À travers près de deux siècles d'histoire, voici un voyage au bout du courage, jalonné de combats héroïques et peuplé de personnages mythiques.

Presque un an, jour pour jour, après la publication de l'ordonnance de Louis-Philippe instituant " une légion composée d'étrangers " avec la possibilité - qui prévaut encore aujourd'hui - de s'engager sous " une identité déclarée ", cinq bataillons étrangers sont arrivés en Algérie, en renfort des troupes françaises, soit 78 officiers et 2669 sous-officiers et légionnaires. Des Suisses, des Allemands, des Espagnols, des Sardes, des Italiens, des Belges, des Hollandais. Ce 23 mai 1832, aux portes d'El-Harrach (Maison-Carrée) après un violent affrontement avec une tribu arabe, le lieutenant Louis Châm a le triste privilège d'être le premier officier de la Légion mort au combat.
Prisonnier puis égorgé pour avoir refusé de se convertir à l'islam, précise Patrick de Gmeline dans sa Nouvelle histoire de la Légion étrangère. Plus tard, d'autres gradés et légionnaires perdront la vie face aux cavaliers d'Abd el-Kader. En juin 1835, à Moulay-Ismaël d'abord, puis à la Macta, près de Mascara, les attaques sont fulgurantes et massives. Les Polonais et Italiens qui ouvrent la route à la colonne des chasseurs d'Afrique succombent sous l'assaut des 8000 guerriers de l'émir.
Bilan : une centaine d'hommes de troupe et deux officiers tués. Mais le sang que les soldats étrangers versent, ce jour-là, pour la France et la bravoure dont ils font preuve vont associer définitivement la Légion aux valeurs de courage, d'abnégation et de discipline qui transparaissent au fil des pages du livre de Patrick de Gmeline.

D'autant qu'à leurs qualités de guerrier, les soldats ajoutent celles de bâtisseurs " Au point que certains de leurs ouvrages sont considérés encore aujourd'hui comme des constructions historiques, tel le tunnel du Légionnaire, à Foum Zabel, au Maroc ", ou comme la chaussée de la Légion, route reliant Douera à Boufarik, surélevée à 2 mètres au-dessus d'une zone marécageuse.


La Légion à Mostaganem contre Abd el-Kader (aquarelle du musée de la Légion étrangère, Aubagne).

Cette première Légion, qui forge sa réputation en Algérie, n'a pas le temps de s'y enraciner. En 1835, une guerre de succession en Espagne contraint la France, liée par un traité d'assistance, à céder ses régiments étrangers en leur retirant drapeau et cocarde tricolores.
Les légionnaires, dont le récit des exploits au Maghreb a traversé la Méditerranée, sont accueillis aux cris de " Vivan los Argelinos ! " ("vive les Algériens !").
Mais, peu à peu, l'enthousiasme s'éteint, brisé par les défaites. Les combats meurtriers déciment les rangs des " vaillantes troupes " offertes par la France.
En 1839, elles disparaissent, rentrent au pays. Oubliées. Remplacées ! Car, en décembre 1835, alors même qu'il cédait sa première Légion à l'Espagne, Louis-Philippe en avait créé une autre par une seconde ordonnance. Une nouvelle Légion qui volait de victoire en victoire.
Le 13 octobre 1837, c'est la prise de Constantine. Au corps-à-corps ! Puis le col de Mouzaïa, Médéa, Miliana... Des combats remarquablement détaillés par Patrick de Gmeline. Des personnalités se révèlent dans le fracas de ces batailles : le lieutenant- colonel Patrice de Mac Mahon, commandant du 2° régiment de la Légion, futur maréchal de France et président de la République (en 1873) ; le duc d'Aumale, fils de Louis-Philippe, promu général à 20 ans, commanda la prise de la smala d'Abd el-Kader, qui lui permit de faire 4000 prisonniers. Pierre-Napoléon Bonaparte, neveu de l'Empereur, ou encore le colonel Jean-Luc de Carbuccia, chef de bataillon à 33 ans, cité à l'ordre de l'armée, l'un des vainqueurs de Zaatcha " où l'horreur répondit à l'horreur ".
Celui-ci préconise l'utilisation de dromadaires par l'infanterie. Il utilise ses compétences d'archéologue pour entreprendre, de 1848 à 1851, des fouilles à Lambèse, ancienne capitale romaine de la Numidie militaire. Il ordonne la restauration de la colonne édifiée à la mémoire du préfet Quintus Flavius Maximus, légat de la légion III Augusta, en y faisant graver l'inscription suivante: " Le colonel Carbuccia à son collègue de la IIIe légion romaine. " Puis il défile avec ses hommes devant le monument. Sous le commandement de Carbuccia, la Légion continue à percer des routes. Notamment celle reliant Sidi Bel-Abbès à Oran. Sidi Bel-Abbès, maison mère de la Légion étrangère de 1843 jusqu'au 24 octobre 1962.

