Discours de politique générale prononcé par Georges Pompidou le 26 avril 1962, après l'approbation par référendum des accords d'Evian sur l'Algérie. L'Assemblée nationale avait adoubé par 259 voix contre 128 le programme du nouveau gouvernement.
Mesdames, Messieurs, songeant aux charges de ma fonction, et gravissant pour la première fois de ma vie les degrés de cette tribune, je ne puis me défendre de quelque appréhension. Mais les représentants élus du peuple ont le droit d'être informés sans délai et pleinement de la politique d'un nouveau gouvernement. J'ai tenu à venir m'en expliquer devant vous et la soumettre à votre verdict. Le drame né de la rébellion de 1954 ne pouvait donc se résoudre par la froide raison. Hélas ! Les réalités humaines historiques, géographiques ne permettent que rarement aux raisons du coeur de triompher seules. En fin de compte, au terme de sept années de souffrance, le cessez-le- feu est intervenu. Les dirigeants de la rébellion ont accepté le principe de l'autodétermination, conforme aux traditions ; de notre pays et à l'évolution du monde. Ils ont accepté d'envisager l'avenir de l'Algérie sous la forme d'une coopération étroite avec la France.
Dans cette Algérie, nos compatriotes doivent avoir, et auront, la première place que leur, vaudront non pas ; tellement les droits acquis, mais leurs capacités, leur amour de la terre algérienne. Leurs affinités, en dépit des heurts actuels, avec la communauté musulmane.
Tout cela a fait l'objet de ce qu'on appelle les accords d'Evian. Le gouvernement les a publiés ; le pays les a ratifiés par une majorité écrasante, avalisant ainsi la politique conçue et menée à bien par le Général de Gaulle. Le monde libre les a accueillis; comme une victoire de la France, victoire remportée bien sûr en partie sur elle-même, mais qui met fin à une crise tout au long de laquelle notre pays et notre peuple ont fait preuve d'un calme, d'un civisme, d'une dignité exemplaires.
La seconde, c'est de se tourner vers les Français d'Algérie et de leur dire ce qui est arrivé était sans doute inévitable. La situation, en tout cas, est aujourd'hui irréversible.
Des mesures ont été prises ; elles seront complétées, pour que votre installation soit facilitée au maximum. A persévérer dans l'agitation déplorable que connaissent à l'heure actuelle les villes d'Alger et d'Oran, vous ne faites que retarder le moment où il vous faudra bien accepter les faits, prendre conscience de ce que vous êtes et de ce que vous pouvez faire, assurer votre place dans l'Algérie de demain.
Mais, pour que ce langage puisse être entendu, il n'est pas de plus urgent devoir que de priser définitivement et sans recours l'organisation subversive qui, sous prétexte de défendre l'Algérie française, finira par rendre impossible la présence de Français en Algérie, qui, sous couleur de défendre l'intégrité du territoire, a failli briser l'unité nationale et déchaîner la guerre civile, qui enfin, comme unique moyen de faire prévaloir ses vues, a instauré le crime.
Le crime doit cesser. C'est après, et après seulement, que sera possible l'apaisement. L'action entreprise par les forces de l'ordre sera poursuivie sans défaillance. Elle a vous le savez, commencé à porter ses fruits. Cela fut possible grâce à la détermination des autorités de l'Etat, et d'abord de la plus haute, grâce à l'appui massif de l'opinion, grâce, il faut le répéter, au loyalisme de notre armée, à laquelle je veux ici rendre hommage.
Après avoir, sans interruption, donné son sang depuis vingt ans, après avoir, sur le sol même de l'Algérie, démontré de façon éclatante, que la solution ne nous serait en tout cas jamais imposée par les armes. Elle a prouvé qu'elle était l'armée de la France et de la République et que sainement certains avaient pu espérer la dresser contre le pays et contre les institutions.
Demain, cette armée se regroupera pour l'essentiel sur le sol de la métropole. Libérée de tâches douloureuses, elle pourra se consacrer à ce qui est sa vocation, la défense nationale, gage de notre liberté et de notre existence même, en tant que nation. Cette tâche est immense. Elle est digne de nos officiers ; comme de nos soldats.
La transformation des techniques et des stratégies nous impose et nous imposera des sacrifices pour doter cette année des armements modernes indispensables. Mais outre que cet effort peut se révéler en France comme ailleurs un stimulant pour notre recherche scientifique et notre progrès technique, particulièrement dans les domaines atomique et spatial, et qu'à ce titre les plans de la Défense nationale s'inscrivent dans un cadre d'ensemble, il est indispensable pour nous permettre de jouer notre rôle et de dissuader l'agression. Au-delà des querelles de mots, il n'y a pas un gouvernement qui, dans le passé, n'en ait eu conscience. Il n'y a pas un gouvernement qui demain, pourrait y renoncer.
Est-ce à dire, Mesdames, Messieurs, que la France puisse se suffire à elle-même à l'époque, des grands empires et des énormes menaces totalitaires? Assurément non. C'est pourquoi l'Alliance atlantique reste un élément fondamental de notre politique, et s'il nous appartient de chercher à l'aménager pour mieux nous y situer, nous entendons être des alliés sûrs, fidèles, égaux en droit puisque nous serions égaux dans le danger. Tel est le premier principe de notre politique extérieure.
Il en est un autre non moins important, c'est l'Europe. En ce siècle où les continents se découvrent une conscience collective, l'Europe qui a dû renoncer à ses empires coloniaux et a cru, comme certains le croient encore, en France, y voir le signe de sa décadence, est en train de découvrir sa propre existence et ses capacités.
Il n'y a pas de terre au monde qui soit plus fertile en talents, depuis les chercheurs jusqu'aux travailleurs. Cette richesse humaine, accumulée par l'histoire et revigorée par les bouleversements; de notre époque, l'Europe doit en tirer parti collectivement. C'est ce qu'elle a commencé et les premiers résultats éclatent aux yeux.
Le Marché commun notamment s'est révélé pour tous, et pour notre pays en particulier un ferment de renouveau. A ce début de construction de l'Europe, notre pays a pris une part déterminante. C'est ainsi qu'il a pu faire passer dans les faits le Traité de Rome, se donner par la vaste réforme financière effectuée en décembre 1958 les moyens d'y faire face, promouvoir enfin avec nos partenaires un véritable Marché commun agricole, gage pour nous d'expansion harmonieuse et de santé sociale.
Les résultats obtenus sont tels que de nombreux pays souhaitent aujourd'hui participer à cette entreprise et qu'il n'est pas jusqu'à la vieille Angleterre qui ne redécouvre qu'elle fait partie de l'Europe. Nous n'en doutons pas pour notre part et nous sommes prêts à l'accueillir, sous réserve, bien sûr, qu'elle accepte les règles essentielles sans lesquelles le Marché Commun perdrait jusqu'à son sens.
Mais il faut aller au-delà et donner à l'Europe une existence politique, par la coopération organisée avec nos voisins, et d'abord entre les Six ; nous y retrouvons des pays frères et amis de tradition, et aussi l'Allemagne, avec laquelle l'entente franche et durable qui s'est instaurée est une des conditions de la survie même de l'Europe.
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Mis en ligne le 11 mars 2014 /td>