L'opération Catapult
Cela se passait le trois juillet 1940 à Mers el Kebir |
Le port d'ORAN, surtout sa partie jouxtant LA MOUNE, ou se trouvaient les postes de patroullieurs, avisos et sous-marins, et la base de MERS EL KEBIR, sont très proches l'un de l'autre. Le Fort LA MOUNE les sépare. La base de MERS EL KEBIR était cernée, côté du large, par une importante jetée se terminant au niveau de la passe. Les forces maritimes françaises étaient dispersées dans tous les théâtres opérationnels, avant l'armistice. Mais le gros de ces forces, constituent la force de RAID, avait été réuni là, les grosses unités l'arrière à la jetée. Les documents de l'Histoire officielle donnent la liste de tous les bâtiments présents sur la base. Pour ma part, je vois encore devant moi, à quelques encablures, les deux cuirassés ultra modernes : le " DUNKERQUE " et le " STRASBOURG ", les vieux cuirassés : " BRETAGNE " et " PROVENCE ", le " COMMANDANT TESTE ", bâtiment logistique d`aviation, avec ses hautes superstructures, plusieurs contre-torpilleurs dont l'ultra moderne " MOGADOR ". Tous ces bâtiments, sous les ordres de l'Amiral GENSOUL, entreprenaient leur désarmement. Depuis les rumeurs concernant l'armistice, la radio de la base ORAN-MERS EL KEBIR, constituait le premier centre d'intérêt à bord de l'AJACCIENNE. Les précisions qu'elle nous apportait l'étaient avec parcimonie. Et chacun de supputer ce que pourrait être l'avenir immédiat. La journée s'annonçait très belle et chaude. La mer était calme. La brume matinale estompait l'horizon ou se mêlaient le ciel et la mer.
C'est alors que nous aperçûmes, depuis notre patrouilleur, au large, à l'horizon, se fondant presque dans le gris du ciel et de la mer, la couleur grise d'une imposante flotte militaire. Le peu de visibilité permettait cependant une analyse approximative des silhouettes et des superstructures. Au cours de ses allées et venues, l'Amiral anglais (Somerville ndlr) avait tout le loisir de procéder aux mesures qui permettraient, éventuellement, de frapper la flotte française, d'autant mieux que celle-ci se trouvait immobilisée, à un emplacement très facilement repérable. De plus, les bâtiments français étant amarrés l'arrière à la jetée, la majorité de leurs pièces était dirigée vers la terre. Enfin, il était difficile de tirer par dessus les superstructures de bâtiments, se trouvant pratiquement cote à cote.
Il était, des lors, facile d'imaginer toutes les tractations qui pouvaient s'engager. La radio locale de la flotte ne cessait d'apporter quelques brèves nouvelles, lesquelles ne faisaient qu'accentuer l'anxiété. On imaginait la densité des liaisons confidentielles, souvent techniques et difficiles, étant données les circonstances, de l'Amiral GENSOUL avec l'Amirauté Française. Et puis, que voulaient dire ces allées et venues de cette vedette anglaise venant du large pour tenter d'accoster le bateau amiral. Les discussions étaient surement très serrées(2).
La vedette anglaise de liaison continuait son va et vient entre la passe et le large. Et soudain ce furent les premières salves, suivies d'un déluge de feu. Je vois les premières bordées tomber un peu court, en mer, près de la jetée, soulevant des gerbes de plusieurs dizaines de mètres de haut. Je vois les suivantes tomber sur la jetée, puis en plein dans la rade.
Je vois et j'entends LE BRETAGNE exploser dans un très épais nuage s'élevant, torsadé, et très vite, la grande hauteur, zébré de gris, de noir et de jaune. Lorsque ce nuage commença à se dissiper,
LE BRETAGNE avait entièrement disparu. Plusieurs bâtiments touchés, tentaient de s'échouer sur la plage de la base, au milieu des explosions.
Oh ! miracle. Je vois LE COMMANDANT TESTE, à son poste, demeuré apparemment intact, malgré ses hautes superstructures. Mais je vois surtout, tel un spectacle hallucinant, LE STRASBOURG sortir, lui aussi intact, de la rade, à pleine vitesse, et cracher de toutes ses pièces, vers le large. Il fonçait, se dirigeant vers l'Est et défilant à quelques encablures de la jetée d'ORAN. Il est facile d'imaginer l'excitation extrême de tous les marins, actifs ou passifs, témoins de tels événements.
L'action dura un quart d'heure environ. La flotte anglaise s'était évanouie dans le lointain. Poursuivait-elle LE STRASBOURG. Nous apprîmes plus tard que ce dernier avait pu regagner Toulon sans trop d'encombre, malgré plusieurs alertes.
Le tir des anglais venait de cesser, lorsque L'AJACCIENNE reçut l'ordre de sortir au plus vite d'ORAN pour se mettre à la disposition de l'Amiral GENSOUL. Ce dernier était demeuré sur LE DUNKERQUE. La passe d'ORAN fut franchie sans encombre, malgré son minage. Mais qui pensait aux mines ?
Arrivés quelques minutes après, sur la rade, un spectacle apocalyptique et inoubliable nous attendait. Nous passâmes, à toucher, ce qui avait été LE BRETAGNE. Un mètre de sa quille émergeait.
Une odeur acre et forte de mazout régnait sur la rade. L'eau était noire et visqueuse, parsemée d'objets flottants innombrables. Et parsemée surtout, de formes, qui émergeaient à peine, et que l'on devinait être nos malheureux camarades. Les bateaux crachaient leur vapeur. LE DUNKERQUE, LA PROVENCE et, combien d'autres, étaient échoués. LE MOGADOR, lui aussi échoué, avait son arrière arraché.
Bien entendu, une des premières réactions fut de manier les gaffes et de crocher les corps, sans aucune illusion, car ceux-ci étaient tous inertes, gluants de mazout. Je vois, en particulier, leur visage : à la place des yeux, les orbites étaient uniformément noires.
LE DUNKERQUE lui, avait été touché au niveau des chaufferies et à l'arrière. Mais, échoué, il demeurait sans gite.
Nous l'accostâmes et nous miment à couple, à l'arrière tribord.
Le spectacle des morts, souvent affreusement touchés, ne pouvait qu'ébranler le plus chevronné des hommes.
Le surlendemain nous avons reçu l'ordre d'assurer la protection du pétrolier REGINA, jusqu'au port de BONE.
Durant notre absence de MERS EL KEBIR, les bâtiments de notre flottille avaient accosté, a leur tour, LE DUNKERQUE. (1)- Rallier la Royal Navy, (2) À 45 minutes de l'expiration de l'ultimatum, conscient de la détermination de Somerville, il abat sa dernière carte et accepte de recevoir Holland, qu'une vedette dépose à bord du Dunkerque à 16 h. À la recherche d'une porte de sortie acceptable par les deux parties, le Français propose un gentleman 's agreement : désarmer sa flotte sur place. Holland considère l'offre comme la base d'un accord mais doit en référer à Somerville. Or, les discussions sont brutalement rompues à 17 h 20, alors que les négociateurs sont sur le point d'aboutir à un compromis in extremis. Churchill, sachant que des renforts rallient Oran, exige d'en finir. Nota : - Voir les vidéos sur : Le 25 avril 2005 le cimetière de Mers el Kébir fut profané
Mis en ligne le 29 dec 2010 |