli Démétrius, prêtre orthodoxe, Sidi-Mérouan; Stéphanopoli Elie, viticulteur, Sidi-Mérouan; Voglimaci Michel, viticulteur, Sidi-Mérouan; Voglimaci Théodore, viticulteur, Sidi-Mérouan; Zannetacci Stéphanopoli, viticulteur, Sidi-Mérouan; Zannetacci Antoine, agriculteur, Siliana.

Sidi-Merouan et Grarem : quarante ans après

En 1914, les familles grecques de Sidi-Mérouan, Grarem et Ferdoua ne sont plus tout à fait corses, même si elles maintiennent des liens avec ceux qui sont restés sur l'île. Elles restent toujours très attachées à leur culte orthodoxe de rite byzantin. Après la guerre de 1914-1918, de nombreux noms grecs sont gravés sur les monuments aux Morts des villes et villages d'Algérie.
Par la suite, la culture de la vigne, exigeante en main d'œuvre, est progressivement abandonnée dans le département de Constantine, au profit de quelques plaines comme celles de la Soummam ou de la Seybouse. Enfin, comme partout en Algérie, l'enseignement primaire, puis secondaire permet aux nombreux enfants des familles de Sidi-Mérouan et de Grarem, d'essaimer vers le village de Lutaud, dans la région de Batna, dans un premier temps puis vers les carrières de l'administration ou du secteur tertiaire par la suite.

Sidi-Mérouan, Grarem et Lutaud : soixante dix ans après

En 1939, la communauté française d'origine grecque de ces villages entre dans la guerre. L'année 1940 est celle du départ du dernier pope de Sidi-Mérouan.
Entre 1939 et 1945, les jeunes et les moins jeunes sont incorporés dans l'Armée d'Afrique avec des métropolitains et des fils et petits-fils d'immigrés rhénans, espagnols, italiens, maltais. Ils participent à toutes les batailles de France, du Liban et à partir de 1942, de Tunisie, d'Italie, de France et d'Allemagne. Après la guerre, d'autres noms grecs seront gravés sur les plaques des églises, des écoles ou des monuments aux Morts d'Algérie.

Juin 1962 : autre exode

Près de deux cent quatre-vingt-dix ans se sont écoulés depuis le départ d'Itylon. La communauté française d'origine grecque, fondue dans plus d'un million de Français d'Algérie, en est a son quatrième exode.
Avec la plus grande dignité, les descendants des Uniates d'Itylon, s'embarquent pour recommencer et replonger leurs racines en France. Réimplantés avec courage et opiniâtreté sur le sol de France, nombreux sont ceux qui témoigneront par l'écrit l'insolite itinéraire de leurs ancêtres, ballottés par l'Histoire, de leur berceau du Péloponnèse à Gênes, en Corse, en Algérie puis en France.

Le bilan de cet exil à l'aube de l'an deux mille

De Grarem et de Sidi-Mérouan, les Français d'origine gréco-corse se sont répartis dans toute l'Afrique du Nord et notamment dans le département de Constantine à Gravelotte, Lutaud, Youks-les-Bains, Lacroix, Périgotville, Chevreul, puis dans ceux d'Alger et d'Oran. Cette propension a l'essaimage s'est encore développée lors de l'exode massif de 1962, après lequel nous retrouverons leurs descendants dans toutes les villes de France où ils se sont fondus dans la communauté nationale. Hormis les noms qui subsistent, leurs enfants ne parlent plus la langue maternelle et ne goûtent pas plus que les autres Français la cuisine grecque. Avec le développement des moyens de communication, ils ont refait en sens inverse itinéraire de leurs ancêtres en se souvenant des exodes successifs. De tous ceux qui, de part et d'autre, ont vécu ces déplacements toujours douloureux, il est encore difficile de dire qui a le plus perdu. Probablement pas ceux qui les ont subis et qui, dans la cruelle adversité ont eu assez de courage et d'opiniâtreté pour surmonter leurs difficultés. Enfin, en remontant jusqu'au berceau familial, dans le Magne du moderne Péloponnèse, ils se sont aperçus, non sans surprise, que ceux qui y sont restés conservaient le souvenir de ceux qui en étaient partis. Respectueux du passé de leurs lointains parents, des liens qu'ils croyaient rompus ou distendus se sont reconstitues dans le souvenir des générations précédentes et des sacrifices consentis pour survivre.
http://siliana.onlc.fr/1-LES-GRECS-A-SILIANA.html

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Mis en ligne le 15 dec 2010

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