Désormais, c'est de Sidi Bel-Abbès via Oran que la Légion s'embarquera pour les nombreuses campagnes qui jalonnent son histoire. La Crimée, contre les Russes, de 1854 à 1856, l'Italie, contre les Autrichiens, en 1859. Et le Mexique où, le 30 avril 1863, se déroule la bataille de Camerone commémorée chaque année par toutes les unités de la Légion. Soixante-deux légionnaires et leurs trois officiers retranchés dans une hacienda en ruines face à 2000 Mexicains. Encerclés, à court de munitions, refusant de se rendre, les trois officiers vont mourir, l'un après l'autre. Danjou, 35 ans, le premier. Villain, 26 ans, trois heures plus tard. Grièvement blessé, le sous-lieutenant Maudet, 33 ans, succombera dans les jours qui suivront.


Dans les années 1930, les légionnaires du siècle passé honorés parleurs héritiers. A travers la photo, le cinéma, les documentaires, la télévision, la Légion a toujours su faire sa publicité

En 1867, quittant le Mexique, la Légion se recueille à Camerone. Le général Jean-ningros, six fois blessé au feu, adresse un dernier adieu aux officiers et soldats morts au champ d'honneur. " Votre souvenir ne s'effacera plus de nos cœurs et, un jour, si la France et notre empereur avaient besoin de nous, nous saurions, comme vous, vaincre ou mourir. " Leur courage et leur ardeur ne suffiront pas... Trois ans plus tard, en 1870, la France déclare la guerre à la Prusse et envoie au combat spahis, chasseurs d'Afrique, zouaves, tirailleurs... Mais point de légionnaires : les Allemands représentent 20 % des effectifs ! Après la défaite de Reichshoffen, qui scelle, le 6 août 1870, le sort de l'Alsace et de la Lorraine, annexées par la Prusse, la France décide de lever un bataillon pour incorporer les volontaires européens qui souhaitent se battre. Ils recevront leur baptême du feu à Artenay, près d'Orléans. Mais leur courage et leur ardeur au combat ne suffiront pas. L'armistice est signé le 26 janvier 1871.

Le 1er mars, les Prussiens entrent dans Paris. La Légion embarque à Toulon et rentre à Sidi Bel-Abbès où les Alsaciens et les Lorrains se pressent au bureau de recrutement.
Déjà, l'aventure tonkinoise se profile sous les encouragements de Jaurès et de Ferry. Le 8 novembre

1883, les légionnaires débarquent au Viêtnam.
Le 7 décembre, deux compagnies du 2e bataillon et une compagnie de tirailleurs tonkinois occupent la citadelle de Tuyên Quang. Les hommes sont malades. La dysenterie fait des ravages.
À partir du 23 novembre 1884, ils sont assiégés par plusieurs milliers de Chinois dont 2000 " pavillons noirs ", des milices de coupeurs de têtes. La garnison compte 620 soldats français dont 390 légionnaires et leurs trois officiers. Trois mois de combats. La Légion va inscrire une nouvelle page de gloire à son histoire.

Puis c'est le Dahomey, de 1892 à 1894, face aux féroces amazones du roi Behanzin. Le Soudan, ensuite. Madagascar, plus tard. Les Balkans, le Maroc avec la guerre du Rif conduite par Abd el-Krim, la Syrie de 1921 à 1939 et la Seconde Guerre mondiale avec la fameuse 13e demi-brigade de Légion étrangère (136 DBLE) engagée dans les combats de Narvik, en Norvège, puis dans le désert d'Afrique du Nord, à Bir Hakeim et à El-Alamein.

L'Indochine, enfin, où la Légion va perdre, de 1945 à 1954, plus de 10 000 hommes: 309 officiers, 1082 sous-officiers et 9092 caporaux et légionnaires. Patrick de Gmeline décrit avec force et émotion les grandes pages de l'aventure indochinoise de la Légion : les crabes amphibies du 1er régiment étranger de cavalerie, les paras des 1er et 2e bataillons étrangers de parachutistes, Cao Bang, la sanglante RC4, et Diên Biên Phu...

Puis, avant d'évoquer les trente dernières années, du Tchad au Cambodge via le Zaïre et Kolwezi, l'auteur raconte l'Algérie avec un rappel à la mémoire du charismatique colonel Jeanpierre, chef de corps du 1er régiment étranger de parachutistes (le 1er Rep), mort à 46 ans, le 29 mai 1958, dans la chute de son hélicoptère abattu dans la région de Guelma. Il revient sur la semaine des barricades, le putsch des généraux, la rébellion du 1er REP conduit par Hélie Denoix de Saint Marc. La prison pour ces officiers de la révolte. La fin d'un monde.

Jean-Pax Méfret
Nouvelle Histoire de la Légion étrangère, de Patrick de Gmeline, Perrin, 5930 pages, 26€.

Valeurs Actuelles - 17 novembre 2016

Retour en haut de la page

Retour au menu "Contexte"


Mis en ligne le 27 novembre 2016

Entrée  - Introduction  -   Périodes-raisons  -   Qui étaient-ils?  -   Les composantes  - L'attente  -   Le départ  -  L'accueil  -  Et après ? - Les accords d'Evian - L'indemnisation - Girouettes  -  Motif ?  -  En savoir plus  -  Lu dans la presse  -